Page:Œuvres complètes de Jean-Jacques Rousseau - II.djvu/407

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point osant braver l’empire de la mode et les clameurs de leur sexe, remplissent avec une vertueuse intrépidité ce devoir si doux que la nature leur impose. Puisse leur nombre augmenter par l’attrait des biens destinés à celles qui s’y livrent ! Fondé sur des conséquences que donne le plus simple raisonnement, et sur des observations que je n’ai jamais vues démenties, j’ose promettre à ces dignes mères un attachement solide et constant de la part de leurs maris, une tendresse vraiment filiale de la part de leurs enfants, l’estime et le respect du public, d’heureuses couches sans accident et sans suite, une santé ferme et vigoureuse, enfin le plaisir de se voir un jour imiter par leurs filles, et citer en exemple à celles d’autrui.

Point de mère, point d’enfant. Entre eux les devoirs sont réciproques ; et s’ils sont mal remplis d’un côté, ils seront négligés de l’autre. L’enfant doit aimer sa mère avant de savoir qu’il le doit. Si la voix du sang n’est fortifiée par l’habitude et les soins, elle s’éteint dans les premières années, et le cœur meurt pour ainsi dire avant que de naître. Nous voilà dès les premiers pas hors de la nature.

On en sort encore par une route opposée, lorsqu’au lieu de négliger les soins de mère, une femme les porte à l’excès ; lorsqu’elle fait de son enfant son idole, qu’elle augmente et nourrit sa faiblesse pour l’empêcher de la sentir, et qu’espérant le soustraire aux lois de la nature, elle écarte de lui des atteintes pénibles, sans songer combien, pour quelques incommodités dont elle le préserve un moment, elle accumule au loin d’accidents et de périls sur sa tête, et combien c’est une précaution barbare de prolonger la faiblesse de l’enfance sous les fatigues des hommes faits. Thétis, pour rendre son fils invulnérable, le plongea, dit la fable, dans l’eau du Styx. Cette allégorie est belle et claire. Les mères cruelles dont je parle font autrement ; à force de plonger leurs enfants dans la mollesse, elles les préparent à la souffrance ; elles ouvrent leurs pores aux maux de toute espèce, dont ils ne manqueront pas d’être la proie étant grands.

Observez la nature, et suivez la route qu’elle vous trace. Elle exerce continuellement les enfants ; elle endurcit leur tempérament par des épreuves de toute espèce ; elle leur apprend de bonne heure ce que c’est que peine et douleur. Les dents qui percent leur donnent la fièvre ; des coliques aiguës leur donnent des convulsions ; de longues toux les suffoquent ; les vers les tourmentent ; la pléthore corrompt leur sang ; des levains divers y fermentent, et causent des éruptions périlleuses. Presque tout le premier âge est maladie et danger : la moitié des enfants qui naissent périt avant la huitième année. Les épreuves faites, l’enfant a gagné des forces ; et sitôt qu’il peut user de la vie, le principe en devient plus assuré.

Voilà la règle de la nature. Pourquoi la contrariez-vous ? Ne voyez-vous pas qu’en pensant la corriger, vous détruisez son ouvrage, vous empêchez l’effet de ses soins ? Faire au dehors ce qu’elle fait au dedans, c’est, selon vous, redoubler le danger ; et au contraire c’est y faire diversion, c’est l’exténuer. L’expérience apprend qu’il meurt encore plus d’enfants élevés délicatement que d’autres. Pourvu qu’on ne passe pas la mesure de leurs forces, on risque