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ŒUVRES

decouvroit jamais, il y auroit peu de foy. Mais il se cache ordinairement, et se decouvre rarement à ceux qu’il veut engager dans son service [1]. Cet etrange secret, dans lequel Dieu s’est retiré, impenetrable à la veüe des hommes, est une grande leçon pour nous porter à la solitude loin de la veüe des hommes. Il est demeuré caché sous le voile de la nature qui nous le couvre jusques à l’Incarnation ; et quand il a fallu qu’il ait paru, il s’est encore plus caché en se couvrant de l’humanité. Il estoit bien plus reconnoissable quand il estoit invisible, que non pas quand il s’est rendu visible[2]. Et enfin quand il a voulu accomplir la promesse qu’il fit à ses Apostres de demeurer avec les hommes jusques à son dernier avenement, il a choisy d’y demeurer dans le plus estrange et le plus obscur secret de tous, qui sont les especes de l’Eucharistie. C’est ce Sacrement que saint Jean appelle dans l’Apocalypse une manne cachée [3]  ; et je croy qu’Isaïe le voyoit en cet estat, lors qu’il dit en esprit de prophetie : Veritablement tu es un Dieu caché[4]. C’est là le dernier secret où il

  1. Cf. Pensées, fr. 430, T. II, p. 337. « Il y a assez de lumiere pour ceux qui ne desirent que de voir, et assez d’obscurité pour ceux qui ont une disposition contraire » (notes prises en vue d’une conférence faite à Port-Royal). L’édition de 1669 a groupé un grand nombre de pensées sur ce sujet dans le titre 18 : « Dessein de Dieu de se cacher aux uns et de se decouvrir aux autres. » Voir notre section VIII, Pensées, T. III, p. 12 sqq.
  2. Cf. un développement voisin de celui-là dans la seizième Provinciale, infra p. 276.
  3. Apoc. II, 17 : Vincenti dabo manna absconditum.
  4. Isaï. XLV, 15 : Verè tu es Deus absconditus. — Cf. Pensées, fr. 596, T. III, p. 28.