Page:Œuvres de Blaise Pascal, VI.djvu/105

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
89
LETTRE DE PASCAL A M ET A Mlle DE ROUANNEZ

peut estre. Le voile de la nature qui couvre Dieu a esté penetré par plusieurs infidelles, qui, comme dit S. Paul, ont reconnu un Dieu invisible par la nature visible [1]. Les Chrestiens heretiques l’ont connu à travers son humanité et adorent Jesus-Christ Dieu et homme. Mais de le reconnoistre sous des especes de pain, c’est le propre des seuls Catholiques : il n’y a que nous que Dieu eclaire jusques-là. On peut ajouter à ces considerations le secret de l’ Esprit de Dieu caché encore dans l’Escriture. Car il y a deux sens parfaits, le litteral et le mystique[2] ; et les Juifs s’arrestant à l’un ne pensent pas seulement qu’il y en ait un autre, et ne songent pas à le chercher; de mesme que les impies, voyant les effets naturels, les attribuent à la nature, sans penser qu’il y en ait un autre autheur ; et comme les Juifs, voyant un homme parfait en Jesus-Christ, n’ont pas pensé à y chercher une autre nature : nous n’avons pas pensé que ce fust luy, dit encore Isaïe [3]  ; et de mesme enfin que les heretiques, voyant les apparences parfaites du pain[4] ne pensent pas y chercher une autre substance [5] . Toutes choses couvrent

  1. Paul. Rom. I, 18-20: .... qui veritatem Dei in injustitià detinent : quia quod notum est Dei manifestum est in illis, Deus enim illis manifestavit. Invisibilia enim ipsius, a creaturà mundi, per ea quæ facta sunt, intellecta, conspiciuntur. — Cf. Pensées, fr. 643, T. III, p. 85.
  2. Cf. Pensées, fr. 462 sqq., T. III, p. 84.
  3. Isaï. LIII. 3 : .... et quasi absconditus vultus ejus et despectus, unde nec reputavimus eum. — Cf. Pensées, fr. 763, T. III, p. 212.
  4. Faugère ajoute: [dans l’Eucharistie], mots qui ne se trouvent dans aucun des manuscrits connus.
  5. Cf. Pensées, fr. 862, T. III, p. 307.