Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/211

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« Il est temps que tu nous quittes, sire Maurice de Bracy, dit le templier, afin de jouer le second acte de la pièce ; car maintenant tu dois prendre le rôle de chevalier libérateur.

— J’ai fait de meilleures réflexions, répondit de Bracy ; et je ne te quitterai qu’après que notre prise aura été déposée en sûreté dans le château de Front-de-Bœuf. Là, je me montrerai à lady Rowena dans mon costume ordinaire, et je me flatte qu’elle rejettera sur l’entraînement irrésistible de ma passion la violence dont j’ai usé à son égard.

— Et quelle raison t’a fait changer d’avis ?

— Cela ne te regarde point, mon cher templier.

— J’espère pourtant, sire chevalier, que ce changement n’est pas causé par les injurieux soupçons que Fitzurse a cherché à te faire concevoir sur mon honneur.

— Mes pensées m’appartiennent. Le diable rit, dit-on, quand un voleur en vole un autre ; et nous savons que quand même, au lieu de rire, Satan lui soufflerait flamme et bitume, il n’empêcherait pas un templier de suivre son penchant.

— Ni le chef d’une compagnie franche de craindre d’être traité par un ami et un camarade de la même manière qu’il traite les autres.

— Cette récrimination est aussi vaine que peu honnête. Je connais la morale de l’ordre du Temple[1], et je ne te donnerai pas l’occasion de m’enlever la jolie proie pour laquelle j’ai couru tant de risques.

— Mais que crains-tu donc ? Ne sais-tu pas quels sont les vœux de mon ordre ?

— Je les connais très bien, et je sais également de quelle manière ils sont observés. Templier, crois-moi, les règles de la galanterie s’interprètent largement dans la Terre-Sainte, et en cette occasion je ne veux rien confier à ta conscience.

— Sache donc la vérité : je ne me soucie aucunement de la belle

  1. L’interlocuteur a une bien fausse idée de cette morale, et Walter Scott le fait parler d’après les ennemis les plus acharnés des templiers, ainsi qu’eussent parlé les bourreaux à la solde de Philippe-le-Bel. Les templiers faisaient vœu de pauvreté, sans être soumis à une pauvreté absolue, car par ce vœu on entendait qu’ils devaient être toujours prêts à partager leurs biens avec les malheureux, et même à les sacrifier pour les besoins de leur ordre. Ils faisaient vœu de chasteté, c’est-à-dire, d’avoir l’impudicité en horreur, afin de n’outrager ni la décence ni les mœurs. a. m.