Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/94

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de ses malheureuses victimes n’avait servi qu’à le gonfler comme une grosse araignée qu’on peut oublier tandis qu’elle se tient dans un coin, mais qu’on écrase dès qu’elle se montre à la lumière.

Cette menace prononcée en anglais-normand, d’une voix ferme et d’un air décidé, fit reculer le Juif, et il se fût probablement retiré d’un voisinage si dangereux, si l’attention générale n’eût été appelée vers le prince Jean qui entrait alors dans la lice avec une escorte nombreuse formée en partie de laïques, en partie d’ecclésiastiques aussi élégants dans leur mise et aussi décidés dans leur démarche que les autres courtisans. Parmi les derniers se trouvait le prieur de Jorvaulx, aussi richement vêtu que pouvait l’être un dignitaire de l’Église. L’or et les riches fourrures n’avaient pas été épargnés dans son ajustement, et les pointes de ses bottes, exagérant la mode du temps, remontaient si haut qu’elles auraient pu être attachées non seulement à ses genoux, mais à sa ceinture, ce qui l’empêchait de placer son pied dans l’étrier. Ceci néanmoins était un inconvénient léger pour le galant abbé, qui peut-être se réjouissait d’avoir eu l’occasion de déployer son habileté d’équitation devant un grand nombre de spectateurs, et surtout devant les dames. Le reste de la suite du prince Jean consistait en chefs privilégiés de ses troupes mercenaires, en barons maraudeurs, et en courtisans dépravés, qui composaient sa cour, et en plusieurs chevaliers du Temple et de Saint-Jean de Jérusalem. Il faut remarquer ici que les chevaliers de ces deux ordres étaient regardés comme ennemis du roi Richard, s’étant rangés du côté de Philippe de France dans la longue suite de querelles qui eurent lieu entre ce monarque et le prince anglais. C’était une chose notoire que la conséquence de ces brouilleries avait rendu infructueuses les victoires répétées de Richard Cœur-de-Lion, de qui les tentatives audacieuses et romanesques pour s’emparer de Jérusalem n’avaient amené aucun résultat, et qui n’obtint de toute sa gloire qu’une trêve douteuse avec le sultan Saladin. Avec la même politique qui avait présidé à la conduite de leurs frères dans la Terre-Sainte, les templiers et les hospitaliers anglais et normands s’étaient unis à la faction du prince Jean, ayant peu de motifs de désirer le retour de Richard en Angleterre, ou l’avènement d’Arthur son légitime héritier. Par une raison opposée, le prince Jean haïssait et méprisait le peu d’illustres Saxons qui existaient encore en Angleterre, et il ne négligeait aucune occasion de les mortifier et de les injurier, certain, lui, que sa personne et ses prétentions leur étaient antipathiques, à eux,