Pages intimes 1914-1918/14

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Des presses de Vromant & Co, imprimeurs (p. 35-36).

JÉRUSALEM

I


Vingt siècles l’avaient vue aux mains de l’Infidèle,
Des païens et des juifs et des fils du Croissant,
Et vingt peuples rivaux avaient mêlé leur sang
En haine de l’Islam moins que par amour d’Elle.

Mais leur flot redoublé battant sa citadelle
À chaque assaut nouveau reculait impuissant ;
Au Sépulcre attendait depuis l’an onze cent
Le premier des croisés, leur chef et leur modèle.

Or voici le canon qui, déchirant les airs,
Tonne, répercuté du Jourdain aux déserts ;
« Allah ! Allah succombe ! » Ainsi gémit et clame

Du haut des minarets la voix du Muezzin,
Cependant que du Christ apparaît l’oriflamme
Et que le Teuton fuit avec le Sarrasin.

II


Quand le clairon sonna la fanfare guerrière
Le Héros qui dormait aux rives du Jourdain,
Muré dans son sépulcre, a tressailli soudain,
Croyant ouïr déjà la trompette dernière ;

Il entend s’approcher de sa couche de pierre
Des pas qui font bondir son cœur de Paladin,
Et dans l’orbite, l’œil que l’on croyait éteint
Se rallume, et le feu descelle la paupière.

Il revoit à ses pieds, revivant dans leurs fils,
Ses anciens compagnons, les Croisés de jadis,
Ceux d’Italie, et ceux de Gaule, et de Bretagne ;

Mais se ressouvenant de ses pairs plus nombreux,
Son regard interroge : « Où sont les autres preux ? »
Et nul n’ose lui dire où sont ceux d’Allemagne…