Pages intimes 1914-1918/4

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Des presses de Vromant & Co, imprimeurs (p. 13-15).



ALLEMAGNE



Je t’aimais dans le sang venu de mes ancêtres
__________Chargé d’ardente foi,
Je t’aimais presque autant que l’on aime les êtres
__________Qui sont sortis de soi.

Je t’aimais dans ta race expansive et féconde,
__________Peuple rude et viril,
Dont l’essor pacifique aurait conquis le monde
__________Sans heurts et sans péril.

Tes vaisseaux promenaient leurs aigles familières
__________À tous les océans ;
Aucune borne à ton orgueil, pas de frontières
__________À tes rêves géants !

Des deux Mondes le fer se forgeait sans relâche
__________Sous tes marteaux-pilons ;
À leur bruit les métiers, non moins fiers de leur tâche,
__________Répondaient : nous filons.

C’était, dans tout l’Empire, une énorme ruée
__________Qui défiait la peur,
Des chantiers, des volcans portaient dans la nuée
__________Ton âme en leur vapeur.

Et bien plus que ce rush, plus que cette âme neuve
__________En ses bouillants transports,
Allemagne, on aimait ton passé, ton beau fleuve
__________Roulant entre ses bords,

Les blonds cheveux et les yeux verts de ses Ondines
__________Et le mouvant tableau
Des pampres suspendus en festons aux ruines
__________Se mirant dans son eau.

On t’aimait pour les chants et pour les harmonies,
__________Voix d’en Haut, d’Au delà,
Que l’art d’un Beethoven ou d’un Bach le génie
__________Aux humains révéla.

Et tes vieilles cités, les villes de la Hanse,
__________Dont le front brille encor
D’un reflet de leur gloire et de leur opulence,
__________Cerclé d’un bandeau d’or ;


Et tes cloîtres sacrés, tes tours, tes cathédrales,
__________Poèmes de l’amour,
Plus purs que les autels aux pompes théâtrales
__________Dressés aux dieux du jour !

Vertus de tes aïeux, mœurs de tes patriarches,
__________Qui donc ne vous aimait ?
Les Muses t’escortaient en fleurissant ta marche…
__________Maintenant, on te hait !