Pages intimes 1914-1918/8

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Des presses de Vromant & Co, imprimeurs (p. 23-24).
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HÉCATOMBE



Les noyers sont tombés ; les chênes
Aussi sont tombés par milliers ;
Après, ce fut le tour des frênes,
Des ormes et des peupliers.

Ils sont couchés, les hauts feuillages
Où reposaient leur vol altier,
Où balançaient leurs clairs plumages
La tourterelle et le ramier.

Dans la vapeur du crépuscule
Ils sont grandis, les troncs géants ;
La sève encore en eux circule
Et coule par des trous béants.

C’est un nouveau champ de bataille
Où les arbres sont les mourants ;
La Terre, avant qu’ils ne s’en aillent,
Embrasse ses derniers enfants.


Vers les charniers on les voiture
Par la forêt saignée à blanc,
Et dans l’ornière leur ramure
Traîne comme des bras ballant.

Sur leur écorce rude et noire
S’entrelaçaient encor des cœurs
Et les feuilles de notre Histoire
Se confondaient avec les leurs.

Des générations sans nombre,
Le soir venu d’un dur labeur,
S’étaient assises à leur ombre,
Avaient respiré leur fraîcheur.

Ô barbarie, ô barbarie,
Tu n’avais pas tout massacré !
Il nous restait de la Patrie
Ce sol boisé, ce sol sacré !

Mais en vain de sa chevelure
Ton fer a dégarni son front ;
Elle apparaît d’autant plus pure,
D’autant plus grande sous l’affront.