Paludes/Angèle ou le petit voyage

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Angèle ou le petit voyage
1895


Samedi.

Ne noter du voyage rien que les moments poétiques - parce qu'ils rentrent plus dans le caractère de ce que je désirais.

Dans la voiture qui nous mène à la gare, je déclamai :

Des chevreaux au bord des cascades;
Des ponts jetés sur des ravins;
Des mélèzes en enfilades...
Où monte avec nous, j'imagine,
L'excellente odeur de résine
Des mélèzes et des sapins.

« Oh! dit Angèle - quels beaux vers!

- Vous trouvez, chère amie, lui dis-je.

- Mais non, mais non, je vous assure ; - je ne dis pas qu'ils soient mauvais, mauvais.. Mais enfin, je n'y tiens pas; - j'improvisais. Puis, vous avez peut-être raison; - il se peut en effet qu'ils soient bons. L'auteur ne sait jamais bien lui-même... »

Nous arrivâmes à la gare beaucoup trop tôt. Il y eut, dans la salle d'attente, une attente, ah' vraiment longue. C'est alors qu'assis auprès d'Angèle je crus devoir lui dire une gracieuseté :

« Amie - mon amie, - commençais-je; il y a dans votre sourire une douceur que je ne puis pas bien comprendre. Viendrait-elle de votre sensibilité?

- Je ne sais pas, répondit-elle.

- Douce Angèle! je ne vous avais jamais aussi bien appréciée qu'aujourd'hui. » Je lui dis aussi : « Charmante amie, que les associations de vos pensées sont délicates! » et quelque chose encore que je ne peux pas me rappeler.

Chemin bordé d'aristoloches.

Vers trois heures - à propos de rien, commença de tomber une petite averse.

« Ce ne sera qu'un grain, dit Angèle.

- Pourquoi, lui dis-je - chère amie, par un ciel toujours incertain, n'avoir emporté qu'une ombrelle?

- C'est un en-tout-cas », me dit-elle.

Pourtant, comme il pleuvait plus fort et que je crains l'humidité, nous rentrâmes nous abriter sous le toit du pressoir que nous avions à peine quitté.


Du haut des pins, lentement descendues, une à une, en file brune, l'on voyait les chenilles processionnaires - qu'au bas des pins, longuement attendues, boulottaient les gros calosomes.

« je n'ai pas vu les calosomes! dit Angèle (car je lui montrai cette phrase).

- Moi non plus, chère Angèle, - ni les chenilles. - Du reste, ça n'est pas la saison; mais cette phrase, n'est-il pas vrai - rend excellemment l'impression de notre voyage...

« Il est assez heureux, après tout, que ce petit voyage ait raté - pouvant ainsi mieux vous instruire.

- Oh! pourquoi dites-vous cela? reprit Angèle.

- Mais chère amie - comprenez donc que le plaisir que nous peut procurer un voyage, n'est qu'accessoire. On voyage pour l'éducation... Eh quoi! - Vous pleurez, chère amie? ..

- Du tout! fit-elle.

- Allons! Tant pis. - Du moins vous êtes colorée. »