Pamphlets de Claude Tillier/Lettre de Tillier à Timon

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LETTRE
DE C. TILLIER À TIMON.


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Clamecy, 25 mai 1841.



J’ose vous adresser ce petit pamphlet : il est né comme naît un enfant du peuple, souffreteux et grelotant ; pour berceau, il n’a eu qu’un peu de paille ; les grands journaux n’ont point tinté à son entrée dans la vie ; les éditeurs de renom ne sont point venus lui présenter des dragées et lui offrir pour langes une couverture azurée, toute décorée de vignettes ; la renommée l’a laissé tomber, tout meurtri, de ses genoux. J’ai eu souvent la pensée de lui chercher, pour l’aider à faire son chemin dans le monde, un illustre parrain. Mais trouver ce parrain n’était pas un petit embarras pour moi, qui, sauf M. Dupin que j’ai quelquefois entrevu, n’ai jamais connu de plus grand personnage qu’un inspecteur d’écoles primaires. Enfin, après bien des hésitations, je me suis décidé à m’adresser à vous.

Je me suis dit sans façon : « Timon et moi nous sommes confrères… confrères autant que le sont un soldat et un maréchal de France. Timon est, avec Paul-Louis Courrier, presque le seul écrivain que je connaisse ; ses petits livres composent toute ma bibliothèque, bibliothèque très portative et dont j’ai toujours au moins la moitié dans ma poche. Il ne dédaignera pas, pour peu que j’en vaille la peine, de me venir en aide, et de tracer de son doigt une petite, toute petite auréole autour de mon nom. Je suis déjà son débiteur pour tous les bons jeudis qu’il m’a fait passer, pour les excellents modèles qu’il m’a fournis, pour les éclairs d’inspiration qu’il a fait luire dans mon obscure cellule. Lui devoir un peu plus, lui devoir un peu moins, ce n’est pas une affaire. Il y en a tant d’autres qui lui doivent ! Et, d’ailleurs, Dieu nous fait payer ici-bas le loyer des avantages qu’il nous a départis. Comme ses avantages, la gloire a ses charges, et Timon a moins que tout autre le droit de s’y soustraire. Les écrivains d’autrefois dédiaient leurs ouvrages aux grands seigneurs et aux princes. Nos grands seigneurs à nous, hommes du peuple d’aujourd’hui, ce sont ces grands citoyens qui prennent nos libertés sous leur garde, et dont la plume est notre épée ; nos princes, ce sont ces hommes d’élite qui portent à leur front, au lieu d’une couronne d’or, une couronne de chêne et de laurier. »

J’ose donc mettre mon petit pamphlet sous votre patronage. Je sais qu’il est bien indigne de vous être offert ! Pauvre maître d’école, je l’ai composé mon martinet d’une main et ma plume de l’autre. Bien des documents dont j’aurais pu tirer profit m’ont manqué ; car, ici, nous n’avons pas un magasin de statistique. Aussi, c’est moins un traité ex professo que j’ai voulu faire sur le meilleur système électoral à adopter, qu’une satire du déplorable système par lequel la France est divisée en quelques centaines de maîtres et des millions d’esclaves ; qui fait, de la première des nations, un troupeau ras-tondu, lequel trouve à peine à brouter, de çà, de là, quelques tiges amères. Le maçon démolit d’abord, c’est à l’architecte ensuite à reconstruire. Mes arguments sont plutôt acérés que contondants : ce sont des dards barbelés que j’enfonce sous la peau de mes adversaires. Je suis, moi, un soldat de troupes légères ; je ne sais pas faire tonner les gros canons de la logique. Escarmoucher avec l’ennemi, c’est tout ce que je veux et tout ce que je puis. Je vous dirais bien que c’est à vous, par une de ces belles charges que vous savez si bien faire et que vous faites avec tant de succès, de rompre et d’enfoncer son corps de bataille. Mais c’est une phrase qui serait trop louangeuse pour un pamphlétaire, et qui aurait un goût trop prononcé de dédicace.

Agréez l’assurance de l’admiration avec laquelle j’ai l’honneur d’être,

Votre dévoué serviteur,
C. TILLIER.