Pandore (Voltaire)/1768
Cramer, .
TABLE
des Pièces contenues dans ce ſeptiéme volume.
{{table|titre= Préface pour le Temple de la Gloire|page= 421.
PROMETHEE , fils du Ciel et de la Terre, demi-dieu .
PANDORE .
JUPITER .
MERCURE .
NEMESIS.
NYMPHES .
TITANS .
DIVINITES CELESTES .
DIVINITES INFERNALES .
ACTE PREMIER.
Scène PREMIERE.
.
.
Prodige de mes mains , charmes que j'ai fait naître,
Je vous appelle en vain , vous ne m'entendez pas.
Pandore, tu ne peux connaître
Ni mon amour , ni tes appas.
Quoi ! j'ai formé ton cœur, et tu n'es pas sensible !
Tes beaux yeux ne peuvent me voir!
Un impitoyable pouvoir
Oppose à tous mes vœux un obstacle invincible ;
Ta beauté fait mon désespoir.
Quoi ! toute la nature autour de toi respire !
Oiseaux , tendres oiseaux , vous chantez , vous aimez,
Et je vois ses appas languir inanimés ;
La mort les tient fous son empire.
Scène II.
,
.
Enfant de la terre et des cieux,
Tes plaintes et tes cris ont ému ce bocage.
Parle , quel est celui des Dieux
Qui t'ose faire quelque outrage ?
Jupiter est jaloux de mon divin ouvrage ;
Il craint que cet objet n'ait un jour des autels ;
Il ne peut sans courroux voir la terre embellie;
Jupiter à Pandore a refusé la vie !
Il rend mes chagrins éternels.
.
Jupiter ? quoi ! c'est lui, qui formerait nos âmes ?
L'usurpateur des cieux peut être notre appui ?
Non , je sens que la vie et ses divines flammes
Ne viennent point de lui.
.
Nous avons pour aïeux la Nuit et le Tartare.
Invoquons l'éternelle nuit ;
Elle est avant le jour qui luit.
Que l'Olympe cède au Ténare.
.
Que l'enfer , que mes Dieux , répandent parmi nous
Le germe éternel de la vie :
Que Jupiter en frémisse d'envie ,
Et qu'il soit vainement jaloux.
Ecoutez - nous , Dieux de la nuit profonde ,
De nos astres nouveaux contemplez la clarté ;
Accourez du centre du monde :
Rendez féconde
La terre , qui m'a porté ;
Animez la beauté ;
Que votre pouvoir féconde
Mon heureuse témérité.
.
Au séjour de la nuit vos voix ont éclaté.
Le jour pâlit , la terre tremble.
Le monde est ébranlé , l'Erèbe se rassemble.
.
Nous détestons
La lumière éternelle ;
Nous attendons
Dans nos gouffres profonds
La race faible et criminelle,
Qui n'est pas née encore, et que nous haïssons.
.
Les ondes du Léthé , les flammes du Tartare,
Doivent tout ravager !
Parlez , qui voulez-vous plonger
Dans les profondeurs du Ténare ?
.
Je veux servir la terre, et non pas l'opprimer.
Hélas ! à cet objet j'ai donné la naissance,
Et je demande en vain, qu'il s'anime , qu'il pense,
Qu'il soit heureux , qu'il sache aimer.
.
Notre gloire est de détruire,
Notre pouvoir est de nuire ;
Tel est l'arrêt du fort.
Le ciel donne la vie, et nous donnons la mort.
.
Fuyez donc à jamais ce beau jour qui m'éclaire ;
Vous êtes malfaisants , vous n'êtes point mes Dieux.
Fuyez , defiruaeurs odieux
De tout le bien que je veux faire ;
Dieux des malheurs , Dieux des forfaits,
Ennemis funèbres,
Replongez-vous dans les ténèbres,
Ennemis funèbres,
Laissez le monde en paix.
.
Tremble , tremble pour toi-même.
Crains notre retour ,
Crains Pandore et l'amour.
Le moment suprême
Vole sur tes pas.
Nous allons déchaîner les démons des combats;
Nous ouvrirons les portes du trépas.
Tremble , tremble pour toi-même.
éclairée et riante. Les nymphes des bois et des campagnes
sont de chaque côté du théâtre. )
.
Ah ! trop cruels amis ! pourquoi déchaîniez-vous,
Du fond de cette nuit obscure ,
Dans ces champs fortunés , et sous un ciel si doux,
Ces ennemis de la nature ?
Que l'éternel chaos élève entre eux et nous
Une barrière impénétrable.
L'Enfer implacable
Doit-il animer
Ce prodige aimable
Que j'ai su former ?
Un Dieu favorable
Le doit enflammer.
.
Puisque tu mets ainsi la grandeur de ton être
A verser des bienfaits sur ce nouveau séjour,
Tu méritais d'en être le seul maître.
Monte au ciel , dont tu tiens le jour :
Va ravir la céleste flamme :
Ose former une âme,
Et fois créateur à ton tour.
.
L'amour est dans les cieux : c'est là qu'il faut me rendre :
L'amour y règne sur les Dieux.
Je lancerai ses traits ; j'allumerai ses feux.
C'est le Dieu de mon cœur, et j'en dois tout attendre.
Je vole à son trône éternel :
Sur les ailes des vents l'amour m'enlève au ciel.
.
Volez, fendez les airs ? Et pénétrez l'enceinte
Des palais éternels ;
Ramenez les plaisirs du séjour de la crainte ;
En répandant des biens , méritez des autels.
Fin du premier acte.
ACTE II.
.
Chantez , Nymphes des bois , chantez l'heureux retour
Du demi- Dieu , qui commande à la terre :
Il vous apporte un nouveau jour
Il revient dans ce doux séjour
Du séjour brillant du tonnerre ;
Il revole en ces lieux sur le char de l'Amour.
.
Quelle douce aurore
Se lève sur nous ?
Terre jeune encore,
Embellissez-vous.
Brillantes fleurs, qui parez nos campagnes,
Sommet des superbes montagnes ,
Qui divisez les airs , et qui portez les cieux ;
Ô nature naissante ,
Devenez plus charmante ,
Plus digne de ses yeux.
Je le ravis aux Dieux, je l'apporte à la terre,
Ce feu sacré du tendre amour,
Plus puissant mille fois que celui du tonnerre ,
Et que les feux du Dieu du jour.
.
Fille du Ciel, âme du monde ,
Panez dans tous les cœurs.
L'air , la terre et l'onde
Attendent vos faveurs.
Que ce feu précieux , l'astre de la nature ,
Que cette flamme pure
Te mette au nombre des vivants.
Terre , fois attentive à ces heureux instants :
Lève-toi, cher objet, c'est l'amour qui l'ordonne :
A sa voix, obéi toujours
Lève - toi, l'amour te donne
La vie , un cœur , et de beaux jours.
.
Ciel ! ô ciel ! elle respire !
Dieu d'amour , quel est ton empire !
.
Où suis-je ? et qu'est-ce que je vois ?
Je n'ai jamais été ; quel pouvoir m'a fait naître ?
J'ai passé du néant à l'être ;
Quels objets ravissants semblent nés avec moi !
Ces fons harmonieux enchantent mes oreilles ;
Mes yeux font éblouis de l'amas des merveilles
Que l'auteur de mes jours prodigue sur mes pas.
Ah ! d'où vient qu'il ne paraît pas ?
De moment en moment je pense et je m'éclaire.
Terre , qui me portez , vous n'êtes point ma mère,
Un Dieu sans doute est mon auteur ;
Je le sens , il me parle , il respire en mon cœur.
Ciel! est-ce moi que j'envisage ,
Le cristal de cette onde est le miroir des cieux.
La nature s'y peint : plus j'y vois mon image ,
Plus je dois rendre grâce aux Dieux.
.
Pandore , fille de l'amour ,
Charmes naiflans , beauté nouvelle,
Inspirez à jamais, sentez à votre tour
Cette flamme immortelle,
Dont vous tenez le jour.
.
Quel objet attire mes yeux ?
De tout ce que je vois dans ces aimables lieux ,
C'est vous, c'est vous , sans doute , à qui je dois la vie.
Du feu de vos regards que mon âme est remplie !
Vous semblez encore m'animer.
.
Vos beaux yeux ont su m'enflammer;
Lorsqu'ils ne s'ouvraient pas encore.
Vous ne pouviez répondre , et j'osais vous aimer :
Vous parlez , et je vous adore.
.
Vous m'aimez ! cher auteur de mes jours commencés,
Vous m'aimez! Se je vous dois l'être.
La terre m'enchantait, que vous l'embellissez !
Mon cœur vole vers vous , il se rend à son maître,
Et je ne puis connaître,
Si ma bouche en dit trop , ou n'en dit pas assez.
.
Vous n'en sauriez trop dire , et la simple nature
Parle sans feinte et sans détour.
Que toûjours la race future
Prononce ainsi le nom d'amour.
Charmant amour , éternelle puissance
Premier Dieu de mon cœur ,
Amour , ton empire commence ,
C'est l'empire du bonheur.
.
Ciel, quelle épaisse nuit , quels éclats de tonnerre
Détruisent les premiers instants
Des innocents plaisirs que possédait la terre !
Quelle horreur a troublé mes sens !
La terre frémit , le ciel gronde ;
Des éclairs menaçants
Ont percé la voûte profonde
De ces astres naissans.
Quel pouvoir ébranle le monde
Jusqu'en ses fondements ?
.
Un héros téméraire a pris le feu céleste ;
Pour expier ce vol audacieux
Montez , Pandore , au sein des Dieux.
.
Tyrans cruels !
.
Ordre funeste !
Larmes, que j'ignorais , vous coulez de mes yeux.
.
Obéissez , montez aux cieux.
.
Ah ! j'étais dans le ciel en voyant ce que j'aime.
.
Cruels, ayez pitié de ma douleur extrême.
.
Barbares , arrêtez.
.
Venez , montez aux cieux , partez,
Jupiter commande ;
Il faut qu'on se rende
A ses volontés.
Venez, montez aux cieux , partez.
Vents , obéissez - nous , et déployez vos ailes ;
Vents, conduisez Pandore aux voûtes éternelles.
.
On l'enlève, tyrans jaloux.
Dieux , vous m'arrachez mon partage ;
Il était plus divin que vous ;
Vous étiez malheureux , vous étiez en courroux
Du bonheur , qui fut mon ouvrage;
Je ne devais qu'à moi ce bonheur précieux.
J'ai fait plus que Jupiter même.
Je me suis fait aimer. J'animais ces beaux yeux;
Ils m'ont dit en s'ouvrant, vous m'aimez , je vous aime.
Elle vivait par moi , je vivais dans son cœur.
Dieu jaloux , respecte nos chaînes.
0 Jupiter ! ô fureurs inhumaines !
Eternel persécuteur
De l'infortuné créateur
Tu sentiras toutes mes peines.
Je braverai ton pouvoir :
Ta foudre épouvantable
Sera moins redoutable
Que mon amour au désespoir.
Fin du second acte
ACTE III.
.
.
Je l'ai vu cet objet sur la terre animé ,
Je l'ai vû , j'ai senti des transports qui m'étonnent ;
Le ciel est dans ses yeux , les grâces l'environnent ;
Je sens que l'amour l'a formé.
.
Vous régnez , vous plairez , vous la rendrez sensible.
Vous allez éblouir ses yeux à peine ouverts.
.
Non , je ne fus jamais que puissant et terrible.
Je commande à l'Olympe , à la terre , aux enfers ;
Les cœurs font à l'Amour. Ah ! que le fort m'outrage !
Quand il donna les cieux , quand il donna les mers,
Quand il divisa l'univers ,
L'amour eut le plus beau partage.
.
Que craignez-vous ? Pandore à peine a vu le jour
Et d'elle-même encore à peine a connaissance :
Aurait-elle senti l'amour
Dès le moment de sa naissance ?
.
L'amour instruit trop aisément.
Que ne peut point Pandore ? Elle est femme ; elle est belle.
La voilà , jouissons de son étonnement.
Retirons-nous pour un moment
Sous les arcs lumineux de la voûte éternelle.
Cieux, enchantez ses yeux , et parlez à son cœur ;
Vous déploierez en vain ma gloire et ma splendeur,
Vous n'avez rien de si beau qu'elle.
.
A peine j'ai goûté l'aurore de la vie ,
Mes yeux s'ouvraient au jour , mon cœur à mon amant,
Je n'ai respiré qu'un moment.
Douce félicité , pourquoi m'es-tu ravie ?
On m'avait fait craindre la mort.
Je l'ai connu hélas ! cette mort menaçante.
N'est-ce pas mourir, quand le fort
Nous ravit ce qui nous enchante ?
Dieux , rendez - moi la terre , et mon obscurité,
Ce bocage , où j'ai vu l'amant qui m'a fait naître ;
Il m'avait deux fois donné l'être.
Je respirais , j'aimais , quelle félicité !
A peine j'ai goûté l'aurore de la vie , etc.
.
Que les astres se réjouissent,
Que tous les Dieux applaudissent
Au Dieu de l'univers.
Devant lui les soleils pâlissent.
.
Que le sein des mers,
.
Le fond des enfers,
.
Les mondes divers
Retentissent
D'éternels concerts.
Que les astres, etc.
.
Que tout ce que j'entends conspire à m'effrayer!
Je crains, je hais , je fuis cette grandeur suprême.
Qu'il est dur d'entendre louer
Un autre Dieu que ce que j'aime !
.
Fille du charmant amour
Régnez dans son empire ;
La terre vous désire ,
Le ciel est votre cour.
.
Mes yeux font offensés du jour qui m'environne.
Rien ne me plaît, et tout m'étonne.
Mes déserts avaient plus d'appas.
Disparaissez , ô splendeur infinie
Mon amant ne vous voit pas :
Cessez , inutile harmonie,
Il ne vous entend pas.
.
Nouveau charme de la nature,
Digne d'être éternel,
Vous tenez de la terre un corps faible et mortel,
Et vous devez cette âme inaltérable et pure
Au feu sacré du ciel.
C'est pour les Dieux que vous venez de naître.
Commencez à jouir de la divinité.
Goûtez auprès de votre maître
L'heureuse immortalité..
.
Le néant , d'où je sors à peine ,
Est: cent fois préférable à ce présent cruel ;
Votre immortalité , sans l'objet qui m'enchaîne,
N'est rien qu'un supplice immortel.
.
Quoi ! méconnaissez-vous le maître du tonnerre ?
Dans les palais des Dieux regrettez-vous la terre ?
.
La terre était mon vrai séjour ;
C'est là que j'ai senti l'amour.
.
Non , vous, n'en' connaissez qu'une image infidèle ,
Dans un monde indigne de lui.
Que l’amour tout entier , que sa flamme éternelle,
Dont vous sentiez une étincelle, :
De tous ses traits de feu nous embrase aujourd'hui.
.
Je les ai tous sentis , du moins j'ose le croire ;
Ils ont égalé mes tourments.
Ah ! vous avez pour vous la grandeur et la gloire ;
Laissez les plaisirs aux amans.
Vous êtes Dieu, l'encens doit vous suffire;
Vous Vous êtes Dieu , comblez mes vœux.
Consolez tout ce qui respire ;
Un Dieu doit faire des heureux.
.
Je veux vous rendre heureuse , et par vous je veux l'être.
Plaisirs , qui suivez votre maître ,
Minières plus puissants que tous les autres Dieux,
Déployez vos attraits , enchantez ses beaux yeux.
Plaisirs , vous triomphez dès qu'on peut vous connaître.
.
Aimez , aimez , et régnez avec nous ;
Le Dieu des Dieux est seul digne de vous.
.
Sur la terre on poursuit avec peine
Des plaisirs l'ombre légère et vaine;
Elle échappe et le dégoût la suit.
Si Zéphyre un moment plaît à Flore,
Il flétrit les fleurs qu'il fait éclore ;
Un seul jour les forme et les détruit.
.
Aimez , aimez , et régnez avec nous ;
Le Dieu des Dieux est seul digne de vous.
.
Les fleurs immortelles
Ne font qu'en nos champs.
L'amour et le temps
Ici n'ont point d'ailes.
.
Aimez , aimez, et régnez avec nous ;
Le Dieu des Dieux est seul digne de vous.
.
Oui, j'aime, oui, doux plaisirs, vous redoublez ma flamme;
Mais vous redoublez ma douleur.
Dieux charmants , si c'est: vous qui faites le bonheur ,
Allez au maître de mon âme.
.
Ciel ! ô ciel ! quoi mes soins ont ce succès fatal ?
Quoi ! j'attendris son âme , et c'est pour mon rival !
.
Jupiter, arme-toi du foudre;
Prend tes feux , va réduire en poudre.
Tes ennemis audacieux.
Prométhée est armé , les Titans furieux
Menacent les voûtes des cieux ;
Ils entassent des monts la masse épouvantable.
Déjà leur foule impitoyable
Approche de ces lieux.
.
Je les punirai tous… Seul je suffis contre eux.
.
Quoi , vous le puniriez, vous qui causez sa peine?
Vous n'êtes qu'un tyran jaloux et tout-puissant..
Aimez-moi d'un amour encore plus violent,
Je vous punirai par ma haine.
.
Marchons , et que la foudre éclate devant moi.
.
Cruel ! ayez pitié de mon mortel effroi :
Jugez de mon amour, puisque je vous implore.
.
Prend soin de conduire Pandore
Dieux , que mon cœur est désolé !
J'éprouve les horreurs qui menacent le monde.
L'univers reposait dans une paix profonde;
Une beauté paraît : l'univers est troublé.
.
O jour de ma naissance ! ô charmes trop funestes !
Désirs naissants , que vous étiez trompeurs !
Quoi ? la beauté , l'amour, et les faveurs célestes ,
Tous les biens ont fait mes malheurs ?
Amour , qui m'as fait naître , apaise tant d'alarmes ;
N'es-tu pas souverain des Dieux ?
Viens sécher mes larmes,
Enchaîne et désarmes
La terre et les cieux.
Fin du troisième acte.
ACTE IV.
.
Oui, nos frères et nous , et toute la nature,
Ont senti ta cruelle injure.
La terrible vengeance est déjà dans nos mains ;
Vois-tu ces monts pendants en précipices?
Vois-tu ces rochers entassés ?
Ils feront bientôt renversés
Sur les barbares Dieux , qui nous ont offensés.
Nous punirons les injustices
De ces tyrans jaloux , par nos mains terrassés.
.
Terre, contre le ciel apprends à te défendre.
Trompettes et tambours , organes des combats ,
Pour la première fois vos sons se font entendre ;
Eclatez , guidez nos pas.
Le ciel fera le prix de votre heureux courage.
Amis , je ne prétends que Pandore et sa foi.
Laissez-moi ce juste partage ;
Marchez , Titans, et suivez- moi.
.
Courons aux armes
Contre ces Dieux cruels;
Répandons les alarmes
Dans les cœurs immortels.
Courons aux armes,
Vengeons l'univers.
.
Le tonnerre en éclats répond à nos trompettes.
Jupiter quitte ses retraites ;
La foudre a donné le signal :
Commençons ce combat fatal.
.
qui bordent le théâtre.
Tambours , trompettes et tonnerre ,
Dieux et Titans , que faites-vous ?
Vous confondez , par vos terribles coups,
Les enfers, le ciel et la terre.
.
Cédez , tyrans de l'univers ;
Soyez punis de vos fureurs cruelles.
Tombez , tyrans.
.
Mourez, rebelles.
.
Tombez ? descendez dans nos fers.
.
Précipitez-vous aux enfers.
.
Terre, ciel, ô douleur profonde !
Dieux, Titans, calmez mon effroi.
J'ai causé les malheurs du monde ;
Terre , ciel , tout périt pour moi.
.
Lançons nos traits.
.
Frappez, tonnerre.
.
Renversons les Dieux.
.
Détruisons la terre.
Ensemble.
Tombez , descendez dans nos fers;
Précipitez-vous aux enfers.
.
Arrêtez , le Destin , qui vous commande à tous ,
Veut suspendre vos coups.
.
Etre inaltérable,
Souverain des temps,
Dicte à nos tyrans
Ton ordre irrévocable.
.
O Destin, parle , explique-toi.
Les Dieux fléchiront sous ta loi.
. AU MILIEU DES DIEUX , QUI SE RASSEMBLENT AUTOUR DE LUI.
Cessez , cessez , guerre funeste ,
Ce jour forme un autre univers.
Souverains du séjour céleste ,
Rendez Pandore à ses déserts.
Dieux , comblez cet objet de tous vos dons divers.
Titans, qui jusqu'au ciel avez porté la guerre
Malheureux , soyez terrassés ;
A jamais gémissez
Sous ces monts renversés ,
Qui vont retomber sur la terre.
.
O Destin, le maître des Dieux
Est l'esclave de ta puissance.
Eh bien ! sois obéi ; mais que ce jour commence
Le divorce éternel de la terre et des cieux.
Némésis , sors des sombres lieux.
Séduit le cœur , trompe les yeux
De la beauté qui m'offense.
Pandore , connait ma vengeance ,
Jusques dans mes dons précieux.
Que cet instant commence
Le divorce éternel de la terre et des cieux.
Fin du quatrième acte.
ACTE V.
.
EH quoi, vous me quittez , cher amant, que j'adore ?
Etes-vous Soumis ou vainqueur?
.
La victoire est à moi , si vous m'aimez encore.
L'Amour et le Destin parlent en ma faveur.
.
Eh quoi, vous me quittez , cher amant, que j'adore ?
.
Les Titans sont tombés, plaignez leur sort affreux.
Je dois soulager leur chaîne.
Apprenons à la race humaine
A secourir les malheureux.
.
Demeurez un moment.
Voyez votre victoire.
Ouvrons ce don charmant du souverain des Dieux.
Ouvrons.
.
Que faites-vous ? Hélas ! daignez me croire.
Je crains tout d'un rival , et ces soins curieux
Sont des pièges nouveaux , que vous tendent les Dieux.
.
Quoi ! vous pensez ?
.
Songez à ma prière ,
Songez à l'intérêt de la nature entière ,
Et du moins attendez mon retour en ces lieux.
.
Eh bien , vous le voulez ? il faut vous satisfaire.
Je soumets ma raison ; je ne veux que vous plaire.
Je jure, je promets à mes tendres amours De vous croire toujours.
.
Vous me le promettez ?
.
J'en jure par vous -même.
On obéit dès que l'on aime.
.
C'en est assez , je pars , et je fuis rassuré.
Nymphes des bois , redoublez votre zèle,
Chantez cet univers détruit et réparé.
Que tout s'embellisse à son gré,
Puisque tout est formé pour elle.
.
Voici le siècle d'or, voici le tems de plaire.
Doux loisir ! Ciel pur , heureux jours ,
Tendres amours ,
La nature est votre mère ,
Comme elle durez toujours.
.
La discorde , la triste guerre
Ne viendront plus nous affliger :
Le bonheur est né sur la terre ;
Le malheur était étranger.
Les fleurs commencent à paraître ;
Quelle main pourrait les flétrir ?
Les plaisirs s'empressent de naître ;
Quels tyrans les feraient périr ?
.
Voici le siecle d'or , etc.
.
Vous voyez l'éloquent Mercure;
Il est avec Pandore , il confirme en ces lieux,
De la part du maître des Dieux ,
La paix de la nature.
.
Je vous l'ai déja dit, Prométhée est jaloux ;
Il abuse de sa puissance.
{{Personnage|PANDORE.
Il est l'auteur de ma naissance ,
Mon Roi, mon amant , mon époux.
.
Il porte à trop d'excès les droits qu'il a sur vous.
Devait-il jamais vous défendre
De voir ce don charmant, que vous tenez des Dieux
.
Il craint tout ; son amour est tendre,
Et j'aime à complaire à ses vœux.
.
Il en exige trop , adorable Pandore ;
Il n'a point fait pour vous ce que vous méritez.
Il put en vous formant vous donner des beautés,
Dont vous manquez peut-être encore.
.
Il m'a fait un cœur tendre , il me charme , il m'adore ;
Pouvait-il mieux m'embellir ?
.
Vos charmes périront.
.
Vous me faites frémir.
.
Cette boëte mystérieuse
Immortalise la beauté.
Vous ferez, en ouvrant ce trésor enchanté,
Toujours belle, toujours heureuse.
Vous régnerez sur votre époux ;
Il fera sournis et facile.
Craignez un tyran jaloux,
Formez un sujet docile.
.
Non, il est mon amant, il doit l'être à jamais ;
Il est mon Roi, mon Dieu , pourvu qu'il soit fidele.
C'est pour l'aimer toujours qu'il faut être immortelle ;
C'est pour le mieux charmer , que je veux plus d'attraits.
.
Ah ! c'est trop vous en défendre;
Je fers vos tendres amours ;
Je ne veux que vous apprendre
A plaire , à brûler toujours.
.
Mais n'abusez-vous point de ma faible innocence ?
Auriez-vous tant de cruauté ?
.
Ah. ! qui pourrait tromper une jeune beauté ?
Tout prendrait votre défense.
.
Hélas ! je mourrais de douleur,
Si je méritais sa colère,
Si je pouvais déplaire
Au maître de mon cœur.
.
Au nom de la nature entière ,
Au nom de votre époux , rendez -vous à ma voix.
.
Ce nom l'emporte , et je vous crois;
Ouvrons.
Quelle vapeur épaisse , épouvantable,
M'a dérobé le jour et troublé tous mes sens ?
Dieu trompeur ! Ministre implacable!
Ah quels maux affreux je ressens !
Je me vois punie et coupable.
.
Fuyons de la terre et des airs.
Jupiter est vengé, rentrons dans les enfers.
ARRIVE AU FOND DU THEATRE.
O surprise ! ô douleur profonde !.
Fatale absence ! horribles changements !
Quels astres malfaisants.
Ont flétri la face du monde ?
Je ne vois point Pandore , elle ne répond pas:
Aux accents de ma voix plaintive.
Pandore ! mais hélas ! de l'infernale rive
Les monstres déchaînés volent dans ces climats.
LES FURIES ET LES DEMONS ACCOURANT SUR LE THEATRE.
Les temps sont remplis ;
Voici notre empire ;
Tout ce qui respire ,
Nous sera soumis.
La triste froidure,
Glace la nature
Dans les flancs du Nord.
La crainte tremblante,
L'injure arrogante,
Le sombre remord ,
La guerre sanglante ,
Arbitre du fort ;
Toutes les furies
Vont avec transport
Dans ces lieux impies
Apporter la mort.
.
Quoi ! la mort en ces lieux s'est donc fait un passage !
Quoi, la terre a perdu son éternel printemps,
Et ses malheureux habitants
Sont tombés en partage
A la fureur des Dieux , de l'enfer et du temps
Ces nymphes de leurs pleurs arrosent ce rivage.
Pandore ! cher objet, ma vie et mon image,
Chef- d'œuvre, de mes mains, idole de mon cœur
Répondez à ma douleur.
Je la vois, de ses sens elle a perdu l'usage.
.
Ah ! je suis indigne de vous;
J'ai perdu l'univers.
J'ai trahi mon époux.
Punissez - moi : nos maux font mon ouvrage.
Frappez !
.
Moi la punir !
.
Frappez, arrachez-moi Cette vie odieuse ,
Que vous rendiez heureuse, Ce jour que je vous doi.
.
Tendre époux , essuyez ses larmes, Faites grace à tant de beauté ; L'excès de sa fragilité, Ne saurait égaler ses charmes.
.
Quoi ! malgré ma prière , et malgré vos serments , Vous avez donc ouvert cette boëte odieuse ?
.
Un Dieu cruel, par ses enchantements, A séduit ma raison faible et trop curieuse.
O fatale crédulité !
Tous les maux sont sortis de ce don détesté :
Tous les maux sont venus de la triste Pandore.
. DESCENDANT DU CIEL.
Tous les biens font à vous, l'amour vous reste encore.
L' AMOUR CONTINUE.
Je combattrai pour vous le Destin rigoureux.
Aux humains j'ai donné l'être,
Ils ne feront point malheureux,
Quand ils n'auront que moi pour maître.
.
Consolateur charmant, Dieu digne de mes vœux ,
Vous , qui vivez dans moi , vous l’âme de mon âme,
Punissez Jupiter en redoublant la flamme,
Dont vous nous embrasez tous deux.
Le ciel en vain sur nous rassemble
Les maux , la crainte et l'horreur de mourir.
Nous souffrirons ensemble, Et c'est ne point souffrir.
.
Descendez , douce espérance ,
Venez , désirs flatteurs,
Habitez dans tous les cœurs,
Vous ferez leur jouissance.
Fumez-vous trompeurs ,
C'est vous qu'on implore;
Par vous on jouit,
Au moment qui passe et qui fuit
Du moment qui n'est pas encore.
.
Des destins la chaîne redoutable
Nous entraîne à d'éternels malheurs :
Mais l'espoir à jamais secourable,
De ses mains viendra sécher nos pleurs.
.Dans nos maux il fera des délices,
Nous aurons de charmantes erreurs ,
Nous ferons au bord des précipices,
Mais l'amour les couvrira de fleurs.
Fin du cinquième et dernier acte.