Panthéon égyptien/58

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Panthéon égyptien, collection des personnages mythologiques de l'ancienne Égypte, d'après les monuments
Firmin Didot (p. 121-124).

AHA, AHI, AHÉ ou ÉHÉ,

la vache divine.
Planches 23 (D), (E)

Le taureau, le bœuf et la vache, qui vivent dans des climats si opposés, jouent aussi un grand rôle dans le système cosmogonique et les croyances religieuses de nations qui sont d’origines différentes ; l’Europe, l’Afrique et l’Asie, ont également compris ces animaux dans leurs rites, leurs symboles et leurs allégories ; et les voyageurs racontent qu’on montre encore au Japon, dans une pagode célèbre, un taureau d’or massif placé sur un autel : son cou est orné d’un collier précieux, et il frappe de ses cornes un œuf flottant sur la surface des eaux. Les docteurs du pays expliquent très-bien cette action : cet œuf, au temps du chaos, contenait le monde et flottait sur les eaux ; il se fixa sur une matière solide venue du fond de la mer à sa surface par l’attraction de la Lune ; et un taureau, dont ces docteurs ne disent pas l’histoire, fit sortir le monde de cet œuf en le frappant avec ses cornes : en même temps il anima l’homme par son souffle. Tous les mythographes ont aussi parlé, bien ou mal, du taureau et de la vache figures sur les monuments religieux des Égyptiens. Nous aurons bientôt l’occasion de montrer le taureau dans une scène symbolique très-intéressante pour l’explication de quelques traditions grecques ; nous nous occuperons d’abord de la vache divine qui se voit fréquemment dans les monuments de l’ancienne Égypte.

La dernière grande division des Rituels funéraires égyptiens, qui contient les oraisons et les supplications adressées au nom du défunt aux plus grandes divinités du pays, à celles qui tenaient le rang suprême dans les régions célestes, présente presque toujours, parmi les peintures qui la décorent, l’image d’une vache décorée d’ornements assez variés, mais dont la tête est constamment surmontée d’un disque peint en rouge, et flanquée de deux grandes feuilles ou plumes de couleurs variées. Le col de cet animal est orné d’un collier, auquel est suspendu tantôt l’emblème de la vie divine (la croix ansée), tantôt la tête de femme à oreilles de vache, symbole de la Vénus égyptienne[1]. Le corps de la vache est blanc ou bien peint en jaune clair, et la housse qui parfois le recouvre est ordinairement rouge.

Le nom hiéroglyphique de cette génisse sacrée se présente sous plusieurs formes différentes, mais exprimant toutes les mêmes sons d’une manière plus ou moins complète. La forme la plus ordinaire (légende no 2), peut se transcrire en lettres coptes ⲁϩⲁ, ⲁϩⲉ, ⲁϩⲓ, ou bien ⲉϩⲑ, ⲉϩⲓ. La légende no 3 ne diffère de la précédente que par l’emploi d’un caractère homophone, la feuille à la place de l’oiseau, et la légende no 4 n’en est qu’une abréviation terminée par le caractère , signe du genre feminin, exprimé dans les autres noms hiéroglyphiques par et , marques constantes de ce genre dans la langue égyptienne parlée. Dans quelques textes, au lieu du nom propre même, on lit la simple qualification la grande vache-reine ou déesse (légende no 5).

L’importance du rôle que jouait dans la mythologie égyptienne cette génisse considérée non comme un simple animal sacré nourri dans un temple, mais comme forme symbolique propre à un être divin, est suffisamment dénotée par la légende no 1 qui accompagne souvent son image dans les papyrus hiéroglyphiques : Ahé (vache) la grande, génératrice du dieu soleil.

Ainsi le dieu Phré ou le Dieu-Soleil (Hélios) qui, dans la théogonie égyptienne, fut considéré comme le père de tous les dieux de la seconde ou de la troisième classe, devait la naissance à la vache Ahé ; cet être mythique fut donc aussi une des principales divinités, l’une des plus anciennes et par suite des plus vénérées, puisque, dans l’olympe égyptien, l’ordre seul de la naissance réglait toujours le rang et l’importance de chaque divinité.

L’extrême incertitude des signes de voyelles, dans la partie phonétique de tous les textes hiéroglyphiques, ne nous permet point encore de décider si le nom de la grande vache sacrée, lu ⲁϩⲉ (Ahé) ou ⲁϩⲓ (Ahi), doit être rapporté au mot égyptien ⲁϩⲉ ou ⲁϩⲓ, la vie, vita, l’ame (anima), ou bien aux mots ⲁϩⲏ[2] ou ⲉϩⲉ (Ahi, Éhé) qui, dans différents dialectes de la langue égyptienne, signifient bœuf et vache. J’avoue, toutefois, que la présence habituelle de l’image d’une vache à la suite de ce nom propre phonétique, me porte à préférer le second rapprochement au premier, et à ne voir, dans le groupe hiéroglyphique phonétique, que les sons de la langue parlée répondant au caractère figuratif vache qui les suit immédiatement. Je pourrais citer un très-grand nombre de groupes phonétiques accompagnés ainsi d’un caractère figuratif représentant au propre l’objet exprimé par les signes de son.

On a déja dit (explication des planches 23 et 23 (A)) que, selon la doctrine égyptienne telle que les monuments eux-mêmes nous la présentent, le dieu Phré, ou le Soleil, était regardé comme le premier né de la déesse Bouto, ou la nuit primordiale personnifiée. La vache divine Ahé étant aussi produite comme mère du même dieu par des autorités semblables, il est tout naturel de penser que cette vache ne fut qu’une des formes symboliques données à la déesse Bouto considérée dans certaines attributions particulières. C’est ce que confirme pleinement le tableau emblématique gravé sur notre planche 23 (E), que je trouve sculpté, au milieu d’une foule d’autres également importants, sur le fameux torse égyptien qui fit jadis partie de la belle collection du cardinal Borgia.

La vache divine est debout sur un énorme uræus ou aspic, dont la tête est celle d’un lion surmontée du disque solaire ; l’uræus est ailé, et sa queue se termine par une tête de bélier. Au col de la vache est sus pendu l’emblème de la vie divine, et on a figuré vers ses pieds antérieurs l’œil sacré, symbole du Soleil. Le bélier, emblème d’Amon-Ra, comme le prouve sa coiffure décorée des deux longues plumes du dieu, est accroupi et repose sur le dos de la vache Ahé.

Il serait difficile, sans risquer de tomber dans de très-graves erreurs, de vouloir pénétrer, d’après l’état actuel de nos connaissances sur les mythes sacrés des égyptiens, dans le sens intime du tableau symbolique figuré sur le torse du musée Borgia. Contentons-nous d’y reconnaître avec certitude la mère du Soleil mise en contact avec le démiurge Amon-Ra, le père des dieux et la source première de toute génération céleste et terrestre. La légende en caractères hiéroglyphiques, qui accompagne et explique en quelque sorte cette bizarre composition, établit clairement ce que de simples considérations tirées de faits reconnus nous portaient à supposer déja, savoir : que Ahé, ou la vache divine, n’est qu’une des formes emblématiques de la déesse Bouto, la Latone égyptienne. L’inscription de ce tableau porte en effet (planche 23 (E), légende no 1) : Bouto-Ahé génératrice du Soleil, ou si l’on veut Bouto vache génératrice du Soleil. Les mots ⲁϩⲉ, et ⲙⲁⲥ (génératrice), sont écrits en abrégé dans le texte original.


Notes
  1. Voyez planches 17 (A), 17 (B), et leur explication.
  2. Isaie, I, 3 ; texte baschmourique.

——— Planche 23 (D) ———

——— Planche 23 (E) ———