Panthéon égyptien/77

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Panthéon égyptien, collection des personnages mythologiques de l'ancienne Égypte, d'après les monuments
Firmin Didot (p. 171-172).

MNÉVIS.

(taureau consacré au dieu phré.)
Planche 38

D’importants et nombreux témoignages, épars dans les écrits des auteurs grecs et latins, établissent qu’à Héliopolis, ville de l’Égypte inférieure, voisine du sommet du Delta, et connue dans l’antiquité par son docte collége de prêtres, on nourrissait religieusement, en l’honneur du dieu éponyme de la cité, un taureau nommé Mnévis, ΜΝΕΥΙΣ[1]. L’inscription de Rosette en citant, comme l’un des motifs du décret qui décerne de grands honneurs au roi Ptolémée Épiphane, les dons offerts à Mnévis[2] par la pieuse libéralité de ce prince, prouve l’extrême vénération que l’on portait à cet animal symbolique. Il n’est point douteux que, comme le taureau sacré de Memphis, celui d’Héliopolis fût logé dans un édifice somptueux, qui était à la fois la demeure et le temple de cette image vivante du dieu de la lumière, auquel les habitants du nome héliopolite rendaient un culte si assidu.

C’est à ces faits seulement que se bornent en général les documents les classiques anciens sur le taureau sacré Mnévis. D’après un passage de Porphyre, cité par Eusèbe[3], cet animal, qui surpassait en grosseur tous ceux de son espèce, était de couleur noire, circonstance également notée par l’auteur du traité d’Isis et d’Osiris ; Porphyre prétend que cette couleur faisait allusion à la chaleur du Soleil, dont l’effet est de noircir la peau des hommes qui y sont habituellement exposés, et il ajoute : Testiculos habet (Mnevis) prægrandes quod rei venereæ cupiditas vî caloris excitetur, ipsaque adeo sol naturam inseminare dicatur. Les monuments égyptiens seuls peuvent décider jusqu’à quel point nous devons avoir confiance dans les détails que donne Porphyre sur le taureau fournis par Mnévis. Malheureusement il ne reste rien des temples qui ornaient jadis la ville d’Héliopolis, et l’on ne peut plus chercher parmi leurs bas-reliefs l’image de l’animal sacré, qu’il serait si intéressant de retrouver sur les lieux mêmes où il fut particulièrement honoré. Pignorius était tenté de reconnaître Mnévis dans l’un des taureaux représentés sur la table isiaque[4] ; mais ce monument n’est qu’un ouvrage d’imitation et d’une époque peu reculée ; rien d’ailleurs n’autorisait encore ce savant à donner le nom de Mnévis à l’image d’un taureau qui ne réunit évidemment aucun des caractères indiqués par Porphyre.

L’unique monument original et d’ancien style égyptien sur lequel nous ayons reconnu une représentation authentique de Mnévis, existe dans le Musée royal égyptien de Turin : sur le couvercle du cercueil extérieur de la momie d’un prêtre nommé Schebamon, sont peints deux taureaux ; l’un, entièrement de couleur noire, est accompagné d’une légende hiéroglyphique qui se lit ; le dieu Api ou Apévé ; c’est Apis ou Epaphus, l’animal sacré de Memphis ; l’autre taureau (voyez notre planche 37) est, au contraire, de couleur jaune clair, et son nom propre se lit sans difficulté : le dieu MNÉ ; c’est évidemment l’orthographe égyptienne du nom que les Grecs ont écrit ΜΝΕ-ΥΙΣ, et les Latins mne-vis. Cet animal sacré porte entre ses cornes le disque du soleil qu’il représentait sur la terre ; à son cou est attaché un riche collier, dont le fermoir retombe sur sa croupe ; son dos est couvert d’une housse à fond rouge, surmontée du fouet, symbole de l’incitation ; devant le taureau sacré on a figuré l’uræus, emblème de la domination sur les régions supérieures.

Cette curieuse peinture, reproduite dans notre planche 37, légitime la conjecture de Pignorius, et nous donne en même temps le droit de croire que Porphyre a, par erreur, attribué à Mnévis les caractères particuliers à l’un des autres taureaux sacrés de l’Égypte, Onouphis ou Pacis, selon toute apparence.


Notes
  1. Diodore de Sicile, liv. I, pag. 79, édit. de Rhodoman. – Strabon, liv. XVI, pag. 553, édit. de Is. Casaubon. – Macrobe, Saturnales, liv. I, § 21. – Ælien, Histoire des Animaux, liv. XI, chap. 10. — Plutarque, Traité d’Isis et d’Osiris.
  2. τῳ τε Απει και τῳ ΜΝΕΥΕΙ πολλα ἐδωρησατο. ligne 31.
  3. Préparation évangélique, liv. III, chap. 13.
  4. Mensa Isiaca.

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