Aller au contenu

Papineau, son influence sur la pensée canadienne/Chapitre V

La bibliothèque libre.


CHAPITRE V.

PIERRE DU CALVET. — TOLÉRANCE DES PREMIERS CANADIENS


Un qu’il faut restituer à l’histoire, c’est du Calvet, un huguenot, qui inaugura la période glorieuse de nos annales. Jusqu’en 1762, notre histoire est greffée sur celle de la France. C’est à cette date que nous prenons nos destinées en mains. Nous cessons dès lors d’être en tutelle. Nos administrateurs ne sont plus des mannequins dont la cour de sa Majesté très chrétienne tire les ficelles. La première protestation contre le régime anglais vient de Pierre du Calvet. Il avait pour secrétaire Pierre Roulaud, ex-jésuite, qui devint par la suite son collaborateur dévoué. Voici ce que ce dernier écrivait de son patron, à M. Montigny de Louvigny, le 13 août 1784, trois ans avant la naissance de Papineau : « Le livre de Du Calvet a déjà commencé à éclairer l’Angleterre qui méprisait notre religion et nos personnes… Je n’ai trouvé personne dans cette capitale qui ait osé nier les principes de Du Calvet. Je vous le répète, tout ce que l’on blâme dans son livre c’est d’avoir parlé comme le catholique le plus zélé pouvait le faire… Il faut convenir que c’est un honnête protestant… » Un honnête protestant ! Voilà un accouplement de mots assez bizarre et qui brutalise nos préjugés.

On sait que Du Calvet périt tragiquement en revenant d’Angleterre où il avait été délégué pour défendre les Canadiens-français contre le tyran Haldimand. Il plaida également la cause de l’Église catholique opprimée par les Anglais. Cet titre de défenseur de la religion aurait dû lui valoir une page dans l’Histoire du Canada des Frères des Écoles Chrétiennes. Mais il partage avec Papineau l’honneur de ce silence éloquent dont on enveloppe comme d’un suaire ceux que l’on veut rouler dans le néant. C’est un bienfait du destin pour Papineau de n’être pas confondu avec les lampions tremblotants, les quinquets fumeux qui brûlent en s’éteignant dans les beaux chandeliers d’or où la partialité les a fixés.

M. Barthe dans ses « Souvenirs politiques » a rendu hommage au grand protestant, ce qui prouve qu’il n’y avait pas d’esprit sectaire chez les vieux Canadiens : « Seul l’héroïque Calvet, écrit-il, fit un rempart de son corps à sa race en protégeant, bien que huguenot, ses droits civils et religieux au nom de la justice divine, puisqu’on faisait si lestement fi de celle qu’avaient établie et consacrée les Francs. » Il importe d’ouvrir ici une parenthèse pour mettre une question au point. Sans nier ce que le clergé a fait dans la Nouvelle-France pour la conservation de la langue française, il est bon de rappeler ce que l’Église doit à l’esprit laïque. Toute la reconnaissance ne saurait être d’un côté. Il est certain que si les Canadiens-français avaient voulu sacrifier leurs prêtres, ils auraient obtenu toutes les prérogatives qu’ils réclamaient. Souvent, on leur mit le marché en mains, mais ces braves gens refusèrent le denier de Judas. Ils firent preuve d’une ampleur d’esprit dont beaucoup sont incapables aujourd’hui. Après s’être servi de Du Calvet et de Papineau pour arriver à leurs fins, les catholiques qui ont écrit l’histoire les ostracisent par un demi-silence dont l’injustice est flagrante. Il faut beaucoup d’élévation de caractère pour épouser, au nom du droit commun, une cause qui vient à l’encontre de ses sympathies religieuses. Est-ce qu’il n’est pas dans l’intérêt de toute religion de glorifier la vertu ? L’abaissement des caractères est venu parce que l’on n’a pas élevé d’autel à l’Honneur. Les Grecs dressèrent un temple au « dieu inconnu, » pourquoi n’en pas faire autant chez nous pour cette divinité qui n’a pas de culte ni de rite, mais à qui nous sommes redevables des plus beaux traits de notre histoire ?

Il manquerait de belles pages à nos annales, si nous arrachions celles qu’écrivirent Du Calvet, Murray, Roebuck, Papineau, Nelson, Hindelang, Perrault, McGill, Doutre, Joly, Beaugrand et tant d’autres qui n’avaient pas nos croyances. Cette abstention systématique nécessitera un de ces jours l’exhumation de ces morts sublimes à qui la Patrie reconnaissante doit plus qu’un tardif tribut floral, une mise en valeur de leur vie et de leurs œuvres. En attendant, faisons-leur notre humble salut, tout en regrettant de n’avoir pas pour cela un de ces larges chapeaux à panache que les grands de jadis abaissaient avec un si joli geste devant le courage et la beauté.

Dans le parti de la révolution on retrouve tous les principes du nationalisme, moins la forme doctrinaire, de date assez récente, que lui ont imprimée MM. Trudel et Tardivel. Fournier et Asselin n’ont pas découvert le nationalisme qui est tout entier dans les 92 résolutions de Papineau, Bédard et Morin, mais ils l’ont remis à l’actualité et rendu pimpant, crâne, bravache, déterminé, avec une allure de mousquetaire. Ce fut une résurrection plutôt qu’une création. L’amour du sol était la base de la politique d’antan : « Notre langue, nos institutions, nos lois, » comme l’avait inscrit Bédard à l’entête de son journal Le Canadien. Le clergé et l’État marchaient la main dans la main, mais aucun ne prétendait écraser l’autre, ayant chacun un idéal différent dont la confusion aurait été une pierre d’achoppement à leur action respective. Le premier prêtre assez hardi pour avoir osé dicter des lois à Papineau, à Bourdage, à Réal de Saint-Vallier, à Quesnel, à Bédard, aurait été poliment, mais fermement, renvoyé à son presbytère.

Ce n’est que plus tard, quand les partis se servirent de la religion comme moyen d’arriver que les prêtres furent priés d’entrer dans l’arène, ce dont ils n’eurent pas à se louer, car la période qui suivit la révolution est remplie par l’histoire de leurs luttes avec l’État, dont M. David nous a donné un résumé clair, dans son ouvrage « L’Union des deux Canadas », qui confirme tacitement son livre interdit par la congrégation de l’Index, le seul livre canadien jouissant de cette distinction.

Il a pu brûler les pages condamnées, mais l’esprit qui les anima est tout entier dans l’Union des deux Canadas, livre de courage et de sensibilité, qui constitue avec les patriotes de 37, le meilleur, le plus vibrant, de son œuvre. C’est lui qui a rescapé les pauvres héros, dont la mémoire ne serait plus qu’un peu de fumée dans la nuit, s’il n’avait consacré les années de son âge mûr à les remettre en lumière, à dissiper l’ombre qu’on avait sciemment accumulée sur leur face. Il claironna leur nom le jour de notre fête nationale, il dramatisa leur héroïsme, il a fait de sa vaillance et de son patriotisme le piédestal de leur statue. Si plus tard ces beaux types de notre race sont couchés dans le bronze, il devra y avoir une place sur le monument pour celui qui les rendit à l’immortalité.