Paques (Verlaine)

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Œuvres posthumesMesseinPremier volume (p. 81-82).

PAQUES


Dic nobis, Maria
quem vidisti in via ?


De Rome, hier matin, les cloches revenues
Exhalent un concert glorieux dans les nues.

L’écho puissant qui flue et tombe de la tour
Vient magnifier l’air et la terre à leur tour.

L’oiseau, sanctifié par l’or des salves saintes
Lui-même entonne un hymne aimable et, las de plaintes,

Clame l’alléluia sur un air de chanson,
Dans l’arbre, au ras des prés, et parmi le buisson.

L’alouette, un motet au bec, s’est envolée ;
Le rossignol a salué l’aube emperlée

D’accents énamourés d’un amour plus brûlant,
Et comme lumineux d’un bonheur calme et lent.


Le printemps, né d’hier, allègrement frissonne ;
La nature frémit d’aise, et voici que sonne

Partout dans la campagne, au cœur des vieux beffrois,
De l’altier campanile et du palais des rois,

Et de tous les fracas religieux des villes,
Des Paris aux Moscous, des Londres aux Sévilles,

Le frais appel pour l’alme célébration
De l’almissime jour de résurrection…

La colombe vole au sillon et l’agneau broute.
Dis-nous, Marie, qui tu rencontras en route ?

Le fleuve est d’or sous le soleil renouvelé…
« C’est le Seigneur : en Galilée il est allé ! »

— Ah ! que le cœur n’est-il lavé dans l’or du fleuve !
Sanctifiée en l’or des cloches, l’âme veuve !

Et que l’esprit n’est-il humble comme l’agneau,
Blanc comme la colombe en ce clair renouveau,

Et que l’homme, jadis conscience introublée,
N’est-il en route encore pour la Galilée !