Par la harpe et par le cor de guerre/Élégie des Marins

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II

ÉLÉGIE DES MARINS


Les mois noirs sont arrivés : — Avec eux le mauvais temps est venu, — Le temps cruel, impitoyable — Pour ceux qui sont dehors chaque jour.

Dans la fureur du jour et de la nuit, — Sans un arrêt, sur ma maison close, — La vieille demeure qui gémit et qui tremble, — J’entends le vent passer.

Parfois il arrive, tranquille, — Et siffle gaiement à chaque interstice ; — Mais tout à coup il rassemble ses forces — Pour s’élancer comme un cheval emporté.

Les grands arbres les plus vigoureux — Sont tordus par la bête effrayante ; — Et les maisons sur les collines — Ont leurs toits arrachés.

Les feuilles et la paille volent — À travers l’atmosphère humide, pleine de rumeurs, — De rumeurs et (l’obscurité, — Dans le tourbillon de la tourmente,

Oh ! quel affreux temps est venu ! — Pluie et vent de tout côté, — Chaque jour, dans la vallée, sur la colline ; — Aujourd’hui est pire qu’hier.



Malgré le temps qui fait rage, — Le pauvre laboureur, — Depuis l’aube et sans cesse, — Bêche les champs pour le blé.

Mais d’autres sont encore à plaindre — Qui gagnent leur vie au milieu des dangers, — Dans une barque ballottée — Sur la profonde mer désentravée.

Ceux-là sont constamment en face — De la mort horrible, dans leur bateau : — Le bateau vibre et grince — De la cime aux profondeurs du sillon liquide.

Nul ne sait quelle vie — Ont là-bas les gens de mer, — Au loin, parmi les tempêtes, — Eux, les laboureurs des vagues.

Ô vous, dans votre lit chaud, la nuit, — Savez-vous quand, comment — Et où, sur la mer, mourront — Les pauvres matelots de notre pays ?

Dans les arbres, le vent sauvage hurle, — Mais vous dormez dans votre lit ; — Fenêtres et portes sont bien closes : — Vous n’entendez pas la mer en furie.

Trois fois j’ai fait le tour de la terre, — Car sur la mer j’ai longtemps erré, — Et trois fois j’ai vu la mort m’apparaître — Entre l’eau et les cieux.

Aussi quand vient le temps effréné, — Mon esprit par- court l’immensité, — L’immensité des mers furieuses, — À la suite de tous les marins.

Encore si le cadavre venait — Vers la mère-patrie, sur le flux, — Alors sur la terre bénite — S’en iraient prier l’épouse et l’enfant !

L’autre jour, devant le seuil de ma cour, — Une jeune femme, éperdument, criait, — Allant chercher le corps de son époux, — Noyé au port de Saint-Malo.

Mais combien qui ne viendront pas — À leur vieille paroisse pour le sommeil suprême ! — Jetés d’un côté, jetés de l’autre — Il ne parviendra d’eux aucune nouvelle.

Quand le vent hurlera à votre porte, — Priez pour les gens de mer — Madame Marie de Bon-Secours — Qu’elle les sauve de l’eau.