Par la harpe et par le cor de guerre/Le Réveil celtique

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XII

LE RÉVEIL CELTIQUE


i


Un ange s’est élevé, nul ne sait d’où ; — Sur ses deux ailes vigoureuses il a plané au-dessus de la colline ; — Sa trompette rayonnante répand partout la terreur.

Que se passe-t-il de nouveau ? Serait-ce l’heure finale ? — Les vibrations du cuivre pénètrent jusqu’aux profondeurs de la tombe… — Serait-ce le jour de la Résurrection !


— Homme, ta tête était trop orgueilleuse, — Homme sans cœur, homme sans règle : — L’heure de la déchéance a sonné pour toi.

Par toi les fruits sont cueillis ; — La fleur est brûlée par ton haleine ; — Tu as fait de la terre un amas de ruines.

Tu as profané l’œuvre du Créateur ; — Homme sans âme et sans souci, — Pour toi les temps sont écoulés,

— Celtia ! Celtia ! réveille-toi et monte dans la gloire, — Celtia, si longtemps foulée sous le sol, — Relève-toi, aujourd’hui, Celtia, sainte Race, Race sans égale.

La terre était souillée, la terre allait périr ; — Avant l’août les hommes avaient fait la moisson ; — Les greniers sont vides de grain, les berceaux vides d’enfants.

À toi, ô Celtia ! de sauver le monde ; — Tu creuseras les sillons et tu sèmeras le froment, — Ô Celtia sainte, tu feras obstacle à la Nécessité.


ii

Dans les quatre coins d’un antique cimetière, — Où l’herbe haute se mêle aux ronces, — Quatre pierres sépulcrales se sont renversées.

Une femme est sortie de chaque tombe. — Et sous les fleurs des églantiers, — Pour démêler leur chevelure elles sont allées s’asseoir.

Leurs cheveux tombaient sur leurs épaules, — Épais et beaux et longs, plus longs que la folle avoine, — Fins, blancs comme la neige.

Elles buvaient le parfum de l’if et du buis… — Les rayons solaires, tamises par les arbres, — Mettaient une clarté vivante dans leurs yeux caves.

La vigueur venait peu à peu — Aux quatre soins qui étaient aussi quatre mères : — Et voici qu’elles ont retrouve leur première jeunesse.

Elles savent qu’en certain lieu de ce cimetière — Elles ont encore une sœur inhumée, — Laquelle se lèvera quand l’heure aura sonné pour elle.

Car les cinq sœurs sont des fées : — La mort n’est pour elles qu’un sommeil. La faux du Trépas — Ne saurait entamer leurs corps, jamais.


Après quelques moments passés dans l’attente, — Les sœurs, jeunes et belles, — Se trouvent à la fois debout dans le champ des morts.

Elles sont allées l’une vers l’autre : — Et les trois les plus jeunes tombent sur le cœur de l’aînée ! — Et celle-ci tremble de bonheur.

« — Oh ! le long sommeil que vous avez fait ! s’écrie Gwalia. — Depuis que vous dormez que de siècles ! — Moi, dans ma tombe, je veillais, l’angoisse me rongeant…

Je ne pouvais me soulever seule : — La pierre était si lourde, et ma voix, en dessous, — N’était qu’un souffle, une haleine.

Lorsque a sonné l’heure désignée par le Créateur, — La lourde pierre s’est écartée — Et dans ma tombe, la chaleur est descendue avec le jour.

Nous voici maintenant réveillées, — Mais depuis que nous sommes dans la tombe que de choses réduites en poudre ! — Travaillons d’un commun accord. »

Les quatre sœurs, Cambrie, Bretagne, Écosse et Irlande, — Ayant fait l’union de leurs cœurs, — Ont alors développé les trésors de leur souvenir.

Et soudain voici qu’arrivèrent, — Venus pour prier dans le vieux cimetière, — Quelques-uns de leurs enfants.

Le sang aux fils des Celtes à jamais parlera : — L’écho tressaillait en écoutant — Les cris joyeux à travers l’enclos des morts.

— Ô petite mère, petite mère adorée ! — Disait chaque enfant, ma petite mère, venez au logis. — Que de joie nous allons goûter !


iii

Pour honorer la mère celtique, — Seigneur, ouvrier, paysan, — Tous les fils ne se font plus prier.

L’amour filial s’est réveillé. — Le sang, dans les cœurs, a fermenté. — La voix maternelle est écoulée.


Chaque mère donne les mêmes conseils : — Soyez unis et rien — Et rien ne pourra vous anéantir.


Pressurée par mon ennemi, — Dépouillée des fruits de mon labeur, — Mon espérance ne s’est point défleurie.


Je fus étranglée, enfouie dans la tombe, — Et si foulée, en vérité !… — La vie ne m’a point abandonnée.


Une chose plus dure que le chêne — Plus forte que le fer et la mort, — Mon âme est à jamais vivante.


Et quand bien même on vous ferait encore plus souffrir, — Si, par dessus tout, vous m’aimez telle que je suis, — Mon âme se survivra en vous.

Laissez les chiens méchants aboyer ; — Allez votre chemin, le cœur loyal ; — Les races mauvaises périront.


Et, selon la parole des Druides, — Après les tribulations de l’Abred, — Vous revivrez dans la paix du

Gwenved.
iv

Autour du dolmen, les Bardes, — Les Bardes de la Celtique sont assemblés — Ô Dublin ! ô Dublin ! quelle joie dans tes murs : — Les cœurs sont débordants de foi dans la Destinée. — L’épée d’Arthur et la bannière du Gorsedd, — La Korn-Hirlas, ô joie ! resplendissent aujourd’hui dans l’air, — Sur la pelouse de la Maison de Ville.

Les Bardes sont venus de pays lointains, — Les uns de la Grande Cornouailles mourante — Mais qui doit se relever quand viendra son tour, — D’autres d’Écosse et de Bretagne — Et d’autres de l’île de Man. — D’autres enfin, qu’ils soient célébrés par dessus tous ! — De la Cambrie, ô les meilleurs des Bardes !

Le peuple, le regard enflammé, — Contemple la renaissance de la Tradition. — Son cœur galope dans son sein : — Il se sent la force du lion.

Espérance, allégresse ! Il s’est réveillé — Le vieux sang des Celtes ! — Comme la sève au printemps, — Dans les bois et dans les campagnes, — Donne une vie nouvelle à la verdure, — Ainsi le Souvenir aujourd’hui est pour les Celtes une nourriture spirituelle.

Plus loin que l’horizon terrestre. — Dans les profondeurs de l’avenir, — Chacun aperçoit la nation celtique — Qui ne connaîtra ni le besoin ni l’épouvante.


L’exemple de cette union qu’on lui présente — Ouvre largement les yeux du peuple. — Car ne voit-il pas ici, la main dans la main, — Le fils du pauvre et le prince, le bourgeois et le noble ?

Loin de l’esprit qui anime les autres races, — Bien loin se tient notre esprit. — Malheur à elles si elles sont aveuglées, — Quant à nous, nous avons la lumière. — Nous sommes tous frères, riches et pauvres, — Et dans les conseils — Il n’y a pas plus de prépondérance pour l’Héritier de la fortune — Que pour l’Héritier de la pauvreté.

Nobles ! nous le sommes tous, les grands et les humbles, — Par l’ancienneté et la pureté de notre sang, — Et par le désintéressement de notre espoir, — Voué au Bien.

Voici que sont renoués les lits conducteurs — Qui indiquent la voie dans l’obscurité, — Et maintenant nous allons surgir dans les rayons — Pendant que les

autres races descendront dans la nuit.

L’Archi-Druide, vêtu de blanc, — Un collier d’or massif au cou, — Ses cheveux si blancs ! En sa majesté, — Si semblable au Dieu Créateur ! — Trois fois, le cœur troublé par l’émotion, a demandé, — « La paix existe-t-elle entre les Celtes ? »

— Oui, la paix existe, l’unanimité des voix — En porte la nouvelle à l’univers. — Écoutez, Celtes d’Armorique et de Grande-Bretagne, — Vous, ceux des États-Unis, — Et vous tous, exilés, parsemés sur le monde, — L’heure est sonnée.

Devant l’esprit des Ancêtres — Qui nous suit partout à travers les siècles, — Au-dessus du menhir, véritable symbole de la Durée, — Tous les Bardes, en foule pressée, — Ont levé la main.


Oui, l’heure a sonné, car le serment est accompli.

Le serment est fait pour toujours ! — Sur le menhir sont tracées cinq divisions — Qui symbolisent les cinq nations — Qui ont fait reculer la mort.

Maintenant notre race est semblable au menhir — Le feu, la pluie, le vent, — Le temps, l’Esprit du Mal, — Rien ne saurait désormais l’entamer.

Elle est levée, la malédiction — Tombée jadis sur la race des Celtes ; — Depuis deux mille ans nous attendions — Voici le pardon descendu.

— Ô Créateur de l’Univers, combien longtemps — Nous sommes demeurés dans l’Abîme ! — Mais tes regards, ô Tout-Puissant, restent sereins — Devant la joie et devant les sanglots…

— « Malheur à celui qui perd sa route, — Et qui rétrograde dans l’Abred, cercle de l’Epreuve, — Il devra remonter le même chemin — Pour conquérir la sagesse et l’allégresse éternelle. — Je t’ai placé dans le monde — En équilibre entre le mal et le bien, — Mais tu as la faculté d’améliorer constamment ton sort — Sous la dure loi de la Nécessité… »

Sur la terre immense, oui, vraiment nous sommes répandus — Mais avant de partir pour la conquête matérielle — Celte union doit être avant tout — L’union des esprits. — L’autre union aura son tour — Et nous retrouverons encore — La puissance autrefois perdue — Le jour où notre lien national fut rompu.


Rappelons-nous que nous sommes généralement — Dépouillés de notre héritage, — Travaillons dès aujourd’hui — À le reconquérir de nouveau.

— Bardes, vous avez juré devant les Morts, — Devant l’Archi-Druide, devant le glaive d’Arthur, — D’être, comme les anciens Bardes qui tenaient en main le gouvernail, — Les serviteurs jurés du Droit et de la Patrie.


v

Un Savant :

Ma tête était pleine de toutes les sciences : — Que faire d’elles ? Mon esprit était sans direction. — Aujourd’hui, je sais : je suis à toi, tout entier, mère Bretagne.

Un Ouvrier :

Ce n’est pas dans les bois profonds que le loup m’étranglait… — Ô villes maudites où je servais de proie ! — Femmes et enfants, retournons vers notre mère Bretagne !

Fanch Kouer (Le Jacques Bonhomme breton)

Qu’y a-t-il aujourd’hui de nouveau dans ma demeure ? — Le sang court plus vite dans mon cœur paisible… — Jamais ne me parurent si belles les terres de ma Bretagne !

La vieille Celtique chante sa chanson — dans mon cœur. — Ô joie ! il n’est plus qu’un cœur — une croyance, — En Cambrie, en Écosse, en Irlande — et en Bretagne.

Un grand vent vient de passer… — Celui qui n’est point aveugle a vu — Au-dessus de la terre, deux ailes immenses étendues : — Il est venu, le Règne de l’Esprit.