Par nos champs et nos rives/47

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Imprimé au Devoir (p. 121-122).

ILS DEVISAIENT TOUS DEUX…


Ils devisaient tous deux en face de leur terre,
Le vieux père et le fils, robustes « habitants » ;
Le fils avait en lui la grâce du printemps,
Et sur l’autre, les ans amassaient leur mystère…


Il en avait taillé des friches et des champs
Ce vieillard, à la barbe épaisse et grisonnante ;
Mais, maintenant, ses jours sombraient dans la brunante
Et son soleil avait décru sur les penchants !…



Et le malheur l’avait frappé souvent. Les rides
Avaient marqué son front d’un sillage acéré,
Comme le soc de fer marque un champ labouré,
Et l’on voyait la nuit dans ses grands yeux arides…


Il venait de donner son « bien » à son garçon,
Et tous deux ils parlaient des richesses futures.
Le fils disait : « Plus tard, j’abattrai ces clôtures,
« Et je ferai courir mon champ jusqu’au buisson.

« La savane perdue où le lierre s’enlace,
« Je veux l’ensemencer d’orge et de seigle fin.
« Là-haut, je sèmerai du tabac et du lin,
« Et ma femme, le soir, filera la filasse… »

Il montrait le lointain d’un geste magistral.
« — Moi, je ne verrai pas cela, dit le vieux père :
« Quand tu viendras semer ce grand lopin de terre,
« Depuis longtemps, les os ne me feront plus mal » !…