Par nos champs et nos rives/68

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Imprimé au Devoir (p. 171-179).

LA MAISON


I

Par le sentier fleuri de blanches marguerites,
Viens, je veux te conduire à la maison des champs.
C’est dans un lieu perdu, plein de sauvages sites,
Où le pré n’est que fleurs, où le bois n’est que chants.


Pour s’y rendre, il nous faut marcher de longues heures,
Dans les ravins étroits d’un mont silencieux ;
Car les humbles, vois-tu, bâtissent leurs demeures
Le plus loin de la foule et le plus prés des cieux !…



C’est une maison blanche, avec la porte grise,
Et deux pignons pointus que darde le soleil.
Elle a cet air de paix qu’ont les vieilles églises,
Et cet air de gaieté qu’a la ruche en éveil.


Toujours ouverte, par une main charitable,
La porte bat au vent, comme une aile d’oiseau,
Laissant passer, unis aux parfums de la table,
Le bruit fin de l’aiguille et le chant du fuseau.


Tu verras des bouquets grimpant dans la fenêtre,
Et des enfants jouant avec naïveté ;
La mère est avec eux, tu peux la reconnaître
À ce noble sourire, empreint de majesté…


Le père n’est pas là. Parti pour la colline
Où l’orge remuante annonce les moissons,
Il reviendra bientôt, en longeant la ravine,
L’âme pleine d’amour et la lèvre en chansons…


Pénètre doucement au fond de cet asile :
Le vrai bonheur est là. Rentre, parle tout bas…
Il est là ! Mais, hélas ! s’il fuit ce domicile,
Ne cherche pas ailleurs, il n’est pas ici-bas !…


II

Comme il fait bon rentrer s’asseoir dans la maison,
La maison « d’habitants », sise au bord de la route !
Comme on se trouve bien, sous ce toit qui se voûte,
Et comme tout ce monde a le cœur simple et bon !


Sitôt que nous avons passé la « devanture »,
En longeant le « fournil », dont le vaste grenier
Attend les blés « clairauds », se hâtant d’épier,
Et les avoines qui sont a pleine clôture,


Nous nous sentons chez nous, et chacun nous reçoit
Comme s’il nous avait attendu des années ;
Et nous voyons, dès que nos mains se sont touchées,
Que l’âme de la race habite sous ce toit !…


Ô paix, ô bonne paix des demeures rustiques !
Comme tu sais verser la gaieté dans le cœur !
Comme tu sais calmer la haine et la rancœur,
Ô foyer des vertus et des gloires antiques !…



— « Vous devez être las, disent ces braves gens,
« Entrez donc vous asseoir dans la « chaise berçante » ?
« Mangez, la huche est pleine, et l’orge est jaunissante,
« Car, pour nos champs, les cieux se montrent indulgents.


« Si vous êtes transis, la lame de nos haches
« A fait tomber, nombreux, les bouleaux durs et ronds ;
« Chauffez-vous, et buvez dans ces « vaisseaux » profonds,
« Le lait que nous venons de « tirer » de nos vaches. »


Là, tout chante et sourit, tout le monde est « amain ».
Pour nous servir, chacun s’empresse et se transporte ;
Et, si nous nous levons en regagnant la porte,
Ils s’écrient tous ensemble : « Espérez » à demain !


« La « brunante » est venue et la nuit sera noire,
« Espérez” à demain : vos effets sont rangés !
« Pour vous coucher, voici le lit des étrangers,
« Et, si vous avez soif, voici la tasse à boire ! »…


III

Oh ! le bonheur de vivre en cette solitude,
Le cœur plein de chansons, libres du doute amer,
Et de prolonger nos yeux épris de certitude,
Dans les infinis de la mer !…


Vivre en cette maison, sur la rive charmante,
Dans ce foyer rempli d’un calme souverain,
Et dont le feu tremblant, la nuit, dans la tourmente,
Indique la terre au marin !…


Avec, le flot qui chante, avec l’azur qui vibre,
Comme les goëlands volant toujours plus haut,
Monter, à l’unisson, monter, toujours plus libres,
Dans un rêve toujours plus beau !…


Le bonheur de finir nos jours sur cette grève,
Assis près de la mer, à l’ombre d’un bouleau,
N’ayant, pour cadencer le vol de notre rêve,
Que le clapotement de l’eau !…



Ah ! pouvoir fuir, bien loin de la foule distraite
Dont les yeux malveillants nous regardent, toujours,
Pouvoir nous en aller, dans cette humble retraite,
Pour des éternelles amours !…

IV

Bien mieux que les maisons aux pignons dentelés,
Des villes, où la vie est bruyante et distraite,
J’aime à voir, dans un champ, près des blés ondulés,
Une rustique maisonnette.


Basse, peinte de gris, sans richesse et sans art,
Elle se défend mal du vent et de la pluie ;
Mais ses fenêtres ont un air de bon regard,
Et sa porte un air qui convie !


En été, dès le jour, on la voit s’animer,
Et sourire aussitôt que les vallons se dorent ;
Puis, à son seuil, on voit, par bandes, remuer
Les poules grises qui picorent…



Quand le soleil joyeux commence à rayonner,
Les fenêtres s’ouvrant, paraissent plus vivantes,
Et, dehors, les enfants s’en vont tourbillonner,
Comme de grandes fleurs mouvantes !…


Ces gens se couchent tôt et se lèvent matin.
L’homme est bon paysan, elle, bonne fermière.
Ils sont vaillants. Leur lampe, au reflet incertain,
Dans l’ombre, apparaît la première.


Bien souvent, l’on découvre, auprès du bois tremblant,
Entre deux peupliers, aux rameaux longs et sombres,
Sous les feux du midi, le linge net et blanc
Qui fait des clartés et des ombres…


— Oh ! qu’il doit être doux et qu’il doit être court
Le labeur qui se meut dans cette vigilance !
Et qu’il doit être bon d’aimer lorsque l’amour
S’épanouit dans ce silence !…

V

La maison que, jadis, je rêvais d’habiter,
Est une humble maison, au tournant de la route,
Les arbres toujours verts qui la recouvrent toute,
Lui font un abri sûr, l’hiver comme l’été.



Quoiqu’elle soit bâtie au pied d’une colline,
Elle fait face au fleuve, à ce fleuve enchanté
Dont la voix est terrible et le cœur tourmenté,
Et nous y respirons la bonne odeur saline.


Les senteurs de la mer s’y mêlent à l’odeur
Du trèfle qui fleurit dans les plaines voisines ;
Et l’enchevêtrement des grands bois y voisine
Avec des rocs, garnis d’une riche verdeur.


Et, près de la maison, est un étang limpide
Dont la source, éclairée aux rayons du soleil,
Réflète doucement le buisson en éveil,
Et, des oiseaux passeurs, mire le vol rapide…


Oh ! la chère maison, pleine d’ombrage frais !
Ami, je la souhaite à ta désespérance,
Pour mettre de la joie au fond de ta souffrance,
Et pour te reposer des jours durs et mauvais !…


Comme il eût été bon d’y vieillir et d’y vivre,
Tous deux, mon bien-aimé, dans le calme des soirs !
Comme il eût été bon d’aller souvent s’asseoir
Dans l’ombre de ces bois dont la senteur enivre !…



Mais, hélas ! mon beau rêve, à jamais, s’est enfui,
Et je n’entrevois plus la chère maison verte ;
Sa porte, sur mes pas, ne s’est jamais ouverte,
La maison et l’étang, tout s’est évanoui !



Mais, sans avoir franchi le seuil de cette porte,
Où je devais trouver le bonheur attendu,
Je connais les secrets de ce logis perdu,
Et je sais les douceurs que son silence apporte !…


Car un beau rêve laisse un peu de sa beauté
Au cœur qui s’est nourri longtemps de sa présence :
Ce nid caché, qu’avait bâti mon espérance
A fait déteindre en moi sa paix et sa clarté !…

VI

Le jour s’éteint, semant du rouge à l’horizon,
Et la brune obscurcit l’or de la fenaison.

Le faucheur a repris sa faux sur ses épaules,
Et descend la colline, où brunissent les saules.