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Parapilla, poëme en cinq chants, (éd. 1776)/03

La bibliothèque libre.
A Florence, chez Cupidon. M. DCC. LXXVI (p. 25-34).


Parapilla, poème érotique Français, Bandeau de chapitre
Parapilla, poème érotique Français, Bandeau de chapitre


CHANT III.


MEs chers amis, faites treve à vos larmes ;
Si l’imprudente éprouve quelqu’ennui,
Elle eut huit jours de plaiſirs, Dieu merci,
Sans nulle pauſe. En ce ſéjour d’allarmes
C’eſt un bon lot : hélas ! tout nous append
Que le bonheur eſt choſe fugitive ;
D’un pied boîteux juſqu’à nous il arrive,
Se montre à peine, & s’échappe à l’inſtant.

 Mais j’apperçois les murs de l’Abbaye,
Vaſte édifice, où les Burneleſchis,
Les Sartonis, par cent travaux exquis,
Ont de leur art épuiſé le génie.
L’azur & l’or y mêlent leurs couleurs.

Là, dans le ſein de la magnificence,
L’oiſiveté, par des vœux impoſteurs,
Se vante encor d’embraſſer l’indigence.
La chaſteté s’y garde comme ailleurs.
C’eſt un ſerrail de Sultanes jalouſes,
Et qui par fois, pour charmer leur ennui,
D’un même Dieu ſe diſant les épouſes,
Font des enfants qui ne ſont pas de lui.
Pour mon Héros, c’eſt l’iſle de Cythere.
Que l’Aumônier va languir aujourd’hui !

 Le ſaint dépôt arrive au Monaſtere :
L’oreille au guet, & qui n’eſt pas d’un ſourd,
L’Abbeſſe eſt là, marmotant ſa priere :
Donnez, donnez, dit-elle à la Tourriere ;
Hélas ! ma ſœur, le fardeau n’eſt pas lourd.
Et la voilà qui court à ſa cellule,
A deux genoux invoquant ſainte Urſule.
On mit le tout ſur un petit Autel,

Puis on s’arma du livre aux exorciſmes ;
On parcourut le ſacré Rituel,
Liſant tout haut, faiſant cent ſoléciſmes,
Sans que jamais Belzébut, Aſtarot,
A ſon latin répondiſſent un mot.
Dieu ſoit loué, dit-elle, je ſuis ſûre
Qu’il n’eſt point-là de démons malfaiſants ;
La choſe vient du Ciel même en droiture,
Le doigt divin ſe trouve là-dedans.
En ce moment les clefs lui ſont remiſes,
Elle ouvre, & crie en toute humilité.

 Peindrai-je ici les nobles entrepriſes
Du fier vainqueur & ſon activité,
Lorſqu’il franchit de plein ſaut les obſtacles,
Gages certains de la virginité.
Point ne faiſons de ſemblables miracles,
Foibles mortels ! La Nonne ſoupira
Et commençoit à prononcer Para

Mais s’arrêtant ſur la foi des Oracles,
Elle s’écrie O Ciel, ſoyez béni !
La Nonne eſt chaſte ; il faut beaucoup de gaſes
Abrégeons donc. La Dame Capponi
Eut des tranſports ; l’Abbeſſe a des extaſes.
Il eſt certain qu’elle vit pluſieurs fois
Le Paradis tout comme je vous vois.

 Hélas ! parmi ſes tendres agonies,
Elle oublia tout net d’aller au Chœur,
Où l’on chantoit les Vêpres, les Complies ;
Et c’eſt delà que vint tout le malheur :
Madame en tout donnoit le bon exemple,
Et ſe montroit fort aſſidue au Temple :
Par quel haſard n’avoir point aſſiſté ?…

 Toutes les Sœurs, au ſortir de l’Office,
Courent en foule, & Profeſſe & Novice,
Pour s’informer de ſa chere ſanté.

En tête ſont deux des plus familieres,
Qui de ſa porte ont franchi les barrieres.
Quoi ! direz-vous, la porte à double tour
N’étoit pas cloſe ! hélas ! non, je l’avoue ;
Et le démon, qui des filles ſe joue,
A ſa mémoire a fait ce mauvais tour ;
Ou Gabriël, car on ne ſait qu’en croire.
Quoi qu’il en ſoit c’eſt un fait avéré.
Or, écoutez la ſuite, de l’hiſtoire.

 Dans le moment que le couple eſt entré,
Sur ſes lauriers ſe repoſoit l’Abbeſſe ;
Et n’allez pas la taxer de pareſſe :
Aux champs de Mars & dans ceux de Cypris,
La gloire coûte, & coûte trop peut-être ;
Et c’eſt toujours aux dépens de ſon être
Qu’un grand courage a diſputé le prix.
Vous le jugez, ſans que je vous le diſe,
Qu’alors la choſe à l’écart étoit miſe ;

Même la boîte, où gît le beau Phénix,
Étoit ouverte aux pieds du Crucifix.
Agnès l’a vu, la voilà qui s’écrie…
A ſes genoux le vainqueur a volé,
L’affaire eſt faite, autant de violé.
La ſotte, hélas ! craint de perdre la vie ;
Elle eſt ſans art, ne ſachant rien de rien.
L’Abbeſſe dit, que tout eſt pour ſon bien,
Mais vainement : & pour la faire taire,
Car à ſes cris tout le monde accouroit,
Il fallut bien révéler le myſtere,
Et les deux mots par qui tout s’opéroit,
Dont l’autre Sœur, très-habile écoliere,
Fort à propos ſut faire ſon profit ;
Car le grand mot par Agnès étant dit,
Le fier Tarquin ſoudain la répudie.
Sœur Madelon, qui ne craint pas le viol,
Le couche en joue & l’arrête en ſon vol :
L’oiſeau s’abat ; elle ſe l’approprie.

Et cependant interrogeant Agnès,
Toutes les Sœurs autour d’elle aſſemblées,
De Gabriël ont appris les ſecrets.
Les cris, les pleurs les avoient fort troublées ;
Mais contemplant l’adreſſe & la valeur
De Madelon, & la grace divine
Dont à leurs yeux ſa face s’illumine,
Ce noble exemple a ranimé leur cœur.
Elles n’ont vu jamais dans leur Egliſe
Miracle aucun qui ſoit plus à leur guiſe :
Au don du Ciel toutes prétendent part.
Toutes l’auront, l’Abbeſſe l’autoriſe.
Il le falloit ; & ſans plus de retard :
Ou ç’étoit fait du vœu d’obéiſſance.
L’ordre eſt donné, les Sœurs ſont en ſilence,
A deux genoux ; & l’Abbeſſe commence.

 Vous avez vu dans le ſaint tems Paſcal
Un Directeur aſſis au Tribunal :

A droite, à gauche, un eſſaim de femelles
Eſt à l’affût, avançant pas à pas
L’une après l’autre ; & ſi l’une d’entre elles
Eſt trop long-tems à débrouiller ſon cas,
Chacune dit : elle ne finit pas ;
Quoi ! tous le jour il faudra ſe morfondre !
Tel des Nonnains étoit l’empreſſement,
Plus grand cent fois, j’oſe vous en répondre.
Parapilla marchoit ſi lentement,
A chaque fois les ah ! font tel eſclandre,
Sont ſi nombreux, ſi prompt, que bien ſouvent
Le Directeur ne ſait auquel entendre.
Pluſieurs diſoient leur Benedicite,
En attendant, d’autres Veni Sancte.
Un beau ſpectacle, étoit la Sous-Prieure
Se recueillant en fille intérieure,
Et ſoumettant la chair à l’Eternel ;
L’inſtant d’après une autre moins docile,
Pleine du Dieu n’ayant rien de mortel,

Se débattoit ainſi que la Sibylle ;
L’autre s’enfuit avec le trait fatal ;
La Mere Alix penſa ſe trouver mal :
Il eſt trop vrai que ſes forces ſuccombent,
Son œil ſe ferme, & ſes lunettes tombent.
Sœur Madelon, déja faite au péril,
Tint fort long-tems le galant en fourriere ;
On murmuroit : où le miracle eſt-il ?
Bref, le héros accomplit ſa carriere,
Mais ce ne fut qu’après un long combat,
Bien diſputé, bien digne de mémoire :
Puis on entonne un beau Magnificat.
Tort ou raiſon, les Sœurs crioient victoire.
Mais ce qui doit charmer tout bon Chrétien,
Trente bleſſés ſe portent tous très-bien,
Et vont gaiement ſouper au Réfectoire.

 Mais ſavez-vous, Lecteur, l’heure qu’il eſt ?
Minuit ſonné. Depuis la nuit tombante,

Un grand Laquais eſt là-bas en arrêt,
Qui crie, & peſte, & jure, & ſe lamente ;
L’Abbeſſe enfin lui porte le coffret.
Le drôle part, & s’en va comme un trait.




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