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Parapilla, poëme en cinq chants, (éd. 1776)/05

La bibliothèque libre.
A Florence, chez Cupidon. M. DCC. LXXVI (p. 45-56).


Parapilla, poème érotique Français, Bandeau de chapitre
Parapilla, poème érotique Français, Bandeau de chapitre

CHANT V.


QUelques Lecteurs pourront trouver étrange
Qu’interrompant de ſi nobles travaux,
Une Soubrette occupe mon Héros.
Mais ce Poëme eſt dicté par un Ange :
Aux yeux du Ciel le chêne, le roſeau,
Le grain de ſable, & le plus beau joyau,
Tout eſt égal. Les charmes, la tendreſſe
Sont-ils un don de la ſeule richeſſe ?
Oh ! qu’il eſt doux par fois de déroger !
Plus d’un Héros eſt devenu berger,
Et plus d’un Duc en conte à la ſuivante.

 Notre Marton étoit fort avenante ;
Gens du bel air lui conviendroient beaucoup.

Mais dans le deuil de la Dame prudente ;
Nul n’eſt reçu : dès qu’elle eut fait ſon coup,
Droit au logis retourne la Donzelle
Genoux ſerrés, tremblant que ſon captif
Ne fût tenté de prendre congé d’elle,
Et ne lui fît un affront poſitif.

 Tel un filou qui, d’une main adroite,
Vient de voler un bijou précieux,
Cachant ſon trouble, obſerve à gauche, à droite,
L’air affairé, redoutant tous les yeux :
Ainſi Marton a regagné ſa porte,
Dans ſon réduit, toute ſeule au retour,
Sachons comment la Belle ſe comporte ;
Vous y verrez tout ce que peut l’Amour.

 Souvenez-vous qu’à la premiere vue
Le noble objet eut ſon affection ;
Depuis ce jour, c’eſt une paſſion

Que le dépit & l’abſence ont accrue.
Amour alors devient un autre Mars.
Notre Héros courut bien des haſards.
Si du deſtin la main toute-puiſſante
Avoit permis qu’il pût être vaincu,
Marton, ſans doute, eût été triomphante.
Mais vous ſavez qu’il ne l’a pas voulu.
Bientôt Marton à ſa douce Maîtreſſe,
Avec uſure, a rendu tous ſes torts.
Seule à ſon tour en proie à ſes tranſports,
De ſix laquais l’importune tendreſſe
Gémit en vain ; la Belle & ſes appas
Ne ſe font voir qu’aux heures du repas :
Et lorſqu’il faut paroître à ſa toilette,
Deux tours de main, voilà l’affaire faite.

 La Capponi trouva qu’on lui manquoit,
Et le congé lui fut donné tout net.
Sans balancer, Marton & compagnie

L’ont accepté. Tous deux incognito,
Ne ſe laſſant de leur charmant duo,
Vont occuper une chambre garnie,
Ne voyant qu’eux dans ce vaſte Univers,
Et fort contents d’avoir briſé leurs fers.

 Amour ! Amour ! quelle eſt ton imprudence !
Diane même a ſenti ta puiſſance :
Combien de ſoins pour ſon Endymion !
Combien l’Aurore a, gémi pour Tithon !
Et qu’à Vénus tes malheurs & tes charmes,
Bel Adonis, ont fait verſer de larmes !
Mais ſans chercher des exemples ſi beaux,
Que de Laïs jadis ſi bien payées
Par des Prélats, par des Chefs de Bureaux,
Dans un grenier maintenant oubliées,
Ont tout perdu pour des Godelureaux !

 Marton, ſans doute, a fait une folie ;
La pauvre enfant, ſon fonds eſt bien petit :

Ce fier régime augmente l’appétit ;
Sa bourſe fut bientôt à l’agonie.
Elle pleura, s’arracha les cheveux.
Voyez gémir l’imprudente fillette !
Son cœur pouſſé par de contraires vœux,
Eſt devenu la frêle girouette,
Triſte jouet des vents tumultueux.
Que faire enfin ? les extrêmes ſe touchent ;
La faim, la ſoif tellement l’effarouchent :
Allons, dit-elle, & ſans plus différer…
Mais perdre, hélas ! de ſi douces careſſes !
Et quel moyen de conſoler mes ſens,
De remplacer d’éternelles tendreſſes !
Hé bien, j’aurai, s’il le faut, dix Amants !
Les grands malheurs font les grands ſentiments.

 Fort à propos dans la maiſon voiſine,
Lucrece alors, avec trente valets,
En grand fracas vint loger ſes attraits.

Marton va voir cette beauté divine.
Entr’elles d’eux le marché ſe conclut,
Argent comptant, ſans billet ni cédule :
Elle en obtint le prix qu’elle voulut ;
Et ſoyez ſûr qu’avec un grand ſcrupule,
Inceſſamment ſon vœu fut acquitté.
Mais que l’on doit d’eſtime à cette Belle,
Qui veut orner de cette rareté
Son cabinet d’Hiſtoire naturelle !
Qu’elle a de goût & de ſagacité !
Or, apprenez que c’eſt une Princeſſe,
Fille du Pape, & de plus ſa Maîtreſſe.

 Alors ſiégeoit le fameux Borgia,
Du doux Jeſus terrible Grand-Vicaire,
Haï de Rome & chéri dans Cythere ;
Comme l’on ſait, chantant Alleluia,
Et célébrant, plus ſouvent que la Meſſe,
Le cas joyeux dans les bras de Lucrece.

Nul n’a jamais violé celle-ci ;
A Tarquin même elle eût dit, grand merci.

 Nous avons vu comme quoi dans Florence
Elle acheta, ſans plaindre la dépenſe,
Le don ſacré : puis elle s’en revint
Au Vatican trouver le Pere Saint.
Le beau bijou ne quittoit ſa ceinture ;
Il l’amuſa beaucoup dans la voiture,
Toujours charmant, & par monts & par vaux.
Si vous ſavez tant ſoit peu de phyſique ;
Fort aiſément ce myſtere s’explique,
Elle pâmoit preſqu’à tous les cahots.
La caroſſée étoit toute en allarmes.
Hélas ! bon Dieu ! dit ſa Dame d’honneur,
Vous plairoit-il ce flacon d’eau des Carmes ?
Depuis quand donc avez-vous tant de peur ?
Ah ! diſoit l’autre, elle va juſqu’au cœur.

 Mais quoi ? déja le toît du Capitole,

Et des Chrétiens l’auguſte Métropole,
Frappe ſes yeux : non telle qu’aujourd’hui,
Où d’Agripa la fameuſe rotonde,
Sur les deſſeins du fier Buonarotti,
S’éleve aux Cieux pour commander au monde ;
Mais telle encor que le grand Conſtantin,
L’avoit jadis par ſes mains conſacrée,
Humble au-dehors, & bien plus révérée
Avant le tems de Luther & Calvin.
Oh ! qu’ici-bas les deſtins ſont biſarres !
Tout change en mal ſur ce globe maudit :
Rome autrefois redoutoit les Barbares,
Ses Attillas ce ſont les gens d’eſprit.
Mais des enfers que peut la folle rage ?

 La Voyageuſe enfin rentre au Palais,
Le cher objet toujours ſerré de près.
Bon jour, ma fille, as-tu fait bon voyage ?
Et fourrageant déja tous ſes attraits,

D’une main libre… Alte-là, dit Lucrece :
Mon très-cher pere, & mon très-cher amant,
Vous que mon cœur doit chérir doublement,
Votre ſanté, c’eſt ce qui m’intéreſſe.
Vous pouvez tout, & mieux que Jupiter
Savez lancer & la foudre & l’éclair.
En fait d’amour il n’en eſt pas tout comme :
Vous le ſavez, ailleurs qu’in Cathedrâ,
Je vous ai vu ſujet à l’Errata :
Le Dieu du monde eſt ſouvent moins qu’un homme.
Pour m’épargner tout fâcheux accident,
Saint Gabriël m’a fait un beau préſent.
Malgré l’Egliſe, en dépit de la Bible,
Pour cette fois j’ai trouvé l’infaillible.
Voyez plutôt : ce n’eſt pas tout encor,
Ajouta-t-elle avec un air novice ;
Quand je permets qu’il prenne un peu l’eſſort,
Vous allez voir comme il fait l’exercice.


Incontinent le Lutin mis en jeu,
Part, s’élançant comme d’une ſoupape,
Et va brider le nez du Pere en Dieu.
Imaginez l’effroi du vieux Satrape
A cet aſpect ſubit, inattendu.
Dans ſa fureur il pourſuit l’anti-Pape ;
Mais à ſon poſte un ſoupir l’a rendu.
Plus d’une fois on répéta la choſe.
Tel qu’un volant qui jamais ne repoſe,
L’oiſeau léger partoit & retournoit.
Le Saint Prélat couroit, & entonnoit :
» Au nom du Ciel, de la Vierge Marie,
» Démon, fuyez, je vous excommunie :
Le pourchaſſant, alongeant ſes deux doigts,
Faiſant ſur lui de grands ſignes de croix,
Le tout en vain : & s’il court à Lucrece,
Déja l’intrus l’a gagné de vîteſſe.
La folle éclate, & l’orgueilleux rival
Demeure ferme au lieu Pontifical.


 Notre Alexandre étoit non moins colere
Que celui-là qui prit Perſépolis.
» Je n’ai donc plus les clefs du Paradis !
Et tout de ſuite il écrit à Saint Pierre,
Jurant de mettre & le Ciel & la Terre
En interdit, ſi juſtice on ne rend
Brieve & prompte, & ſur-tout accuſant
Le Gabriël d’être un mauvais plaiſant.

 Ce fut au Ciel une rumeur du diable :
Saintes & Saints tout s’aſſemble, tout court.
L’Ange a beau jeu pour ne pas reſter court ;
Il s’en explique, & d’un art admirable,
Il détailla les vices du vaurien :
Puis perſifflant le Pape & ſa pantouffle
Qu’il fait baiſer, le traite de marouffle.
A tout cela, Pierre dit : » J’en conviens ;
» Je n’eus jamais cet orgueil peu chrétien :
» Pourtant là-bas il occupe ma place ;

» Pour ce brigand, je vous demande grace.
Le tout s’appaiſe, & tout s’arrange au mieux.

 Mais Gabriël, par une bonne clauſe,
Pour ſon client obtint l’apothéoſe.
Le beau Phénix, tranſporté dans les Cieux,
Devint le page & l’amant des Cometes.
Chacun d’ici peut le voir ſans lunettes.

 O Gabriël ! ſi je t’ai mal chanté,
J’eſpere, au moins, que dans la Chrétienté,
Ce foible écrit te vaudra quelqu’antienne.
Jeunes Beautés, faites-lui la neuvaine ;
Aux cas urgents, dites Parapilla,
Mais ſans y joindre aucune force humaine :
Et vous verrez combien il eſt bon-là.


FIN