Parapilla, poëme en cinq chants, (éd. 1776)/Texte entier

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A Florence, chez Cupidon. M. DCC. LXXVI (p. 5-56).

Parapilla, poème érotique Français, Bandeau de chapitre
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PARAPILLA

CHANT PREMIER.


Parapilla, poème érotique Français, Bandeau de chapitre
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D’Autres pourront chanter le Labarum,
Le bouclier de l’Amant d’Egérie,
Ou l’Oriflamme, ou le Palladium,
Ou des Rhémois l’Ampoule ſi chérie,
Préſents ſacrés, tous deſcendus des Cieux,
Des Rois dévots merveilleuſes étrennes :
Je veux chanter un don plus précieux,

Ce bijou-ci plairoit beaucoup aux Reines ;
Il eſt céleſte, unique, plein d’attraits :
Mais par malheur, ſur les traces d’Aſtrée,
Il remonta là-haut dans l’Empirée ;
Le Ciel jaloux a repris ſes bienfaits.

 Tendre Vénus, & vous Minerve même,
Guidez mes chants, inſpirez tous mes Vers ;
Vous m’aiderez à charmer l’univers ;
Et mon Héros, par ſa beauté ſuprême,
Tiendra ſur lui vos yeux toujours ouverts.

 Grace à ma muſe, Emule de Virgile,
J’ai fait l’exorde ; & c’eſt beaucoup dit-on ;
Parler des Dieux, n’eſt pas choſe facile :
Or ſus, ma lyre, il faut baiſſer d’un ton.

 J’adis vivoit dans les murs de Florence
Un beau Gallant, d’une haute naiſſance,

Nommé Rodric ; hélas ! trop généreux.
Car de la Blonde allant droit à la Brune,
En beaux feſtins, cadeaux, plaiſirs & jeux,
Il eut bientôt diſſipé ſa fortune.
Que devenir en cette extrêmité ?
Sage il devint, grace à l’adverſité.
Fuyant ſa honte, & cachant ſa miſere,
L’infortuné, d’un peu d’argent comptant
Qui lui reſtoit, achete une chaumiere,
Et tout auprès un petit bout de champ.
Là, tout penſif, ſans valets ni ſervantes,
Il travailloit, ayant parmi ces ſoins
Un peu d’humeur : on en auroit à moins.

 L’aurore ouvroit ſes portes éclatantes
Quand tout-à-coup un beau jeune Garçon
Vint l’aborder, & lui dit ſans façon :
» Holà, l’ami, dis-moi ce que tu plantes ?
Rodric, peu fait à ces tons élevés,

Lui répondit : » c’eſt ce que vous ſavez.
Jeunes Beautés, ce ne ſont pas ſes termes :
Il ſe ſervit de mots un peu plus fermes,
Diſant tout haut les choſes par leur nom,
Que je tairai, ſi vous le trouvez bon.
Vous connoiſſez cette plante ſi belle ;
De vos beaux yeux un doux regard ſuffit,
Un ſeul regard, c’eſt le ſoleil pour elle,
Mais reprenons le fil de mon récit.

 Lorsque Rodric, ayant martel en tête,
Eut proféré ce diſcours malhonnête,
Le beau Garçon froidement déclara :
» Vous en plantez, eh bien, il en viendra. »
Soudain il fuit comme une ombre légere,
Et de ſon pied touche à peine la terre.

 Rodric alors reſta pétrifié,
Lui qui parloit en tout tems comme un livre :

Avoir ainſi manqué de ſavoir-vivre,
Brutalement avoit congédié,
O Ciel ! & qui ?… c’eſt un Age… ſans doute,
C’eſt Gabriël de la céleſte voûte
Exprès pour lui deſcendu par pitié.
Un tel ſoupçon n’a rien de fort étrange.
Durant le cours de ſes plaiſirs mondains,
Toujours Rodric honora ce bel Ange,
Beau meſſager du Maître des deſtins.
Car à Florence on brûle plus de cierges
Aux Chérubins, qu’aux onze mille Vierges ;
Informez-vous, chacun vous le dira.
Mais quel remords, & quelle étourderie !
Comme il gémit & ſe déſeſpéra !
Si de l’effet la menace eſt ſuivie,
Plus de reſſource ; & comment ſe nourrir :
Pauvre Rodric, tu n’as plus qu’à mourir.

 L’astre du jour, durant cette élégie,

De ſes rayons prodiguant les bienfaits,
Lançoit par-tout la chaleur & la vie :
Soir & matin Rodric eſt aux aguets.
Finalement, ô douleurs ! ô regrets !
Le fruit fatal s’élevant ſur la terre,
Nouvel Œdipe, eſt vainqueur de ſa mere.
Fille qui trouve un ſerpent ſous ſes pieds
En folâtrant ſur la verte prairie,
De plus d’effroi ne peut être ſaiſie.
Point de pécheurs qui ne ſoient châtiés.
Rodric puni ſe ſigne, s’agenouille,
De pleurs amers ſon viſage ſe mouille :
Ecoutez bien, mes vers ſont un ſermon.

 Le Gabriël eſt né plaiſant, mais bon ;
Il pardonna. Les aîles étendues,
Je l’apperçois, qui, d’un air triomphant,
Paré de pourpre & porté ſur des nues,
Dit à Rodric : » Calme-toi, mon enfant ;

» Tu viens de voir un ſingulier prodige,
» Mais ce n’eſt rien : prends la plus belle tige :
» Dans un panier alors tu la mettras ;
» Cours à la Ville, & là tu la vendras
» Cent mille écus ; c’eſt le prix, & pour cauſe ;
» Car auſſi-tôt que l’on verra la choſe,
» Femme ni fille, à tous ne manquera
» De s’étonner, & de crier ah ! ah !
» Or, dans l’inſtant la divine merveille,
» Chez celle-là qui pouſſera ce cri,
» S’introduira, mais non pas par l’oreille ;
» Et là ſans ceſſe, un doux charivari
» Excitera volupté ſans pareille,
» Si l’on ne dit ce mot, Parapilla.
» Adieu, Rodric ; retiens bien tout cela.
L’Ange s’envole, & Rodric s’humilie.

 Il s’en va donc cueillir le fruit de vie,
Bien proprement le place en un panier,

D’un tas de fleurs lui fait un oreiller,
Le tout couvert de belle mouſſeline :
Le Pain béni n’a pas meilleure mine.
Quant au ſurplus des fruits de ce jardin,
Vous le dirai-je ? il diſparut ſoudain.

 Le cher Rodric cependant s’achemine ;
Il va bientôt revoir ces lieux chéris,
Temple des Arts, enfans des Médicis.
Tout s’embellit ſous leurs mains ſouveraines ;
Nobles Tyrans, & modeles des Rois,
Les Muſes même avoient dicté leurs loix
Et leur Palais eſt l’aſyle d’Athenes.
Avec tranſport Rodric hâta ſes pas ;
Et le voilà, criant ſa marchandiſe,
Et par ſon nom, de crainte de mépriſe,
Sans quoi les gens ne devineroient pas.
Car liſez bien fable, Roman, Hiſtoire,
Interrogez Sorciers & Loup-garoux,

Point ne verrez que jamais à la foire
On ait vendu de ſemblables bijoux.
Contes en l’air, me diront cent critiques ;
Tant pis pour eux : c’eſt un homme de bien
Qui nous tranſmit tous ces faits authentiques ;
Si l’on en doute, on ne croira plus rien.
Gens indévots, grands faiſeurs d’Epigrammes,
Exercez-vous, j’en prends peu de ſouci ;
Moi, je ſuis ſimple, & c’eſt aux bonnes ames
Que je veux plaire en écrivant ceci.
Or, prêparez vos yeux & vos oreilles.
O Gabriël ! que ton bras eſt puiſſant !
Vous allez voir d’étonnantes merveilles ;
Mais laiſſez-moi reſpirer un moment.




Parapilla, poème érotique Français, illustration



Parapilla, poème érotique Français, Bandeau de chapitre
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CHANT II.


FIlle du Ciel, douce Philoſophie,
Combien de foux abuſant de ton nom,
Et des François corrompant le génie,
Ont, en Mégere, affublé la raiſon !
Timon ſe leve, & dit d’un ton ſublime :
Meurent les Arts, & périſſe l’eſprit
L’homme eſt charmant ſitôt qu’il s’abrutit ;
Et tous les ſots reçoivent pour maxime,
Qu’il eſt grand jour auſſi-tôt qu’il fait nuit.
Ainſi bravant la ſageſſe éternelle
Qui nous traça les routes du bonheur,
L’homme inſenſé ſe croit plus ſage qu’elle.
Eh ! qu’a produit cette ſombre fureur ?
Triſte & farouche on dédaigne la vie,

Le Suicide a ſouillé ma patrie ;
De noirs forfaits remplacent le plaiſir :
On trembleroit de careſſer les graces,
Le fanatiſme eſt errant ſur nos traces
La gaieté fuit, & je cours la ſaiſir.

 A l’heure même étoit à ſa toilette
Bien triſtement Madame Capponi,
Très-mal nommée, & les aimant, nenni ?
Au demeurant riche, belle, diſcrette,
Pleurant encor la mort de ſon mari,
Et du veuvage aſſez mal ſatisfaite.

 Le Crieur paſſe, & certain ſon qui plaît.
Frappe la Dame, & la trompe peut-être.
Marton, dit-elle, allez à la fenêtre,
Écoutez bien, & ſachez ce que c’eſt.
Marton bientôt revient toute troublée ;
Le croirez-vous ! ah ! Madame, écoutez !

C’eſt un Marchand,… je ſuis émerveillée. —
Mais que vend-il ? — Ce que vous regrettez.
La Dame dit : faites venir cet homme. —
Quoi ! l’appeller !… la choſe vous ſurprend ?
Tenez pour ſûr qu’à Paris ou dans Rome
Toute autre qu’elle en auroit fait autant ;
Et telle ici qui fait la précieuſe,
A ſon Marchand qu’elle voit chaque jour ;
Le Roi, la Reine, avec toute ſa Cour,
N’ont-ils pas vu la piece curieuſe ?
Or, c’eſt le cas, ou jamais il n’en fut.

 Le Marchand donc à l’inſtant comparut ;
Bien humblement il fit ſa révérence,
Ote le voile, & le tout ſe paſſa
Comme à Rodric Gabriël l’annonça.
Figurez-vous en pareille occurrence
L’émotion & le ſaiſiſſement
D’une Beauté qui ſe voit envahie,

Et ſans reſpect ainſi priſe à partie.
Et néanmoins le premier mouvement,
Si naturel, fut de le laiſſer faire,
Se réſignant, ſoupirant de grand cœur,
Et des deux mains, par excès de pudeur,
Cachant ſes yeux. Le ſecond tout contraire
Fut d’écarter, hélas ! le téméraire :
Mais vains efforts & nouvel embarras ;
Elle le veut, elle ne le peut pas. —
Mon cher Monſieur, voulez-vous que je meure !
Je ne puis plus endurer ce méchant…
Ah ! par pitié, délivrez-moi ſur l’heure. —
Très-volontiers. Prononcez ſeulement
Parapilla. — Fi donc, C’eſt du grimoire,
Vous me trompez. — Non ; vous pouvez m’en croire
Le terme eſt neuf… propre à la choſe ; — Mais !
Elle frémit, & ne dira jamais
Ce vilain mot. La charmante hypocrite
Gagnois ainſi du tems & du plaiſir,

Et ce ne fut qu’avec un grand ſoupir
Qu’elle lâcha la parole ſuſdite.
L’eſprit malin a déja pris la fuite.
Parmi les fleurs prompt à ſe recueillir,
On le prendroit pour un Saint dans ſa niche,
Ah ! reprit-elle, avec un air confus,
Et le voilà dans l’inſtant qui déniche.
Pour ſe nicher tout comme ci-deſſus.
Que ne peut point un procédé ſi tendre !
Le cher ami déja reſſuſcité,
Parapilla ſe fait long-tems attendre.
Le phénoméne eſt vingt fois répété ;
Précaution que prend toujours le Sage,
S’il veut à fond ſavoir la vérité.
Je n’en dirai ſur cela davantage,
J’en ai trop-dit, peut-être ; mais enfin
Vous connoiſſez ce pauvre genre humain :
Pour peu qu’un fait ſoit hors de leur portée,
Un grave ſot, une tête éventée

Vous traitera de menteur, ou de fou,
Si l’on ne dit comment, pourquoi, par où.

 Pour terminer, la Dame bien inſtruite,
Bien exercée, acheta le bijou,
Sans marchander ſur la valeur preſcrite.
Le bon Rodric eut les cent mille écus.
C’étoit alors une aſſez forte ſomme,
Qui ſuffiſoit pour vivre en honnête homme.
Il eſt heureux ; que voulez-vous de plus ?
Mais il nous reſte un tréſor bien plus rare !
Que devint-il ? tout vous ſera conté.

 Jamais tréſor ne fut par un avare
Gardé ſi bien, ſi ſouvent viſité :
Il eſt enclos au fond d’une caſſette,
A double clef, & fermante à ſecret :
Même Marton confidente diſcrete,
Ne le vit plus, quoiqu’à ſon grand regret.

La Dame, hélas toujours ſe ſéqueſtroit ;
Dirai-je ſeule, ou bien en tête-à-tête ?
Ne ſe laſſant d’éprouver ſa conquête,
Examinant cette propriété,
D’aller, venir toujours à volonté ;
Rare talent & vertu ſouveraine,
Que n’eut jamais pour Princeſſe ou pour Reine
Aucun Amant, tant ſoumis ait été.
Ainſi paſſa le cours d’une ſemaine
Comme un inſtant : la Dame en tout ceci
Ne regrettoit au monde ame qui vive ;
Plus de viſite active, ni paſſive :
Tout le quartier étoit fort en ſouci.
C’eſt une énigme ; eſt-elle folle, ou morte ?
Chacun raiſonne, & chacun dit ſon mot.
Force valets vont ſans ceſſe à la porte :
Or, convenez que le monde eſt bien ſot.

 La belle Veuve eut une ſœur Abbeſſe,

Que tous les jours, avant ce cas preſſant,
Elle alloit voir par excès de tendreſſe.
De la Nonnain peignez-vous la détreſſe !
Huit mortels jours ont duré comme cent.
Chaque matin un billet de reproche,
De déſeſpoir ; ſon trépas eſt ſi proche,
Que notre Belle à la fin ſe réſout,
Vole au parloir : la ſcene fut touchante :
La Dame foible, & la Nonne exigeante ;
De point en point on lui raconta tout.
Peut-on mentir, hélas ! à ce qu’on aime !
Oſerez-vous cacher votre bonheur
A qui le doit ſentir comme vous-même ?
L’Abbeſſe avoit un grand fond de pudeur ;
Elle frémit des péchés de ſa ſœur,
Et d’autant plus que l’outil diabolique
Fut ſûrement formé par art magique.
Oh ! non, dit l’autre ; il eſt venu du Ciel,
C’eſt un préſent de l’Ange Gabriël.

Prouvant ce point d’une façon très-claire :
S’il eſt ainſi, prêtez-le-moi, ma chere,
J’aurai bientôt connu la vérité ;
Si dans le fait c’eſt un fruit de la grace,
Que parmi vous on appelle efficace,
Il ne ſauroit bleſſer la pureté :
Mais pardonnez à ce cœur agité,
Qui doute encore ; il s’agit de votre ame.

 Au nom du Ciel, au nom de la vertu,
Tant fut enfin requis & débattu,
Qu’il faut permettre un ſoin qu’elle réclame.
Le lendemain, de crainte d’accident,
Un laquais ſûr, & de plus très-prudent,
Doit apporter la céleſte caſſette ;
Un autre à part des clefs ſera chargé :
Et le retour eſt de même arrangé.
Le tout enfin, après l’épreuve faite,
Fidélement ſera rendu le ſoir.

Adieu, ma ſœur, adieu, juſqu’au revoir.

 La Dame alors revient en diligence,
Le cœur ſerré, pleurant ſon imprudence,
Et maudiſſant ce funeſte projet.
Qu’a-t-elle dit, hélas ! qu’a-t-elle fait !
Comment pouvoir ſupporter cette abſence !
Et cependant, au fond, ce n’eſt qu’un jour.
Ah ! c’eſt un ſiecle ! ainſi compte l’Amour.
Vous concevez que la nuit fut fort tendre ;
On n’entendit que le bruit des ſoupirs,
Tous précédés, ou ſuivis des plaiſirs :
Un doux repos vint enfin les ſuſpendre.
Mais quel réveil ! quel trouble ! quel moment !
L’ame, ſans doute, a ſes preſſentimens !
Ah ! c’eſt ſa faute ; elle fut fort peu ſage,
Trop confiante, & connut mal le prix
D’un tendre Amant que l’on tient au logis,
Point indiſcret, & ſur-tout point volage ;

Dont nul voiſin ne diſoit, le voilà ;
Et qui, charmé de ſon doux hermitage,
Quand on vouloit, ſe trouvoit toujours là.
Mais à ſa ſœur elle a promis ce gage :
L’heure s’envole ainſi que les amours.
Adieu, dit-elle ; & de l’œil & du geſte,
Le careſſant en perſonne modeſte,
Elle l’enferme, il part, & pour toujours.




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Parapilla, poème érotique Français, Bandeau de chapitre
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CHANT III.


MEs chers amis, faites treve à vos larmes ;
Si l’imprudente éprouve quelqu’ennui,
Elle eut huit jours de plaiſirs, Dieu merci,
Sans nulle pauſe. En ce ſéjour d’allarmes
C’eſt un bon lot : hélas ! tout nous append
Que le bonheur eſt choſe fugitive ;
D’un pied boîteux juſqu’à nous il arrive,
Se montre à peine, & s’échappe à l’inſtant.

 Mais j’apperçois les murs de l’Abbaye,
Vaſte édifice, où les Burneleſchis,
Les Sartonis, par cent travaux exquis,
Ont de leur art épuiſé le génie.
L’azur & l’or y mêlent leurs couleurs.

Là, dans le ſein de la magnificence,
L’oiſiveté, par des vœux impoſteurs,
Se vante encor d’embraſſer l’indigence.
La chaſteté s’y garde comme ailleurs.
C’eſt un ſerrail de Sultanes jalouſes,
Et qui par fois, pour charmer leur ennui,
D’un même Dieu ſe diſant les épouſes,
Font des enfants qui ne ſont pas de lui.
Pour mon Héros, c’eſt l’iſle de Cythere.
Que l’Aumônier va languir aujourd’hui !

 Le ſaint dépôt arrive au Monaſtere :
L’oreille au guet, & qui n’eſt pas d’un ſourd,
L’Abbeſſe eſt là, marmotant ſa priere :
Donnez, donnez, dit-elle à la Tourriere ;
Hélas ! ma ſœur, le fardeau n’eſt pas lourd.
Et la voilà qui court à ſa cellule,
A deux genoux invoquant ſainte Urſule.
On mit le tout ſur un petit Autel,

Puis on s’arma du livre aux exorciſmes ;
On parcourut le ſacré Rituel,
Liſant tout haut, faiſant cent ſoléciſmes,
Sans que jamais Belzébut, Aſtarot,
A ſon latin répondiſſent un mot.
Dieu ſoit loué, dit-elle, je ſuis ſûre
Qu’il n’eſt point-là de démons malfaiſants ;
La choſe vient du Ciel même en droiture,
Le doigt divin ſe trouve là-dedans.
En ce moment les clefs lui ſont remiſes,
Elle ouvre, & crie en toute humilité.

 Peindrai-je ici les nobles entrepriſes
Du fier vainqueur & ſon activité,
Lorſqu’il franchit de plein ſaut les obſtacles,
Gages certains de la virginité.
Point ne faiſons de ſemblables miracles,
Foibles mortels ! La Nonne ſoupira
Et commençoit à prononcer Para

Mais s’arrêtant ſur la foi des Oracles,
Elle s’écrie O Ciel, ſoyez béni !
La Nonne eſt chaſte ; il faut beaucoup de gaſes
Abrégeons donc. La Dame Capponi
Eut des tranſports ; l’Abbeſſe a des extaſes.
Il eſt certain qu’elle vit pluſieurs fois
Le Paradis tout comme je vous vois.

 Hélas ! parmi ſes tendres agonies,
Elle oublia tout net d’aller au Chœur,
Où l’on chantoit les Vêpres, les Complies ;
Et c’eſt delà que vint tout le malheur :
Madame en tout donnoit le bon exemple,
Et ſe montroit fort aſſidue au Temple :
Par quel haſard n’avoir point aſſiſté ?…

 Toutes les Sœurs, au ſortir de l’Office,
Courent en foule, & Profeſſe & Novice,
Pour s’informer de ſa chere ſanté.

En tête ſont deux des plus familieres,
Qui de ſa porte ont franchi les barrieres.
Quoi ! direz-vous, la porte à double tour
N’étoit pas cloſe ! hélas ! non, je l’avoue ;
Et le démon, qui des filles ſe joue,
A ſa mémoire a fait ce mauvais tour ;
Ou Gabriël, car on ne ſait qu’en croire.
Quoi qu’il en ſoit c’eſt un fait avéré.
Or, écoutez la ſuite, de l’hiſtoire.

 Dans le moment que le couple eſt entré,
Sur ſes lauriers ſe repoſoit l’Abbeſſe ;
Et n’allez pas la taxer de pareſſe :
Aux champs de Mars & dans ceux de Cypris,
La gloire coûte, & coûte trop peut-être ;
Et c’eſt toujours aux dépens de ſon être
Qu’un grand courage a diſputé le prix.
Vous le jugez, ſans que je vous le diſe,
Qu’alors la choſe à l’écart étoit miſe ;

Même la boîte, où gît le beau Phénix,
Étoit ouverte aux pieds du Crucifix.
Agnès l’a vu, la voilà qui s’écrie…
A ſes genoux le vainqueur a volé,
L’affaire eſt faite, autant de violé.
La ſotte, hélas ! craint de perdre la vie ;
Elle eſt ſans art, ne ſachant rien de rien.
L’Abbeſſe dit, que tout eſt pour ſon bien,
Mais vainement : & pour la faire taire,
Car à ſes cris tout le monde accouroit,
Il fallut bien révéler le myſtere,
Et les deux mots par qui tout s’opéroit,
Dont l’autre Sœur, très-habile écoliere,
Fort à propos ſut faire ſon profit ;
Car le grand mot par Agnès étant dit,
Le fier Tarquin ſoudain la répudie.
Sœur Madelon, qui ne craint pas le viol,
Le couche en joue & l’arrête en ſon vol :
L’oiſeau s’abat ; elle ſe l’approprie.

Et cependant interrogeant Agnès,
Toutes les Sœurs autour d’elle aſſemblées,
De Gabriël ont appris les ſecrets.
Les cris, les pleurs les avoient fort troublées ;
Mais contemplant l’adreſſe & la valeur
De Madelon, & la grace divine
Dont à leurs yeux ſa face s’illumine,
Ce noble exemple a ranimé leur cœur.
Elles n’ont vu jamais dans leur Egliſe
Miracle aucun qui ſoit plus à leur guiſe :
Au don du Ciel toutes prétendent part.
Toutes l’auront, l’Abbeſſe l’autoriſe.
Il le falloit ; & ſans plus de retard :
Ou ç’étoit fait du vœu d’obéiſſance.
L’ordre eſt donné, les Sœurs ſont en ſilence,
A deux genoux ; & l’Abbeſſe commence.

 Vous avez vu dans le ſaint tems Paſcal
Un Directeur aſſis au Tribunal :

A droite, à gauche, un eſſaim de femelles
Eſt à l’affût, avançant pas à pas
L’une après l’autre ; & ſi l’une d’entre elles
Eſt trop long-tems à débrouiller ſon cas,
Chacune dit : elle ne finit pas ;
Quoi ! tous le jour il faudra ſe morfondre !
Tel des Nonnains étoit l’empreſſement,
Plus grand cent fois, j’oſe vous en répondre.
Parapilla marchoit ſi lentement,
A chaque fois les ah ! font tel eſclandre,
Sont ſi nombreux, ſi prompt, que bien ſouvent
Le Directeur ne ſait auquel entendre.
Pluſieurs diſoient leur Benedicite,
En attendant, d’autres Veni Sancte.
Un beau ſpectacle, étoit la Sous-Prieure
Se recueillant en fille intérieure,
Et ſoumettant la chair à l’Eternel ;
L’inſtant d’après une autre moins docile,
Pleine du Dieu n’ayant rien de mortel,

Se débattoit ainſi que la Sibylle ;
L’autre s’enfuit avec le trait fatal ;
La Mere Alix penſa ſe trouver mal :
Il eſt trop vrai que ſes forces ſuccombent,
Son œil ſe ferme, & ſes lunettes tombent.
Sœur Madelon, déja faite au péril,
Tint fort long-tems le galant en fourriere ;
On murmuroit : où le miracle eſt-il ?
Bref, le héros accomplit ſa carriere,
Mais ce ne fut qu’après un long combat,
Bien diſputé, bien digne de mémoire :
Puis on entonne un beau Magnificat.
Tort ou raiſon, les Sœurs crioient victoire.
Mais ce qui doit charmer tout bon Chrétien,
Trente bleſſés ſe portent tous très-bien,
Et vont gaiement ſouper au Réfectoire.

 Mais ſavez-vous, Lecteur, l’heure qu’il eſt ?
Minuit ſonné. Depuis la nuit tombante,

Un grand Laquais eſt là-bas en arrêt,
Qui crie, & peſte, & jure, & ſe lamente ;
L’Abbeſſe enfin lui porte le coffret.
Le drôle part, & s’en va comme un trait.




Parapilla, poème érotique Français, illustration



Parapilla, poème érotique Français, Bandeau de chapitre
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CHANT IV.


RIen ne me charme autant que la morale,
Noble aliment fait pour l’eſprit humain ;
Voilà pourquoi ce Poëme en eſt plein :
Malheur pourtant à celui qui l’étale
Sans la parer, ſans la couvrir de fleurs,
Car il fera bâiller tous les Lecteurs.
L’ame eſt rebelle auſſi-tôt qu’on l’ennuye.
Maſſillon même a ſa coquetterie,
Et Fénelon daigna peindre Eucharis.
Que ſi je trace aux Belles de Paris
Des voluptés dignes du Paradis,
Triſtes Docteurs, Cenſeurs atrabilaires,
Quel eſt mon but ? Cela ne doit-il pas
Les détacher des choſes d’ici-bas ?

Chérira-t-on de ſemblables miſeres ?
Galant, de Cour ſi beaux, ſi bien tournés,
Faites les fiers, on va vous rire au nez.

 En ce tems-là vous ſaurez que la ville
Fut diviſée en différents partis,
Et qu’on craignoit une guerre civile.
Les plus ſuſpects, étoient les Capponis.
Le Barigel courroit toutes les nuits,
Eſpionnant, faiſant par-tout la ronde,
Interrogeant & fouillant tout le monde,
Et pour un rien les menant en priſon.
Il rencontra cheminant dans la rue,
L’homme au coffret : l’heure étoit très-indue ;
Et la livrée excitant le ſoupçon :
Arrête-là… Dis-moi ce que tu portes ? —
» Je n’en ſais rien. — La clef ? — Je ne l’ai pas…
» Allons, coquin, au cachot de ce pas.
L’autre entendant ces paroles trop fortes,

Jette la boîte, objet du démêlé,
Et court, & fuit, & tout honteux arrive
A la maiſon, diſant : on m’a volé.
Mais la caſſette ? hélas ! elle eſt captive.
Ce cher tréſor, par quel arrêt du Ciel
Va-t-il tomber aux mains d’un Barigel ?
Belles, pleurez, mais ſachez vous ſoumettre ;
Suivons toujours notre hiſtoire à la lettre.

 Au point du jour le Prévôt haraſſé,
Rentrant chez lui, n’eut rien de plus preſſé
Que de forcer la boîte & la ſerrure.
Les gens fort ſots ne s’étonnent de rien :
Comme il n’étoit du tout Phyſicien,
Il dédaigna ſon étrange capture ;
Et laiſſant-là le tout à l’aventure,
Entre deux draps il ſe met promptement,
Et bâille, & ronfle, & dort profondément.


 Ce jour-là même il marioit ſa fille,
Fort ingénue, au reſte aſſez gentille.
A l’heure dite on va la réveiller.
Tous les parents venoient de s’aſſembler ;
Chacun s’embraſſe & l’on court à l’Egliſe ;
Le Prêtre dit : Ego, vos conjungo.
Puis l’on s’en vient, & l’on dîne à gogo,
Tout en diſant mainte & mainte ſottiſe.
On rit, on boit, & chacun prophétiſe
Le ſiecle d’or aux deux nouveaux conjoints :
C’eſt fort bien fait ; mais gare les adjoints.

 En nous chargeant d’une chaîne ſi dure,
Avons-nous bien conſulté la nature ?
Se condamner à ſe plaire, toujours !
Enchaîne-t-on les Graces, les Amours ?
Ces petits Dieux n’ont-ils pas tous des aîles !
Hymen ſe trompe, il en fait des rebelles.
Tyran farouche, impérieux, jaloux,

Comme un Vautour, le ſoupçon le déchire :
Il eſt puni ; l’Amour tombe aux genoux
De la Beauté, la conſole, l’admire ;
Par ſon reſpect, il veut tout mériter :
Elle eſt eſclave, il en fait une Reine,
Une Déeſſe ; on me peut réſiſter.
Vous le croyez… Mais c’eſt trop m’écarter
De mon ſujet, Gabriël m’y ramene…

 L’après-midi, ſans-trop ſavoir pourquoi,
La mariée a quitté la cohue,
Toute inquiete, & rêvant à part ſoi,
En attendant que la nuit ſoit venue.
Dire comment la Belle eſt parvenue
A cette chambre où ſon pere couchoit,
Je n’en ſais rien ; mais enfin c’eſt un fait,
Et l’y voilà. Quoi, dit-elle, un coffret
De bois de roſe en belle mozaïque ?
Sachons un peu quel eſt ce beau ſecret.

Ainſi penſoit Eve, Pſyché, Pandore,
Madame Loth, & bien d’autres encore.
Inceſſamment vous jugez qu’elle ouvrit ;
Vous devinez comment l’autre s’y prit,
Comme il accourt, comme il entre en ménage ?
Si que la Belle, à ſon apprentiſſage,
Croit que c’eſt-là la fin du Sacrement
Qu’elle ignoroit, & ſe pâme d’autant.

 L’époux ſurvient, qui, la trouvant précoce :
Parbleu, dit-il, ne vous preſſez pas tant,
Vous allez voir un beau préſent de noce.
Non, mon ami, non, je le tiens… Hélas !
C’eſt bien en vain qu’il ſe jette en ſes bras,
Ivre d’amour, impatient ſuperbe ;
On lui crioit, vous nous importunés :
Notre homme reſte avec un pied de nez,
Et c’eſt de-là que nous vient le proverbe.


 Du haut des Cieux Gabriël a ſouri :
Que voulez-vous ? tel eſt ſon caractere,
Il ne craint pas de berner un mari.

 Le voilà donc fixé dans la carriere,
Bravant l’hymen, étonnant les Amours,
Ce fier athlete, & triomphant toujours.
Mortels heureux, on vante l’Eliſée ;
Il étoit-là ! mais quoi, dans ce bas lieu
Du plus grand bien il ne nous faut qu’un peu,
Et toujours feindre & choſe mal-aiſée.

 La chere Enfant, ſi l’on veut le ſavoir,
Fuyoit le monde, & ſur-tout les voiſines :
Chacun diſoit : elle fait trop de mines.
Vous qui riez, je voudrois vous y voir.

 Mais tout prend fin parmi l’eſpece humaine ;
Car un beau jour que ſon pere mourut,

Que les parents, amis, tout accourut :
Ah ! diſoit-elle ; en reſpirant à peine.
Chaque ſoupir trompoit, encourageoit
Notre Héros ; plus elle s’affligeoit,
Plus ſon aſpect vous ſéduit, vous enchante.
Baignés de pleurs, ſes regards ſont divins,
C’eſt Médicis, des crayons de Rubens.
Bref, ſa douleur parut ſi raviſſante,
Que le ſcandale en fut univerſel.
Toute éperdue & le cœur plein d’angoiſſe,
Elle s’échappe & vole à ſa paroiſſe,
Et ſe proſterne, & dit : Pouvoir du Ciel,
Rendez la paix à ces ſombres demeures !
Ce Memento n’étoit pas dans ſes heures ;
Elles ſont-là, près d’elle, à l’abandon.
Une dévote à coëffe rabattue,
A ſes côtés faiſant le cou de grue,
Prioit auſſi, mais ſur un autre ton.
L’autre reprit ſon livre de prieres,

Et tout-à-coup à ſes regards brilla
Un beau billet en très-gros caracteres,
En lettres d’or : dites, Parapilla.
Ne doutant point de quelques grands myſteres,
Elle obéit : Meſdames, plaignez-la.
Triſte miracle ; & peu digne d’envie !
Elle ne fit de mines de ſa vie.

 Mais l’habitude a de puiſſants appas.
Bien que l’Epoux obtint mainte victoire,
Qu’elle eût par fois qu’elqu’Amant dans ſes bras,
Toujours pleurant les beaux jours de ſa gloire,
Elle diſoit, non, vous ne m’aimez pas.

 Or maintenant, quelle ſut la retraite
Du fugitif ? La dévote en prit ſoin.
C’étoit Marton : il n’alla pas fort loin.
Du grand Laquais porteur de la caſſette,
Elle a tiré l’aveu le plus complet ;

Delà, ſuivant le gibier à la piſte,
Grace au ſoupçon, bon phyſionomiſte,
Elle connut quel lieu le recéloit.
Mais il s’agit d’en être l’exorciſte,
Sans ſe commettre ; & le plan bien conçu,
Le mot du guet, placé juſte en meſure,
A mis à fin cette belle aventure.
Encor un Chant, tout vous ſera connu.




Parapilla, poème érotique Français, illustration



Parapilla, poème érotique Français, Bandeau de chapitre
Parapilla, poème érotique Français, Bandeau de chapitre

CHANT V.


QUelques Lecteurs pourront trouver étrange
Qu’interrompant de ſi nobles travaux,
Une Soubrette occupe mon Héros.
Mais ce Poëme eſt dicté par un Ange :
Aux yeux du Ciel le chêne, le roſeau,
Le grain de ſable, & le plus beau joyau,
Tout eſt égal. Les charmes, la tendreſſe
Sont-ils un don de la ſeule richeſſe ?
Oh ! qu’il eſt doux par fois de déroger !
Plus d’un Héros eſt devenu berger,
Et plus d’un Duc en conte à la ſuivante.

 Notre Marton étoit fort avenante ;
Gens du bel air lui conviendroient beaucoup.

Mais dans le deuil de la Dame prudente ;
Nul n’eſt reçu : dès qu’elle eut fait ſon coup,
Droit au logis retourne la Donzelle
Genoux ſerrés, tremblant que ſon captif
Ne fût tenté de prendre congé d’elle,
Et ne lui fît un affront poſitif.

 Tel un filou qui, d’une main adroite,
Vient de voler un bijou précieux,
Cachant ſon trouble, obſerve à gauche, à droite,
L’air affairé, redoutant tous les yeux :
Ainſi Marton a regagné ſa porte,
Dans ſon réduit, toute ſeule au retour,
Sachons comment la Belle ſe comporte ;
Vous y verrez tout ce que peut l’Amour.

 Souvenez-vous qu’à la premiere vue
Le noble objet eut ſon affection ;
Depuis ce jour, c’eſt une paſſion

Que le dépit & l’abſence ont accrue.
Amour alors devient un autre Mars.
Notre Héros courut bien des haſards.
Si du deſtin la main toute-puiſſante
Avoit permis qu’il pût être vaincu,
Marton, ſans doute, eût été triomphante.
Mais vous ſavez qu’il ne l’a pas voulu.
Bientôt Marton à ſa douce Maîtreſſe,
Avec uſure, a rendu tous ſes torts.
Seule à ſon tour en proie à ſes tranſports,
De ſix laquais l’importune tendreſſe
Gémit en vain ; la Belle & ſes appas
Ne ſe font voir qu’aux heures du repas :
Et lorſqu’il faut paroître à ſa toilette,
Deux tours de main, voilà l’affaire faite.

 La Capponi trouva qu’on lui manquoit,
Et le congé lui fut donné tout net.
Sans balancer, Marton & compagnie

L’ont accepté. Tous deux incognito,
Ne ſe laſſant de leur charmant duo,
Vont occuper une chambre garnie,
Ne voyant qu’eux dans ce vaſte Univers,
Et fort contents d’avoir briſé leurs fers.

 Amour ! Amour ! quelle eſt ton imprudence !
Diane même a ſenti ta puiſſance :
Combien de ſoins pour ſon Endymion !
Combien l’Aurore a, gémi pour Tithon !
Et qu’à Vénus tes malheurs & tes charmes,
Bel Adonis, ont fait verſer de larmes !
Mais ſans chercher des exemples ſi beaux,
Que de Laïs jadis ſi bien payées
Par des Prélats, par des Chefs de Bureaux,
Dans un grenier maintenant oubliées,
Ont tout perdu pour des Godelureaux !

 Marton, ſans doute, a fait une folie ;
La pauvre enfant, ſon fonds eſt bien petit :

Ce fier régime augmente l’appétit ;
Sa bourſe fut bientôt à l’agonie.
Elle pleura, s’arracha les cheveux.
Voyez gémir l’imprudente fillette !
Son cœur pouſſé par de contraires vœux,
Eſt devenu la frêle girouette,
Triſte jouet des vents tumultueux.
Que faire enfin ? les extrêmes ſe touchent ;
La faim, la ſoif tellement l’effarouchent :
Allons, dit-elle, & ſans plus différer…
Mais perdre, hélas ! de ſi douces careſſes !
Et quel moyen de conſoler mes ſens,
De remplacer d’éternelles tendreſſes !
Hé bien, j’aurai, s’il le faut, dix Amants !
Les grands malheurs font les grands ſentiments.

 Fort à propos dans la maiſon voiſine,
Lucrece alors, avec trente valets,
En grand fracas vint loger ſes attraits.

Marton va voir cette beauté divine.
Entr’elles d’eux le marché ſe conclut,
Argent comptant, ſans billet ni cédule :
Elle en obtint le prix qu’elle voulut ;
Et ſoyez ſûr qu’avec un grand ſcrupule,
Inceſſamment ſon vœu fut acquitté.
Mais que l’on doit d’eſtime à cette Belle,
Qui veut orner de cette rareté
Son cabinet d’Hiſtoire naturelle !
Qu’elle a de goût & de ſagacité !
Or, apprenez que c’eſt une Princeſſe,
Fille du Pape, & de plus ſa Maîtreſſe.

 Alors ſiégeoit le fameux Borgia,
Du doux Jeſus terrible Grand-Vicaire,
Haï de Rome & chéri dans Cythere ;
Comme l’on ſait, chantant Alleluia,
Et célébrant, plus ſouvent que la Meſſe,
Le cas joyeux dans les bras de Lucrece.

Nul n’a jamais violé celle-ci ;
A Tarquin même elle eût dit, grand merci.

 Nous avons vu comme quoi dans Florence
Elle acheta, ſans plaindre la dépenſe,
Le don ſacré : puis elle s’en revint
Au Vatican trouver le Pere Saint.
Le beau bijou ne quittoit ſa ceinture ;
Il l’amuſa beaucoup dans la voiture,
Toujours charmant, & par monts & par vaux.
Si vous ſavez tant ſoit peu de phyſique ;
Fort aiſément ce myſtere s’explique,
Elle pâmoit preſqu’à tous les cahots.
La caroſſée étoit toute en allarmes.
Hélas ! bon Dieu ! dit ſa Dame d’honneur,
Vous plairoit-il ce flacon d’eau des Carmes ?
Depuis quand donc avez-vous tant de peur ?
Ah ! diſoit l’autre, elle va juſqu’au cœur.

 Mais quoi ? déja le toît du Capitole,

Et des Chrétiens l’auguſte Métropole,
Frappe ſes yeux : non telle qu’aujourd’hui,
Où d’Agripa la fameuſe rotonde,
Sur les deſſeins du fier Buonarotti,
S’éleve aux Cieux pour commander au monde ;
Mais telle encor que le grand Conſtantin,
L’avoit jadis par ſes mains conſacrée,
Humble au-dehors, & bien plus révérée
Avant le tems de Luther & Calvin.
Oh ! qu’ici-bas les deſtins ſont biſarres !
Tout change en mal ſur ce globe maudit :
Rome autrefois redoutoit les Barbares,
Ses Attillas ce ſont les gens d’eſprit.
Mais des enfers que peut la folle rage ?

 La Voyageuſe enfin rentre au Palais,
Le cher objet toujours ſerré de près.
Bon jour, ma fille, as-tu fait bon voyage ?
Et fourrageant déja tous ſes attraits,

D’une main libre… Alte-là, dit Lucrece :
Mon très-cher pere, & mon très-cher amant,
Vous que mon cœur doit chérir doublement,
Votre ſanté, c’eſt ce qui m’intéreſſe.
Vous pouvez tout, & mieux que Jupiter
Savez lancer & la foudre & l’éclair.
En fait d’amour il n’en eſt pas tout comme :
Vous le ſavez, ailleurs qu’in Cathedrâ,
Je vous ai vu ſujet à l’Errata :
Le Dieu du monde eſt ſouvent moins qu’un homme.
Pour m’épargner tout fâcheux accident,
Saint Gabriël m’a fait un beau préſent.
Malgré l’Egliſe, en dépit de la Bible,
Pour cette fois j’ai trouvé l’infaillible.
Voyez plutôt : ce n’eſt pas tout encor,
Ajouta-t-elle avec un air novice ;
Quand je permets qu’il prenne un peu l’eſſort,
Vous allez voir comme il fait l’exercice.


Incontinent le Lutin mis en jeu,
Part, s’élançant comme d’une ſoupape,
Et va brider le nez du Pere en Dieu.
Imaginez l’effroi du vieux Satrape
A cet aſpect ſubit, inattendu.
Dans ſa fureur il pourſuit l’anti-Pape ;
Mais à ſon poſte un ſoupir l’a rendu.
Plus d’une fois on répéta la choſe.
Tel qu’un volant qui jamais ne repoſe,
L’oiſeau léger partoit & retournoit.
Le Saint Prélat couroit, & entonnoit :
» Au nom du Ciel, de la Vierge Marie,
» Démon, fuyez, je vous excommunie :
Le pourchaſſant, alongeant ſes deux doigts,
Faiſant ſur lui de grands ſignes de croix,
Le tout en vain : & s’il court à Lucrece,
Déja l’intrus l’a gagné de vîteſſe.
La folle éclate, & l’orgueilleux rival
Demeure ferme au lieu Pontifical.


 Notre Alexandre étoit non moins colere
Que celui-là qui prit Perſépolis.
» Je n’ai donc plus les clefs du Paradis !
Et tout de ſuite il écrit à Saint Pierre,
Jurant de mettre & le Ciel & la Terre
En interdit, ſi juſtice on ne rend
Brieve & prompte, & ſur-tout accuſant
Le Gabriël d’être un mauvais plaiſant.

 Ce fut au Ciel une rumeur du diable :
Saintes & Saints tout s’aſſemble, tout court.
L’Ange a beau jeu pour ne pas reſter court ;
Il s’en explique, & d’un art admirable,
Il détailla les vices du vaurien :
Puis perſifflant le Pape & ſa pantouffle
Qu’il fait baiſer, le traite de marouffle.
A tout cela, Pierre dit : » J’en conviens ;
» Je n’eus jamais cet orgueil peu chrétien :
» Pourtant là-bas il occupe ma place ;

» Pour ce brigand, je vous demande grace.
Le tout s’appaiſe, & tout s’arrange au mieux.

 Mais Gabriël, par une bonne clauſe,
Pour ſon client obtint l’apothéoſe.
Le beau Phénix, tranſporté dans les Cieux,
Devint le page & l’amant des Cometes.
Chacun d’ici peut le voir ſans lunettes.

 O Gabriël ! ſi je t’ai mal chanté,
J’eſpere, au moins, que dans la Chrétienté,
Ce foible écrit te vaudra quelqu’antienne.
Jeunes Beautés, faites-lui la neuvaine ;
Aux cas urgents, dites Parapilla,
Mais ſans y joindre aucune force humaine :
Et vous verrez combien il eſt bon-là.


FIN