Paravents et Tréteaux/18

La bibliothèque libre.
Calmann Lévy, éditeur (p. 181-242).

LA CORNETTE


FARCE DU XVIe SIÈCLE


d’après Jehan d’Abundance


Représentée pour la première fois à Paris, le 12 mars 1877, au Théâtre de la Porte-Saint-Martin. Reprise au Théâtre de la Gaîté et au Théâtre des Nations.


AVANT-PROPOS




« Les Matinées caractéristiques de mademoiselle Marie Dumas à la Porte-Saint-Martin n’auraient mis en lumière que les deux excellentes farces rimées par M. Jacques Normand et par M. Albert Millaud, que cela seul suffirait à leur compter comme un titre efficace à la gratitude des lettrés.

« La Matinée dite « gauloise » de dimanche, commençait par une conférence très spirituelle et très instructive de M. Édouard Fournier, un des écrivains de notre temps qui connaissent le mieux la littérature française.

« C’est, d’ailleurs, M. Édouard Fournier qui a fait connaître au public la délicieuse farce de la Cornette, écrite en 1544 par maître Jehan d’Abundance, bazochien et notaire royal de la ville de Pont-Saint-Esprit. Avant que M. Édouard Fournier ne l’eût insérée dans son précieux recueil du Théâtre français avant la Renaissance, la farce de la Cornette, tirée d’un manuscrit de la bibliothèque La Vallière, n’avait été imprimée qu’à vingt-quatre exemplaires en deux éditions : la première, édition Montaran, 1829, à vingt exemplaires ; la seconde, édition Peyre de la Grave, à quatre exemplaires seulement, plus une copie autographiée dans la bibliothèque de M. le baron Taylor.

« La Cornette méritait cependant d’être mieux connue ; c’est, de toutes les farces du moyen âge, celle qui, après Pathelin, se rapproche le plus de la comédie. Un jeune poète, qui est en même temps un érudit, M. Jacques Normand, ancien élève de l’École des Chartes, s’était chargé d’en rajeunir le style, non pour le corriger, mais uniquement pour le rendre plus intelligible au public. Il a exécuté ce rentoilage littéraire d’une main discrète et habile. L’excellent Saint-Germain, mademoiselle Bianca, de la Comédie-Française, et mademoiselle Lamare, du Vaudeville, ont interprété avec beaucoup de finesse et de verve ce curieux spécimen des productions dramatiques qui réjouissaient la cour et la ville sous le règne de François Ier. »

Auguste Vitu (Figaro, 12 mars 1877).


Si, parmi les différents articles consacrés à la Cornette, je me permets de reproduire celui-ci, vraiment trop élogieux pour moi, c’est que j’y trouve un double hommage rendu, par une plume autorisée, à un éminent confrère qui n’est plus, et à une entreprise intéressante qui n’a pu vivre.

Le nom d’Édouard Fournier était synonyme de travail, érudition, affabilité. Le lire ou l’entendre, c’était l’apprécier ; le connaître, c’était l'aimer. Mais il ne m’appartient pas d’entamer ici un éloge que d’autres ont déjà fait avant moi, et mieux que moi. J'ai voulu seulement, m’étant aidé dans mon travail du si remarquable ouvrage le Théâtre français avant la Renaissance, inscrire le nom de son auteur sur cette page, comme preuve de ma profonde estime et de ma respectueuse sympathie pour ce savant modeste et consciencieux, ce critique distingué, cet homme de bien.

Quant aux Matinées internationales de mademoiselle Marie Dumas, qu'il me soit permis d’en regretter la disparition. L’idée première en était ingénieuse et élevée ; il y avait là, ce me semble, un véritable régal pour les délicats et les curieux de littérature dramatique. Malgré des efforts courageux et intelligents, ce premier essai n’a pas réussi : est-ce à dire qu’une seconde tentative aurait forcément le sort de la première ? On peut espérer que non.

Suivant l’expression si heureuse de M. Auguste Vitu, c’est bien un « rentoilage littéraire » que j’ai voulu faire en adaptant à la scène cette petite farce de la Cornette. Fil à fil, — mot à mot, — j’ai transporté sur une toile neuve les couleurs de l’ancienne toile, et si, pour le rendre plus saisissable aux yeux modernes, j’ai dû parfois raviver le coloris, je ne l’ai fait que par touches discrètes et sans cesser de respecter le dessin du tableau. Scrupuleux du texte, je m’en suis écarté le moins possible, préférant quelque rime faible, mais authentique, à la rime plus riche qui me venait sous la plume, et n’introduisant qu’à contre-cœur le moindre passage, le moindre mot de mon cru. La plus grande licence que je me sois permise, — et encore était-ce nécessité de mise en scène, et quelque peu aussi de convenances, — a été de féminiser un personnage d’homme, de changer Finet en Finette : métamorphose insignifiante, qui n’altère en rien l’économie de l’ouvrage, et dont le public n’a pas songé un instant à se plaindre en voyant la charmante mademoiselle Lamare dans ce rôle de serviteur du XVIe siècle passé servante au XIXe.

La farce de la Cornette est plus qu’une farce : elle mérite presque le titre de comédie et de comédie de caractère. Celui de la femme n'est-il pas vivant, profondément étudié ? Comme le fait remarquer justement Édouard Fournier, « elle n’a qu’à grandir un peu pour devenir Beline ou madame Évrard, compliquée d’une coquette ». En outre, — point intéressant dans l'histoire du théâtre, — c’est notre farce qui paraît renfermer le germe de la comédie de quiproquo : la cornette que le mari prend pour sa femme et autour de laquelle roule l’action. Quiproquo naïf s’il en fut, jeu d’enfant à côté des imbroglios compliqués du théâtre espagnol, mais qu'on peut considérer comme la première apparition d’un genre depuis lors exploité à l’infini. À ce titre seul, et indépendamment de sa valeur réelle, la farce de la Cornette devait être mise à la scène, — ce que j’ai fait aux matinées internationales ; et publiée, — ce que je fais aujourd’hui.

Jehan d’Abundance, qui prit parfois le titre fantaisiste de « Maistre Tyburce, demeurant en la ville de Papetourte », a écrit un grand nombre de poésies, farces, moralités et mystères. La date de sa naissance est inconnue : on place celle de sa mort entre 1540 et 1550.

La plupart des pièces de Jehan d’Abundance sont datées de Lyon. On ne connaît que les titres des suivantes : le Couvert d’Humanité, moralité (Lyon, 1534) ; le Monde qui tourne le dos à chacun, moralité en vers, Lyon, 1536 ; Plusieurs qui n’a pas de conscience, moralité, même lieu et même date.

Mais il reste de lui, soit à l’état d’imprimé extrêmement rare, soit seulement à l’état de manuscrit : Mystère, moralité et figures de la Passion, imprimé à Lyon en 1600 ; le Testament de Carême entrant, à VIII personnages, également imprimé ; le Joyeux Mystère des trois rois, à VII personnages, en manuscrit seulement ; enfin la Farce nouvelle très bonne et très joyeuse de la Cornette, à V personnages, presque inédite, vu la rareté des éditions qui en ont été faites et qu’indique ci-dessus M. Auguste Vitu.

Mais je m'arrête, ne voulant faire ici œuvre d’érudit ni de bibliophile. Simple adaptateur, simple rajeunisseur comme on m’a appelé à ce propos, — quel succès ce titre pourrait me valoir en bien des cas ! — j’ai tenu seulement à saluer en passant mon illustre maître et ancêtre Jehan d’Abundance, joyeux bazochien et notaire royal de la ville de Pont-Saint-Esprit, robuste représentant de cette vieille gaieté française bien vivante encore, Dieu merci, mais autour de laquelle on ne saurait trop faire bonne garde par ce temps de politique envahissante et de naturalisme desséchant !

J. N.




PERSONNAGES




Le mari M. Saint-Germain, du théâtre du Gymnase.
La femme Mmes Bianca, de la Comédie-Française.
Finette Mmes Lamare, du théâtre du Vaudeville.
Premier neveu MM. de Wailly.
Deuxième neveu MM. Talbert.

LA CORNETTE




Intérieur d’un bourgeois, au commencement du XVIe siècle. Porte au fond donnant sur la rue. Portes latérales. À droite, un grand bahut sculpté.




Scène première.

LA FEMME, FINETTE.
LA FEMME, assise près du bahut, tient sur ses genoux un pourpoint de satin qu’elle finit de coudre. Dès qu’elle aperçoit Finette arrivant par la porte du fond, elle se lève et va vivement à elle.



As-tu bien fait ton personnage,
Finette, et rempli ton message ?

FINETTE.

Oui, ma maîtresse.

LA FEMME.

Oui, ma maîtresse.Et qu’a-t-il dit ?

FINETTE.

Qu’il est tout vôtre, et se maudit
D’avance, si plus que lui-même
Et pour toujours il ne vous aime.

LA FEMME.

C’est tout ?

FINETTE.

C’est tout ?Non ! qu’il vous servira
Et fera ce qu’il vous plaira…
Il est bien mignon, sur mon âme !

LA FEMME.

Oh ! oui ! Finette ! Toute femme
L’aimerait !

FINETTE.

L’aimerait !Certe ! il est si fin !
Il poussait des soupirs sans fin
Quand je parlais de vous, maîtresse.

LA FEMME.

Doux ami !… Mais, je le confesse,
J’ai bien quelque peur, entre nous,
Que mon mari ne soit jaloux.

FINETTE.

Quoi que sur votre compte on die,
N’ayez crainte : en vous il se fie.

LA FEMME.

Tout à fait !

FINETTE.

Tout à fait !Il a bien raison !

LA FEMME.

Femmes savent une oraison
Pour endormir leurs maris.

FINETTE.

Pour endormir leurs maris.Voire[1] !
Et puis Dieu, le bon roi de gloire,
Est si courtois pour les jaloux
Que pour rendre leur mal plus doux
Il leur donne, par bienfaisance,
Bonne et solide patience.
Vous avez le cas éprouvé :

Par saint George ! Avez-vous trouvé
Jamais aussi complaisant homme ?
Il est plus mou, maîtresse, en somme
Qu’une pomme de Capendu !
Ah ! combien vous auriez perdu
Si vous le perdiez !

LA FEMME.

Si vous le perdiez !Notre-Dame !
Qu’entends-tu par là ?

FINETTE.

Qu’entends-tu par là ?Qu’une femme
Dans certains cas trouve à propos
Un mari, quand il a bon dos !

LA FEMME.

Voire !

FINETTE.

Voire !Il faut qu’aussi je vous dise
Que j’ai rencontré près l’église,
Le chanoine : il vous aime bien
Aussi !

LA FEMME.

Aussi !C’est un homme de bien.

FINETTE.

Bonne mine, ronde bedaine,
Et l’escarcelle toujours pleine !
Ah ! l’Église lui fait profit !
Sur lui vous avez tout crédit.

LA FEMME.

Si je lui disais que les nues
Étaient peaux de veau devenues,
Il me croirait !

FINETTE.

Il me croirait !N’en doutez point !
Et les bons canards bien à point,
Les beaux chapons, sainte Marie !
Dont par lui vous êtes nourrie !
Et ses jambons ! Et son vin vieux !
Comment pouvez-vous aimer mieux
Le compagnon que le chanoine ?

LA FEMME.

Froment vaut toujours mieux qu’avoine,
À mon avis !

FINETTE.

À mon avis !Ainsi qu’au mien !
Maîtresse, je ne veux en rien
Ici vous dire le contraire.

LA FEMME.

Or sais-tu ce qu’il te faut faire ?
Vers mon ami tu t’en iras,
Entends-tu bien, et lui diras
Que j’ai pour lui vive tendresse,
Et que, pensant à lui sans cesse,
Je viens de finir ce matin
Ce très beau pourpoint de satin.

(Elle lui donne le pourpoint.)
Moi je vais, sans craindre le blâme…
(Apercevant son mari qui entre par le fond.)
Mon mari !
(À Finette.)
Mon mari !Va vite !
(Finette sort vivement, cachant le pourpoint derrière son dos.)

Scène II.

LE MARI, LA FEMME.
LE MARI, joyeusement.

Mon mari ! Va vite !Ha ! ma femme !

(Il ôte sa cornette et la pose sur le bahut.)
LA FEMME.

Vous voilà rentré, baisez-moi.

LE MARI.

Hé ! folle ! folle !

LA FEMME.

Hé ! folle ! folle !Tant d’émoi
Ne nous est au corps profitable !

LE MARI.

Ah ! ton cœur est si charitable
Que la larme me vient aux yeux !

LA FEMME.

En bonne foi, j’aimerais mieux
Être morte que vous !

LE MARI.

Être morte que vous !Ma mie,
Pour moi, je ne le voudrais mie !
En pleine jeunesse et beauté…

LA FEMME.

Ah ! mon ami ! votre bonté,
Votre raison, votre tendresse,
Vos soins constants, votre sagesse,
Votre très précieux bon sens,
M’ont mis au cœur ce que je sens :
Plaisirs et pensée amoureuse,
Dont je me tiens la plus heureuse
Femme que jamais ait prise homme
Depuis Paris jusques à Rome !
Pour mon bonheur tout est prévu :
Mon ami, bien vous avez su
Mener la chose du ménage,
Et Dieu, notre Père le sage,
Vous en récompense très fort.

LE MARI.

Oui, car il me donne d’abord
Un trésor, à l’abri du blâme.

LA FEMME.

Et quel trésor ?

LE MARI.

Et quel trésor ?C’est vous, ma femme !
Car je vous sais prude en tout point,
Sage, fidèle, et n’ayant point
Le vouloir de méchants tours faire.

LA FEMME.

Vraiment, je n’aurais point affaire
À qui ne saurait, en effet,
Si c’est mal ou bien que j’ai fait.
Mais vous, vous le savez, je gage ?

LE MARI.

Moi ! je connaîtrais au visage,
— Sans jamais me tromper en rien, —
Quand une femme fait le bien,

Ou quand, légère et vicieuse,
Elle est de plaisir curieuse.
On dit : Nolo nulla portet
Ne soritur a usque nolla
Meis in mala sola[2].
Ai-je point été écolier ?
Je suis le chien au grand collier[3]
Et réponds de tout.

LA FEMME.

Et réponds de tout.De ma vie
De vous tromper je n’eus envie.
N’en ayez crainte…

(Le prenant par le menton.)
N’en ayez crainte…Quand je vois

Votre galant petit minois,

Votre belle face si pleine,
D’honneur, je serais bien vilaine
Et digne de la male mort !

LE MARI.

Allez ! je vous crois sans effort.
Vous n’êtes pas de telle sorte
Et vous n’avez garde qu’il sorte
D’un bon cœur que toute bonté.

LA FEMME.

Dieu ne m’en donne volonté !
Si je devais être infidèle,
Vaine, et ne demeurer plus telle
Que je fus toujours ci-devant…
J’aimerais mieux mourir avant !

(Elle pleure.)
LE MARI.

Tenez ! tenez ! la folle pleure !
Maudit qui dirait à cette heure
Que jamais à mal tu pensas !

LA FEMME.

Allons ! ne te tourmente pas,
Mon cher ami ! Sus ! et ris doncques !
Si joyeux je ne vous vis oncques
Et de plus gaillarde santé !

LE MARI.

Depuis que mon cœur a hanté
Votre petit cœur, ma mignonne,
En moi, matin et soir, résonne
La chanson du rossignolet !

LA FEMME.

Baisez-moi.

LE MARI, l’embrassant.

Baisez-moi.Quel bonheur complet
Je goûte auprès de vous, ma mie !
Je sens mon corps en grande vie :
Jamais je ne me portai mieux !

LA FEMME.

Baisez-moi.

LE MARI, l’embrassant.

Baisez-moi.Je ne suis pas vieux,
Mais je blanchis de ma nature !

LA FEMME, le caressant.

Oh ! oui ! Voici la créature
Que j’aime et veux aimer encor !

LE MARI.

Mon petit poulet ! mon trésor !

(Il cherche à l’entraîner.)
LA FEMME, montrant la porte latérale.

Chut ! Il faut que d’ici je sorte !

(À part.)
Tromper un mari de la sorte,

C’est mal, mais nulle, par ma foi !
Ne s’y prend aussi bien que moi !

(Elle va pour sortir.)
LE MARI, la suivant.

Je vous suis, petite mignonne,
Cher petit cœur !

(Ils sortent.)



Scène III.

LES DEUX NEVEUX, puis FINETTE.
PREMIER NEVEU, paraissant à la porte de la rue.

Cher petit cœur !Holà ! personne !

DEUXIÈME NEVEU.

Personne ? Entrons !

PREMIER NEVEU.

Personne ? Entrons !L’oncle est parti !
Profitons-en… Prenons parti
Et sachons ce qu’il faut lui dire.

DEUXIÈME NEVEU.

Très bien.

PREMIER NEVEU.

Très bien.Nous venons pour l’instruire
Du tort que sa femme lui fait.
C’est notre parent.

DEUXIÈME NEVEU.

C’est notre parent.En effet.

Et ce mal est de telle sorte
Que de l’avertir il importe.
Nous taire, c’est honte pour nous.

PREMIER NEVEU.

Voire ! Et, s’il est un peu jaloux,
Il comprendra notre requête.

DEUXIÈME NEVEU.

Mon serment ! il n’est qu’une bête !
Sa femme dépense son bien
On ne sait comment ni combien
Et la chose nous intéresse.

FINETTE, entrant doucement par le fond et écoutant.

Ils caquètent de ma maîtresse…
Je veux un petit écouter
Et puis j’irai tout lui conter.

(Elle se cache derrière le bahut.)
PREMIER NEVEU.

De telle sorte il nous faut faire
Que la tante n’ait plus l’affaire
Entre mains : le bien en dépend !
S’il ne la châtie et reprend,
Il sera par-dessus la tête
Sot et cornet !

DEUXIÈME NEVEU.

Sot et cornet !Il la croit nette
En tout point, et femme de bien,
Le fol !

PREMIER NEVEU.

Le fol !Donc, entendons-nous bien.
Nous lui dirons que notre tante
Est très vilaine et très méchante.

FINETTE, à part.

Ouais !

DEUXIÈME NEVEU.

Ouais !Nous ajouterons cela :
Qu’elle s’en va deçà, delà,
À tous les vents, devant, derrière,
Qu’elle est de mauvaise manière,
Et court çà, là, de tous côtés.

PREMIER NEVEU.

C’est très bien dit. Or, escoutez :
J’ai peur que l’on nous puisse entendre
Ici. Puisqu’il nous faut attendre
Notre oncle absent, si nous allions
Dehors, bien mieux nous causerions ?

DEUXIÈME NEVEU.

Soit ! Allons !

(Ils sortent.)
FINETTE, quittant le bahut.

Soit ! Allons !Vite à ma maîtresse
Je vais tout conter : son adresse
De ce mal saura la guérir.


Scène IV.

FINETTE, LA FEMME.
LA FEMME.

Finette !

FINETTE.

Finette !Ah ! que viens-je d’ouïr !
Je veux vous le dire à cette heure.

LA FEMME.

Est-ce mal ?

FINETTE.

Est-ce mal ?À peu que n’en pleure.
Le diable ne ferait pas mieux !

LA FEMME.

Quoi donc enfin ?

FINETTE.

Quoi donc enfin ?Vos deux neveux
Contre vous sont tout remplis d’ire,
Et sont délibérés de dire

À mon maître ceci, cela :
Que vous allez deçà, delà…
Que vous êtes méchante femme,
Et très vilaine, et très infâme…
Que vous vous tournez et portez
À tous les vents, de tous côtés…
Mon maître, — s’il vous savait telle,
Vous haïrait de mort mortelle !

LA FEMME, tranquillement.

C’est tout ?

FINETTE.

C’est tout ?C’est assez !

LA FEMME.

C’est tout ? C’est assez !Ce n’est rien !

FINETTE.

Mais…

LA FEMME.

Mais…Paix ! Je m’en tirerai bien.
À part moi, laisse-moi débattre
La manière de les combattre.
Ils lui diront ceci, cela…
Que je m’en vais…

FINETTE.

Que je m’en vais…Deçà, delà.
Tout de travers…

LA FEMME.

Tout de travers…Bon !

FINETTE.

Tout de travers… Bon !Déshonnête,
Vilaine…

LA FEMME.

Vilaine…Bon !…

(Avisant la cornette que son mari a laissée sur le bahut.)
Vilaine… Bon !…Cette cornette,

Elle aussi… pourrait… J’ai trouvé
Le bon moyen : tout est sauvé !

FINETTE.

Et c’est ?

LA FEMME, apercevant son mari.

Et c’est ?Ah ! mon mari !

FINETTE, à part, en s’en allant.

Et c’est ? Ah ! mon mari !Trédame !
Ma maîtresse est habile femme !

(Finette sort.)

Scène V.

LA FEMME, LE MARI.
LA FEMME, très aimable.

Comment vous portez-vous ?

LE MARI, joyeux.

Comment vous portez-vous ?Comment ?
À votre bon commandement.

LA FEMME.

Je ne voudrais jamais sans cause,
Mon cher mari, vous dire chose
Qui vous donne ennui, mais pourtant
Je voudrais vous dire à l’instant…

LE MARI.

Dis !

LA FEMME.

Dis !Je n’ose.

LE MARI.

Dis ! Je n’ose.C’est donc affaire
Grave ?

LA FEMME.

Grave ?Non ! mais je veux me taire
Par peur de vous fâcher…

LE MARI.

Par peur de vous fâcher…Jamais,
Ma fillette, tu ne pourrais !

LA FEMME.

Cela ne vaut pas le mot dire…

LE MARI.

N’importe ! Je veux m’en instruire !
Dis, sans mentir d’un demi-mot !

LA FEMME.

Je le dirai, puisqu’il le faut.
Vos parents… leur audace est haute
Disent…

LE MARI.

Disent…Quoi ?

LA FEMME.

Disent… Quoi ?Ce n’est pas leur faute…

LE MARI.

Mais qu’est-ce donc, par saint André ?

LA FEMME.

Les prendrez-vous à mauvais gré ?

LE MARI.

Nenni !

LA FEMME, s’en allant.

Nenni !De leur faute ils ont peine…
N’en parlons plus !

LE MARI, la ramenant.

N’en parlons plus !La mort me prenne
Si je ne sais tout !

LA FEMME.

Si je ne sais tout !Soit ! hormis
Ce que sur mon compte ils ont mis !

LE MARI.

Sainte Vierge ! En est-il, ma mie,

Qui sur vous ait dit infamie
Ou bien à votre honneur touché ?

LA FEMME.

Mon honneur ? Bien serait mouché
Et puni qui l’oserait dire !
Sur cela point ne laisse rire !

LE MARI.

Je soutiendrai jusqu’à la mort
Que jamais ne me fîtes tort.
Je le prends sur ma conscience !
Mais parlez-moi de cette offense
De mes parents. Çà, je le veux :
Qui sont-ils ?

LA FEMME.

Qui sont-ils ?Deux de vos neveux,
Très bien appris ils pensent être,

Et veulent vous faire connaître
Que… Mais, sur votre bonne foi,
Vous ne direz pas que c’est moi
Qui vous l’ai dit ?… Votre cornette,
Prétendent-ils, est déshonnête,
Vilaine…

LE MARI.

Vilaine…Vraiment ? de mon fait,
Ils ont souci ? Sois-je défait
Et maudit, si jamais je pense
À leur donner ma confiance !

LA FEMME.

Hé ! ne vous en déconfortez !
Ils ont dit que vous la portez
À tous les vents, devant, derrière,
Et de fort mauvaise manière.

LE MARI, coiffant la cornette.

Vraiment !

LA FEMME.

Vraiment !À l’endroit, à l’envers,
Deçà, delà, tout de travers.

LE MARI, furieux.

Les brûle la fièvre quartaine !

LA FEMME.

Cependant la chose est certaine :
Sans vous mentir d’un demi-mot,
Elle vous va très comme il faut !

LE MARI.

Le diable les pende tout raides !
Ils veulent donc mettre remèdes
À mes vêtements ?

LA FEMME.

À mes vêtements ?Il paraît !

LE MARI.

Dès que ma cornette vous plaît,
C’est tout ce qu’il me faut, ma mie !

LA FEMME.

Paix, monsieur ! Faut-il qu’on vous die
Que ce qui vous plaît me plaira
Toujours, et de mon gré sera ?
Votre volonté, c’est la mienne.

LE MARI.

Bon petit cœur ! Or çà, qu’on vienne,
Mes chers neveux ! par saint André,
De bon argent je vous paierai !
Puisqu’ils parlent de ma cornette,

Je vais parler à leur barrette,
Si bien qu’il leur en souviendra !

LA FEMME, à part.

Je m’en vais tandis qu’on viendra.
Je crois qu’ils s’en vont aller paître,
Surpris comme jamais peut-être
Rat ne le fut.

LE MARI.

Rat ne le fut.Je te promets
De leur servir de certains mets
Dont jamais plus n’auront envie !

FINETTE, rentrant.

Voici les deux neveux !

LE MARI.

Voici les deux neveux !Ma mie,

Va-t’en ! Je vais les recevoir
Comme il faut !

FINETTE, arrêtant la femme derrière la porte.

Comme il faut !D’ici l’on peut voir,
Maîtresse…

LA FEMME.

Maîtresse…Oui, j’en serai contente !



Scène VI.

LE MARI, LES DEUX NEVEUX ; LA FEMME et FINETTE, cachées derrière la porte.
PREMIER NEVEU.

Bonjour, mon cher oncle ! Ma tante
N’est pas ici ?

LE MARI, bourru.

N’est pas ici ?Vous le voyez !

DEUXIÈME NEVEU.

Dieu vous garde !

LE MARI.

Dieu vous garde !Bien vous soyez !

DEUXIÈME NEVEU.

Ma tante n’est pas…

LE MARI.

Ma tante n’est pas…Mille diables !
J’ai dit non !

FINETTE, à part.

J’ai dit non !Ils sont incapables
D’oser leur propos entamer.

PREMIER NEVEU.

Oncle, vous devez présumer
Que nous cherchons, — c’est chose sûre,
Votre profit…

LE MARI.

Votre profit…N’en ayez cure !

DEUXIÈME NEVEU.

Votre honneur…

LE MARI.

Votre honneur…Donnez-moi repos !
J’entends déjà votre propos.

PREMIER NEVEU.

Au moins laissez-nous vous décrire…

LE MARI.

Je sais ce que vous m’allez dire...

DEUXIÈME NEVEU.

Jamais on ne vous en parla…

LE MARI.

Soit ! Elle ira deçà, delà.
De bonne ou mauvaise manière,
Tout de travers, devant, derrière,
En dépit que vous en ayez !

PREMIER NEVEU.

Oncle, en nous si vous ne croyez
Et sortez ainsi de l’usage,
Chacun vous trouvera peu sage…

DEUXIÈME NEVEU.

Chacun de vous se moquera.

LE MARI.

Soit donc ! Je vous dis qu’elle ira
Comme il lui plaît, suivant sa guise,
Quoi qu’on en pense et qu’on en dise !

PREMIER NEVEU.

Mais.

DEUXIÈME NEVEU.

Mais.Car.

PREMIER NEVEU.

Mais. Car.Si…

LE MARI.

Mais. Car. Si… Je le veux ainsi,
Malgré tous vos car et vos si !

DEUXIÈME NEVEU.

Mais de vous, oncle, on va médire !

LE MARI.

Gare à celui qui voudra rire !

PREMIER NEVEU.

Cependant…

LE MARI.

Cependant…Vous parlez pour rien !

DEUXIÈME NEVEU.

Elle vous plaît ainsi, c’est bien !
Mais elle est fausse et déshonnête !

LE MARI, enfonçant sa cornette sur sa tête.

Déshonnête, elle ! La plus nette
Que sur la terre on trouverait !
Et, d’ailleurs, la chose ainsi plaît
À votre tante, à moi de même !

LES DEUX NEVEUX.

À vous ?

LE MARI.

À vous ?Oui ! C’est ainsi que j’aime
Qu’elle soit ! Bonne est sa façon.
En dépit de votre leçon,
Je veux qu’elle aille à son idée :
C’est chose par moi décidée.

D’ailleurs, ainsi comme autrement,
Elle va très honnêtement !
Pourquoi tant vous soucier d’elle ?

PREMIER NEVEU.

Plût à Dieu que la vissiez telle
Qu’aux yeux de tout le monde elle est
Et le bel honneur qu’elle fait
À votre tête, la vilaine !

LE MARI.

Vous brûle la fièvre quartaine !
Vous avez menti par vos dents !
Êtes-vous venus ci-dedans
Me corriger ?

DEUXIÈME NEVEU.

Me corriger ?Non ! vous instruire…

LE MARI.

Paix ! Elle me plaît ! C’est tout dire !

PREMIER NEVEU.

Fort bien ! Mais calculez aussi
Ce qu’elle vous coûte…

LE MARI.

Ce qu’elle vous coûte…Merci !
De mon argent ne prenez cure.
Puis, tombât-elle d’aventure
Dans la fange, du haut en bas,
Que mon amour ne pourrait pas
Lui faillir. Elle est à ma guise !

DEUXIÈME NEVEU.

Pourtant…

LE MARI

Pourtant…Elle ira, quoi qu’on dise,
Tout partout, à mont comme à val,
Sans que j’y trouve rien de mal.
Allez ! et ne m’en venez oncques
Reparler…

DEUXIÈME NEVEU.

Reparler…Mais elle ira doncques…

LE MARI.

Oui ! ne m’allez pas échauffer
Ou je donne au diable d’enfer
Celui qui veut ouvrir la bouche
Là-dessus !

PREMIER NEVEU.

Là-dessus !Votre honneur nous touche !

LE MARI.

Mon honneur ? Morbleu ! J’en ai plus
Que vous et que tout le surplus
De mon lignage et de ma race !

DEUXIÈME NEVEU.

C’est raison, mais…

LE MARI, furieux.

C’est raison, mais…Videz la place,
Car ma maison vaut mieux que vous !

PREMIER NEVEU, s’en allant.

Mon oncle, adieu ! Pardonnez-nous !

DEUXIÈME NEVEU, de même.

De cela, jamais de la vie
De vous parler n’aurons envie.

LE MARI, furieux, les prenant tous deux par la main, les ramenant et secouant la tête avec rage.

Si jamais m’en venez parler,
Je la ferai plus fort aller
Par-ci, par-là, devant, derrière,
À me tourner la tête entière !

PREMIER NEVEU, s’en allant.

Laissons-le donc s’associer
Comme il veut !

DEUXIÈME NEVEU, de même.

Comme il veut !À nous soucier
De lui, nous perdons notre peine !

PREMIER NEVEU.

Toute prière serait vaine
Car il est de nous dégoûté !

DEUXIÈME NEVEU.

Vieux fou !

(Les deux neveux sortent.)



Scène VII.

LE MARI, LA FEMME, FINETTE.
LA FEMME, quittant sa cachette, à Finette.

Vieux fou !Qu’en dis-tu ?

FINETTE.

Vieux fou ! Qu’en dis-tu ?Bien jouté !

LA FEMME, de même.

Elle est très fine, la finesse !

FINETTE.

Oh ! oui ! maîtresse !

LA FEMME.

Oh ! oui ! maîtresse !En ma jeunesse,
J’ai fait bons tours petits et grands !

(S’avançant, à son mari.)
Hé bien ! mon mari, vos parents

Ont-ils parlé de la cornette ?

LE MARI.

Ils ont eu réponse fort nette !
Vers moi toujours aurez crédit !
Ah ! sur ma foi ! s’ils m’avaient dit
Que vous fussiez mauvaise femme,
Déshonnête, vilaine, infâme,
Vous en allant de tous côtés,
Et pleine de mauvaisetés,
J’aurais autant cru leur sornette

Comme j’ai fait pour ma cornette.
La raison ? Je vous connais bien
Et je sais qu’ils ne valent rien
Et qu’ils sont de mauvaise sorte.

LA FEMME.

Moi ! j’aimerais mieux être morte,
Sur ma foi !

LE MARI.

Sur ma foi !Beau petit menon !

LA FEMME.

Moi, déshonnête et fausse… oh ! non !
Je jure…

LE MARI, avec amour.

Je jure…Sans jurer, ma mie,
Je vous connais, n’en doutez mie.

LA FEMME, au public.

Pour fin et pour conclusion,
C’est sans nulle prétention
Qu’à vous cette Farce est donnée ;
C’est pour passer bonne journée
Et réjouir gens gracieux :
Sus ! sus ! Allons de mieux en mieux !



  1. Certainement !
  2. Latin inintelligible et vraisemblablement estropié.
  3. Le chien qui garde tout.