Paris-Éros. Deuxième série, Les métalliques/14

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(alias Auguste Dumont)
Le Courrier Littéraire de la Presse (p. Ill.-177).
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Syndicat des hommes de loi.
(Groupe sympathique.)


XIV


Le prélude d’une affaire. — La famille de la bonne. — Statistique morale sur la domesticité. — Réception à l’hôtel Fornicula. — Toujours Me  Cordace ou Me  Cordace for ever.


Maintenant que le coffre-fort s’emplissait, Mme Blanqhu n’eût plus qu’une pensée : acquérir un hôtel dans un centre aristocratique.

Elle se faisait chaque jour acheter une douzaine de journaux par sa bonne, et en parcourait les annonces. Ce fut ainsi qu’elle apprit la mise en vente de l’hôtel Fornicula, du nom de la diva qui l’avait fait bâtir.

Son emplacement, avenue du Trocadéro, la décida.

Elle se rendit aussitôt chez le notaire chargé de la vente amiable.

La mise à prix était de sept cent mille francs, dont quatre cent et vingt mille francs dus au Crédit Foncier, à retenir.

L’affaire fut conclue séance tenante. Aglaé, en présence de son mari, versa deux cent quatre-vingt mille francs, plus les frais, entre les mains du notaire, l’hôtel restant hypothéqué de la somme qui le grevait.

Pendant que les maçons, les menuisiers et les peintres mettaient l’immeuble en état, Mme Blanqhu pensait à s’attacher une domesticité de tout repos, c’est-à-dire qu’elle pût tenir en bride.

Sa bonne Julie, qu’elle avait prise à son service sur la fin de sa vie d’hospitalisation publique, était une maîtresse servante, mais aussi une maîtresse coquine, qu’elle tenait en main par la crainte de révélations qui auraient pu l’envoyer au bagne, et qui s’était faite son âme damnée.

Elle connaissait assez son caractère ombrageux, tyrannique et ses dispositions de femme à poigne, pour lui attribuer, en qualité de gouvernante, les fonctions de chef de son ministère domestique.

Après l’avoir prévenue de ses intentions, Mme Blanqhu eut avec elle un grand conseil.

— Vous m’avez recommandé votre oncle et votre tante de Lambersac comme concierges de l’hôtel, vous me répondez d’eux ? lui demanda Aglaé.

— Ils obéiront à l’œil et au doigt : je les tiens par la patte.

— Auraient-ils aussi quelque chose sur la conscience ?

— Ma tante, non ; mais quand on est mariés, c’est la même chose.

— Votre oncle n’est pas un voleur, j’espère ?

— Lui, un ancien gendarme décoré ! Madame plaisante… Un simple accident qui lui est arrivé en braconnant. Un garde forestier qui s’est bêtement placé devant son fusil. Qu’allait-il faire là, cet imbécile, au lieu de travailler comme un honnête homme ?

— Ça n’a pas d’importance, mais c’est toujours bon à savoir.

— Madame pense exactement comme ma tante. C’est la faute du garde.

— Et votre cousin dont vous m’avez parlé comme cocher ?

— Ah ! lui, c’est un gars qui n’a pas froid aux yeux et c’est un bel homme qui connaît les chevaux. Il en a assez volé pour cela.

— C’est un voleur de chevaux ?

— Non, pas comme Madame le comprend. En Amérique, c’est un métier d’honnête homme.

— Il a habité l’Amérique ?…

— Oui, le Brésil, l’Argentine, le Paraguay.

— Parle-t-il espagnol ?

— Comme moi.

— Vous parlez espagnol ?

— Puisque je suis Basque.

— Je vous croyais Bretonne.

— Je suis née en Espagne, mais nous sommes venus demeurer à Lambersac, le pays de ma mère.

— Encore un accident de famille ?

— Que voulez-vous, quand la mauvaise chance vous poursuit ! Mais, cette fois, ce n’était pas la faute de mon père ; c’est par mégarde, en allumant sa cigarette, qu’il a mis le feu au château de Limma.

— Et il s’est enfui en France.

— Non, il est mort au bagne de Ceuta.

— C’est ce qui s’appelle ne pas avoir de chance.

— Quand je le disais à Madame !

— C’est entendu, je prends votre oncle, votre tante et votre cousin à mon service. Vous les préviendrez.

— Il y a encore ma sœur, qui a servi chez les Boulenbeck et qui n’a pas sa pareille pour la salade russe.

— Elle n’a encore empoisonné personne ?

— Pour sûr que non, c’est une brave fille.

— Comme je ne veux pas qu’elle commence par moi, vous la caserez ailleurs. J’ai mes gens pour la cuisine.

— Madame ne peut pas se passer de femme de chambre.

— Je m’habille moi-même. Je n’ai besoin de personne pour fouiller dans mes tiroirs et me chiper mes affaires. Au besoin, vous serez là. Maintenant, parlons de vous. Vous savez que je possède la preuve du vol que vous avez commis à l’hôtel Archinaux. J’en ai une autre que vous ignorez, et dont la révélation vous conduirait peut-être à l’échafaud.

— Madame veut m’éprouver ! C’est bien assez de la première affaire, sans m’en mettre encore d’autres sur le dos.

— Vous avez cependant fait six mois de prison pour avoir soustrait vingt mille francs à la succession d’une vieille dame dont vous étiez la servante ?

— Tout ça c’est des menteries. C’est Mme Coquenpatte qui me les avait donnés avant de mourir.

— Voyez comme le monde est méchant… on m’a même dit que vous l’aviez empoisonnée.

— Pour ça ce n’est pas vrai, elle est morte de sa belle mort.

— On a cependant trouvé dans votre malle un flacon d’arsenic et un billet de votre amant Marlousac, vous donnant les instructions pour empoisonner la vieille.

— Je parie que c’est cette canaille de Dénibotin qui a été farfouiller dans mes affaires.

— Vous avez deviné : c’est votre deuxième marlou qui m’a vendu les deux preuves de votre crime.

— Ces cochons d’hommes, ce sont eux qui sont la cause de tout. Moi, je ne voulais pas, alors ils m’ont menacée de manger le morceau.

— Il y avait donc encore autre chose ?

— Ça, ce n’est pas moi, personne ne m’a vue avec les diamants de Mme Coquenpatte. D’ailleurs ce n’était pas des diamants, le père Jeroserusotalem n’a voulu en payer que le prix de la monture.

— C’est un détail.

— C’est bien ce que je disais à Madame : tout cela, c’est des détails.

— Vous savez ce que je vous ai promis.

— Mes cinquante mille francs quand l’affaire de l’héritage sera terminée.

— Oui, et j’y joindrai le flacon d’arsenic et le billet de Marlousac. Vous connaissez mes instructions, tout observer, tout voir et tout me dire. Si je m’aperçois que vous me trompez, tant pis pour vous, je vous envoie en prison et je fais maison nette.

Mme Blanqhu ne croyait pas aux domestiques honnêtes. C’était peut-être un tort ; peut-être aussi avait-elle raison.

Elle disait, et cela d’après les ex-bonnes entrées dans la prostitution, qu’à Paris le meilleur sujet était corrompu au bout de six mois dans la fréquentation de ses collègues en domesticité ; que les bonnes et les femmes de chambre y sont constamment l’objet des convoitises des souteneurs de toutes catégories ; que sur cent servantes, il y en a quatre-vingts qui sont les esclaves de ces bandits qu’elles aident à piller en gros et en détail les gens qui les emploient.

Elle préférait avoir affaire à des valets dont la canaillerie lui était connue, que de se voir tromper par des inconnus qui pouvaient parfaitement l’assassiner pour la voler.

L’ordre qui régna dans son hôtel, lorsqu’elle s’y fut installée, lui prouva qu’elle avait raison.

Une grande réception devait marquer l’installation des Blanqhu dans l’immeuble dont la Fornicula avait fait les délices.

Aglaé s’était prodiguée pour amorcer les viveurs et les viveuses de Paris mondain. On disait des merveilles de l’agencement des salons.

Ce qui fixa davantage l’attention, fut l’annonce de la présentation de deux nièces de Mme Blanqhu qu’elle dotait de cinq millions chacune.

On s’était donné rendez-vous pour voir l’effet que ces gens-là produiraient au milieu d’un luxe qui devait leur être totalement étranger, en se promettant une petite débauche de persiflage.

On fut d’abord étonné du goût qui avait présidé à la décoration des salons et de leurs dépendances. Partout des éblouissements de lumière, des plantes exotiques artistiquement disposées, des meubles de style et une domesticité stylée, à livrée impeccable.

Il n’y avait pas jusqu’à l’équipage fringant, dont les deux demi-sang bruns piaffaient dans la cour, qui ne témoignassent du haut goût des maîtres.

Mme Blanqhu, en toilette vert-pomme, garnie de roses moussues, et dont les diamants parurent dignes d’estime, avait fort grand air.

Elle était belle femme, quoique d’aspect bourgeois, et savait faire valoir les richesses de son corps.

Elle s’était habilement effacée du premier plan pour produire ses nièces, deux ravissantes jeunes filles, un peu gauches, un peu empruntées, il est vrai, qu’elle chaperonnait avec l’attention et la tendresse d’une mère.

Tout parut charmant, d’un goût exquis.

La confiance mondaine fut acquise aux récipiendaires qui furent bientôt entourés, complimentés.

Les cinq millions de dot avaient fait un cortège de prétendants aux deux nièces, dont Aglaé surveillait les mouvements pour éviter tout avatar dans la mise en scène.

On sut qu’elles se nommaient Estelle et Flavie de Prépence, qu’elles avaient dix-huit et dix-sept ans.

Agénor se tenait modestement à l’arrière-plan, ne se produisant que tout juste assez pour laisser deviner qu’il existait un M. Blanqhu.

Le héros de la soirée fut Me  Cordace ; son entrain et sa jovialité lui gagnèrent toutes les sympathies.

Chacun voulait connaître le notaire de l’héritière aux cinquante millions, qui devait aussi être le dépositaire de la confiance des deux bénéficiaires des dots de cinq millions.

Quand on sut qu’il était célibataire, les hommes l’invitèrent à déjeuner et les femmes à leurs réceptions.

Lorsque les invités commencèrent à se retirer, la marquise de la Fessejoyeuse l’enleva dans sa voiture.

Les salons des Blanqhu étaient consacrés.