Paris-Éros. Première série, Les maquerelles inédites/26

La bibliothèque libre.
(alias Auguste Dumont)
Le Courrier Littéraire de la Presse (p. 279-285).
◄  XXV.
XXVII.  ►

XXVI


Poésie, philosophie et hygiène de l’amour métallique.


Après une exploration aussi ardue aux steppes arides, brûlés de l’érotisme impulsif, où les claironnements de la natale gauloiserie ont, haut le cœur, comme les chants du soldat, trompé les fatigues des étapes, l’esprit se sent le besoin de l’oasis charmeuse, sous la brisé rafraîchissante, dans la vision des tendresses pudiques, des amours saines.

Mais où le chercher, où le trouver, cet Eldorado rêvé par le poète dans son ésotérique fabulation ? Amour, dieu humain, tu es la poésie de la vie, l’ensoleillement des cœurs et des âmes, la sublimité de l’esprit, l’hygiène intégrale !

Où sont les cœurs jeunes, les âmes éthérées, les esprits sublimisés par l’amour qui font vibrer les cordes de la lyre d’or ?

Un rêve la volupté du souffle, du regard, de l’attraction magnétique, la symphonie des cœurs, le coup de foudre, un grappillage littéraire, la bucolique et l’élégiaque. Struggle forlive ! et l’amour en est.

Florette a dix-huit ans.

Son capital est indemne : beauté séraphique, esprit du diable, virginité savante.

Son âme s’est révélée sur la montagne, à la vision des somptuosités mondaines, et son cœur a frémi d’assoiffements soudains de luxe et d’orgueil. Aux visions succèdent les éblouissements.

Elle en sera.

Elle mettra dans la balance : sa jeunesse, sa beauté, son esprit, sa virginité, et tous, autour d’elle, lui chercheront l’équivalent métallique.

Un amour à l’encan !

Sa mère sera sa première maquerelle.

Jovial rame entre vingt-cinq et trente ans : snobbon garçonisme, armé du triple airain du struggleforlive acerbé, exploitant le patrimoine familial problématique. De la finance en herbe fauchée.

Caractéristique pathologique : avarie juvénile greffée sur avarie ancestrale. Liquéfaction cérébrale, trouble de la vision, nervosité érotique, raideur anatomique, physique expressif sous la vaporation de la combustion inférieure.

Il sait la somme de canailleries qu’il faut totaliser pour être l’homme du jour. Son minimum est d’être quelqu’un. Sa fourberie est décorative, high-life.

La résolution de ces deux intérêts doit se combiner par le mariage, et l’amour devient un tuyau.

Rien ne rassemble, comme ceux qui se cherchent, et le diable aidant, les affinités métalliques finissent par se joindre.

Barnumisme journalistique, salonesque, confidentiel, Florette est l’héritière rêvée par tous les coureurs de dot, Jovial est le fils de famille soupiré par toutes les mères.

Cela a coûté gros de part et d’autre ; l’ordinaire s’en ressent.

Les mirages des placers aurifères !

L’affaire se traite avec une diplomatie de Peau-Rouge, une avidité concentrée de Gobseck, et des fourberies réciproques, des scapinades échangées. De puffisme en puffisme, le principe des accordailles se décide.

Il faudra maintenant tromper la galerie, se tromper l’un et l’autre, se donner le change pour paraître s’être trompé soi-même, jusqu’au jour où il faudra colliger en famille la somme des fourberies émises en paroles et en actions.

Toute la gamme. Florette élégiaque et Jovial bucolique échevauchent des pastorales pillées, au retiens-moi ça, dans les romans de pensionnaires et les florianeries parnassiennes.

Florette est tout cœur, toute âme, et combien séduisante dans sa candeur d’impubère !

Jovial est tout tendresse, d’une délicatesse chevalière.

Cependant une commune pensée les domine : Combien vaut-elle ? Combien pèse-t-il ?

Et l’obsession miroitante flotte vague, se fond, échange de cœurs bronzés d’effluves métalliques.

Une dot peu lourde et des espérances pharamineuses les conduisent devant le maire et à l’église, après signatures de l’acte de vente par-devant notaire.

Les parents jubilent.

Très forts les bons parents sur la pose des zéros qui suivent les unités. Pas d’abus, un simple zéro ajouté à 30.000.

C’est suffisamment métallique.

La réalité se révèle entre deux baisers.

Le refoulement initial.

Trompée !… Le fourbe !

Trompé !… L’imbécile !

Ils appartiennent dorénavant au struggle for life luciolant, impératif, toutes espérances évanouies, toute tendresse éteinte.

La philosophie n’a pas tardé à succéder à leurs récriminations, à leur amour de comédie ; ils en ont fait une arme commune contre la société.

Elle est de l’Académie de l’Étoile ; Lui est pourvoyeur des grands poteaux dont il est le commensal.

On les rencontre sur la pelouse et au théâtre, faisant des affaires, dont le corps de Florette fait les frais.

Ils sont heureux et se gondolent.

Poésie, philosophie et hygiène de l’amour métallique !

En haut, en bas, ce sont les mêmes obsessions, les mêmes convoitises, les mêmes roueries, variant de méthode et de portée suivant les lieux.

Les journaux ont rapporté le mariage pompeux du baron de… avec la toute belle Émilie, fille du célèbre sénateur des Hautes-Braguettes.

La noce a été splendide, les jeunes époux vivent sur le pied de trente mille francs de rente.

Cependant, il est avéré que le baron, frisant le rastaquouérisme boulevardier, était un panier percé, et que la famille de la belle Émilie ne possédait que des dettes au moment du mariage.

Les jeunes époux reçoivent, sont à Trouville ou à Nice, éblouissent Paris et les villes d’eaux.

Struggle for life par les amours d’encan !

Le lesbéisme n’est pas seulement une affaire de goût, il est aussi une affaire d’or ; bien des grands poteaux peuvent s’intituler les grands maquereaux.

Mais la nature ne perd jamais ses droits, et telle qui, comme la baronne de K…, est entrée à l’Académie de l’Étoile et marchandise primée, en sort brûlée d’érotisme à se jeter gratis aux bras du premier Milon de rencontre.

Les chauffeuses de l’espèce sont d’une mobilité désorientante. Elles paraissent être chez elles et partout presque au même moment, pour les rencontrer encore dans des quartiers équivoques. Nulles mieux qu’elles ne connaissent les itinéraires et les horaires des omnibus, tramways et chemins de fer. L’alibi les sauve de toutes les surprises, défendues par leur cynisme.

À force de rouler, elles ont acquis la platine, superficielle sans doute, de toutes les connaissances, depuis l’algèbre de la Bourse jusqu’à la littérature de Nana ; acquérant des nerfs d’acier, des constitutions d’athlètes.

Ce sport paraît d’une hygiène déconcertante.

L’ablation de la conscience et la pétrification du cœur y sont bien pour quelque chose.

La sémillante Hermione, lesbienne taxée, est vendeuse d’amour au plus offrant à quarante-huit ans, et on la rencontre par monts et par vaux à toutes les heures du soir, en Hébé fraîche, radieuse de jeunesse et de modelés.

Quand le diable y serait, on n’est pas des bœufs, toute vache qu’on puisse être !

Du faux ?

Point. Des cheveux, des dents, des seins et des jambes parfaites qui sont bien de son incorporation.

Je lui ai demandé son secret.

Elle est j’m’enfoutiste.

Le travail la dérouille.

Les rues et les boulevards sont encombrés de ses pareilles : Ninons de Lenclos de l’érotisme. C’est pourquoi Tout-Paris est toujours sorti.

Érotisme : mouvement, agilité, prestigieux équilibre, c’est l’hygiène parfaite jusqu’à ce qu’on en crève.

L’oasis charmeuse, c’est la fournaise.