Paris en l’an 2000/Impôts

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Chez l’Auteur et la Librairie de la Renaissance (p. 134-140).

§ 4.

Impôts.

Dans la République sociale de l’an 2000, le montant des impôts est considérable et atteint une dizaine de milliards environ. Mais ce chiffre n’a rien d’exorbitant si l’on réfléchit au nombre et à l’importance des services publics entretenus par l’État et à la multitude de ses employés.

En effet, chez les Socialistes, sauf l’Agriculture et la petite Industrie, laissées à l’initiative individuelle, c’est le Gouvernement qui fait absolument tout. C’est lui qui donne l’Instruction, distribue le Crédit, construit les maisons, les chemins de fer, les routes, les canaux, frète les navires et fait le Commerce. Or, on le conçoit sans peine, pour exécuter tout cela il faut de l’argent, beaucoup d’argent, et dix milliards ne sont vraiment pas trop. Du reste, malgré son chiffre respectable, l’impôt semble léger aux particuliers, parce qu’il est toujours équitablement réparti et qu’il ne frappe jamais le nécessaire, mais s’adresse seulement au superflu.


Les impôts de la République sociale sont peu nombreux, mais par contre fort productifs. Ce sont :

1o Impôt sur le revenu. — Nous avons déjà parlé. Il est proportionnel au revenu annuel tant que celui-ci ne dépasse pas 12,000 fr. ; mais au-dessus de ce chiffre, il devient total et fait entrer dans le Trésor public tout ce qui excède le maximum réglementaire.

Beaucoup d’industriels, bien loin de limiter leurs affaires quand ils ont gagné le revenu de 12,000 fr., leur donnent encore plus d’extension et se font honneur de réaliser de beaux bénéfices uniquement pour les remettre à l’État. Cette conduite n’est pas aussi désintéressée qu’elle le paraît, car elle leur attire beaucoup de considération et d’influence, et fait d’eux des personnages importants. De plus, le Gouvernement sait être reconnaissant pour ces percepteurs de bonne volonté ; il les honore souvent de récompenses nationales et les nomme volontiers aux fonctions fort recherchées d’experts attachées aux tribunaux.

D’un autre côté, la position sociale des citoyens, le chiffre de leurs retraites et des secours que l’État leur alloue, sont basés sur le montant du revenu qu’ils déclarent avoir. Chacun par amour-propre, et aussi par intérêt, exagère donc sa fortune plutôt qu’il ne la diminue, et bon nombre de particuliers payent volontairement à l’État plus qu’ils ne devraient, dans le but unique de se faire passer pour plus riches qu’ils ne le sont réellement. Toutes ces causes réunies font que l’impôt sur le revenu est extrêmement productif et une des meilleures ressources du Trésor.

Du reste, si les industriels étaient tentés de diminuer le chiffre de leur revenu annuel, le Gouvernement s’en aperceverait aussitôt ; car, vendant et achetant tout aux particuliers, il sait à un centime près le bénéfice que chacun a pu faire dans son année. Pourtant cette sorte de vérification n’est pas applicable aux médecins et autres professions qui ne vendent rien à l’État, et ont affaire directement au public. Pour connaître le revenu exact de ces citoyens, c’est l’Administration qui s’est chargée d’opérer en leur nom tous leurs recouvrements. Bien loin de s’en plaindre, les médecins ont fort applaudi à cette mesure, trop heureux de recevoir leurs honoraires sans avoir besoin de s’occuper de ces questions d’argent, si répugnantes pour un esprit libéral.

2o Impôt sur le Crédit. — On a vu plus haut que la Banque nationale prêtait à tous les industriels qui en avaient besoin dès qu’ils présentaient des garanties de remboursement. Bien que l’intérêt des sommes ainsi avancées soit minime, et n’ait rien d’usuraire, il produit à la fin de l’année un gros bénéfice qui couvre tous les frais de gestion et de plus fait entrer dans les coffres de l’État une somme de 2 milliards environ.

3o Impôt sur la vente. — Tout le commerce de la République se trouvant dans la main du Gouvernement, les bénéfices qui en résultent appartiennent à l’État et servent à payer les dépenses publiques.

Ce bénéfice fait sur la vente des marchandises est très-variable et dépend de la nature des objets vendus. Ainsi, il est à peu près nul sur toutes les denrées de première nécessité, telles que les aliments communs, les vêtements grossiers, les vins ordinaires, les meubles bon marché, le sel, le combustible, le savon, l’éclairage, etc. Il en est de même pour toutes les matières premières employées par l’Industrie : les métaux, le bois, le marbre, les produits chimiques, etc. ; ainsi que pour les machines, les instruments agricoles, les livres, les journaux, etc.

Par contre, le profit réalisé sur la vente est assez considérable pour tous les articles de luxe et qu’on achète sans nécessité aucune, tels que le tabac, les liqueurs fortes, les vins fins, les denrées de choix, les meubles de luxe, les belles étoffes, les articles de modes et de fantaisie, etc. Sur tous ces objets, le Gouvernement cherche sans aucun scrupule, à gagner le plus d’argent possible et à monter ses prix à la limite extrême où ils donnent les plus gros bénéfices, sans pourtant nuire à la consommation. Et personne ne peut se plaindre de cette mesure, celui qui achète un article peu ou pas nécessaire, ayant de l’argent de reste et pouvant par conséquent payer l’impôt sans se gêner.

4o Impôt sur les locations. — On sait que l’État possède toutes les maisons des villes et les loue aux citoyens. Or ces locations, par le seul fait de la concurrence des particuliers entre eux, donnent de beaux bénéfices annuels. Ceux-ci du reste, servent en grande partie, soit à construire de nouvelles maisons, soit à décorer celles qui existent déjà, et les autres services publics ne profitent guère de cette source de revenu.

5o Impôt foncier. — Cet impôt très-modéré, est assis de la façon suivante. Il est proportionnel à l’étendue du sol possédé par chaque agriculteur, sans qu’on tienne compte si le terrain imposé est bon ou mauvais, s’il est couvert de constructions ou laissé en friche.

On a agi ainsi dans le but de favoriser les progrès de l’Agriculture. Le paysan payant autant pour une mauvaise terre que pour une bonne, pour un terrain bâti ou non bâti, est vivement intéressé à améliorer son bien et à y faire les constructions nécessaires. Au lieu de lutter à qui aura les plus vastes domaines, les agriculteurs rivalisent à qui les cultivera le mieux. Quand ils possèdent des landes, des bruyères, des marécages, ils les défrichent, les dessèchent ou les vendent à un autre qui se charge de ces opérations. Si parfois ils renoncent à un terrain inculte pour ne pas en payer l’impôt, l’État s’en empare aussitôt et le met en valeur en y faisant des semis d’arbres et des plantations.

On a aussi établi un autre impôt foncier pour prévenir la division extrême des héritages. C’est une taxe qui est perçue toutes les fois que l’on partage un champ et qu’on demande un remaniement du cadastre, tandis que ce même remaniement ne coûte rien quand on réunit ensemble plusieurs parcelles. Pour ne pas payer cet impôt cadastral, les familles ont renoncé à leur antique usage de se partager un bien en divisant chaque terre, de façon que certains champs n’avaient plus qu’un ou deux sillons de large au grand détriment de leur bonne culture.

Tels sont les impôts qui existent dans la République sociale. L’Administration a été souvent sollicitée de se créer de nouvelles ressources à l’aide de taxes sur les portes et fenêtres, sur le timbre des actes publics et des journaux, sur l’Instruction publique, sur les douanes, sur le transport des lettres, des marchandises et des voyageurs, etc. Mais le Gouvernement s’y est toujours refusé, ces sources de revenu lui paraissant nuisibles à la prospérité du pays, et, s’il avait besoin de mettre son budget en équilibre, il préférerait augmenter un peu un des cinq impôts existants plutôt que d’en établir un sixième.