Paris en l’an 2000/Pouvoir exécutif

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Chez l’Auteur et la Librairie de la Renaissance (p. 124-129).

§ 2.

Pouvoir exécutif.

Chez les Socialistes de l’an 2000, le Pouvoir est confié à un magistrat unique : le Secrétaire de la République.

Ce Secrétaire promulgue les lois votées par le Corps législatif et est chargé de leur exécution. Il est le chef de l’Administration, nomme à tous les emplois, soit directement, soit par l’intermédiaire de ses ministres et, tout en ne faisant pour ainsi dire rien lui-même, il est seul responsable de tous les actes du Gouvernement, et doit rendre compte au pays du pouvoir placé entre ses mains.

Le Secrétaire de la République est nommé par le suffrage universel et direct de toute la France, dont il est le délégué, et qui lui confie l’exercice de la souveraineté nationale. Il est élu à la simple majorité ; de plus, le scrutin est secret, afin que chacun puisse voter en toute liberté, et sans crainte de se faire des ennemis.

Lors de la proclamation de la République sociale, on décida d’abord que le Secrétaire ne serait nommé que pour un an, et ne pourrait jamais être réélu. On avait adopté cette mesure afin de prévenir l’usurpation du pouvoir et de ne pas se donner un maître. Mais bientôt les Socialistes s’aperçurent que, pour éviter un danger, ils étaient tombés dans un mal beaucoup plus grand, l’anarchie.

En effet, à peine le Secrétaire annuel était-il élu, qu’aussitôt on se demandait avec anxiété qui l’on mettrait l’année prochaine à sa place. Les candidats ne manquaient pas, et dès que l’un d’eux paraissait avoir le plus de chances, immédiatement il était circonvenu, adulé, acclamé. Chacun voulait être son ami intime et concourir à son élection, les uns, crainte de perdre leur position, les autres, afin d’en avoir une meilleure.

Il y avait donc toujours en France deux chefs du gouvernement à la fois, l’un en exercice et l’autre en expectative. Ce dernier n’était pas le moins influent, et ses partisans innombrables s’agitaient avec la passion de l’ambition qui espère. Pour mettre leur homme en lumière et assurer son élection, ils faisaient au Pouvoir une opposition systématique, critiquant indifféremment tous les actes de l’Administration et répétant sur tous les tons que jamais la France ne serait heureuse tant que l’on n’aurait pas nommé le candidat de leur choix.

Une fois élu, le nouveau Secrétaire commençait par destituer tous les employés qui ne s’étaient pas ralliés assez vite à sa candidature, et donnait leurs places aux partisans dévoués à qui il devait son élection. Puis il essayait de tenir ses promesses et de s’occuper des affaires du pays ; mais, à son tour, il en était empêché par un nouveau candidat au Secrétariat, qui devenait bientôt le chef d’une opposition puissante, et recommençait une nouvelle campagne électorale, aussi agitée que celle de l’année précédente.

Ajoutez à cela que les Secrétaires, ne pouvant jamais être réélus, on fut bientôt obligé de prendre des hommes peu ou point capables, et quand par hasard on tombait sur un administrateur intelligent qui faisait bien les affaires de la République, à la fin de l’année, il fallait le remercier comme les autres et le remplacer par un personnage sans valeur.

Les choses allèrent ainsi pendant longtemps, mais le désordre et l’agitation croissant toujours, les Socialistes finirent par se fatiguer de cette anarchie, et ils se décidèrent à renouveler leur Constitution.

Ils déclarèrent qu’à l’avenir le Secrétaire de la République serait nommé pour dix ans, et qu’il pourrait être réélu à l’expiration de son mandat. Bien entendu, cette longue délégation du pouvoir cessait immédiatement et avant le terme fixé, en cas de crime, de folie, d’infirmités graves ou d’incapacité notoire. Dans toutes ces circonstances, le Corps législatif devait voter une loi faisant appel au peuple, et celui-ci déclarait par oui ou par non si le Secrétaire en exercice devait conserver ou quitter sa place.

Aussitôt qu’on eut nommé ce Secrétaire décennal, qui du reste était fort capable, l’agitation et l’inquiétude cessèrent pour faire place à la confiance et à la sécurité. On fit un peu moins de politique, mais on s’occupa beaucoup plus de ses propres affaires et, employés et industriels, au lieu de penser à changer le Gouvernement, ne songèrent plus qu’à se livrer au travail et à remplir leurs fonctions. L’Administration n’étant plus gênée par une opposition tracassière, mit tout son zèle à bien choisir ses fonctionnaires et à donner de l’avancement, non aux plus intrigants, mais aux plus capables. Le Pouvoir, rassuré sur son avenir et certain d’achever ce qu’il avait commencé, entreprit d’immenses travaux d’utilité publique, et sut les mener à bonne fin. Bref, au bout de dix années de prospérité générale et de tranquillité parfaite, le peuple était si satisfait de son régime et craignait si peu une usurpation, qu’il renomma le même Secrétaire et lui confia un nouveau mandat.

Seuls, quelques Républicains farouches n’étaient pas contents. Ils disaient que la liberté était perdue, que le Gouvernement n’était plus une République, mais une Monarchie, et qu’à ce prix la France payait beaucoup trop cher le bien-être dont elle jouissait. Mais la France les laissait dire, et République ou Monarchie élective, la Constitution qu’elle s’était donnée lui plaisait et elle n’avait pas envie d’en changer.


Au-dessous du Secrétaire de la République, se trouvent les Ministres, nommés par lui, et chargés chacun d’un grand service public.

Ces ministres, au nombre de neuf, sont :

1o Le Ministre de l’Intérieur, qui nomme les commissaires des départements, les maires des communes, commande à la force publique et répond du maintien de l’ordre.

2o Le Ministre des Finances, qui perçoit les impôts, dirige la Banque nationale, encaisse toutes les recettes de l’État et paye toutes ses dépenses.

3o Le Ministre de l’Instruction publique, qui s’occupe des écoles, des bibliothèques, des sociétés savantes et littéraires, de l’Académie, etc.

4o Le Ministre de la Justice, qui nomme les juges et veille à ce qu’ils remplissent bien leurs fonctions.

5o Le Ministre des Travaux publics, qui a dans son département les maisons et les monuments appartenant à l’État et est chargé de les louer, de les réparer, et d’en construire de neufs.

6o Le Ministre des Transports, dont les attributions comprennent les routes, les canaux et les chemins de fer, ainsi que le transport des marchandises, des voyageurs, des lettres et des dépêches télégraphiques.

7o Le Ministre de la Marine, qui préside à la construction des navires et à la navigation maritime.

8o Le Ministre de l’Industrie, qui dirige les établissements métallurgiques et les diverses usines appartenant à l’État.

9o Le Ministre du Commerce, qui a sous ses ordres tous les employés des magasins de détail et de gros, et s’occupe de l’achat et de la vente des marchandises.

Enfin, il y a un dernier ministère, le Secrétariat qui n’a pas de Ministre spécial, mais est placé sous la dépendance directe du Secrétaire de la République, et dont les attributions sont assez complexes : il promulgue les lois, entretient les relations avec les Puissances étrangères, distribue les récompenses nationales et préside à toutes les cérémonies de la religion socialiste.