Partenza… vers la beauté !/Chapitre III

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Ambert & Cie (p. 26-27).

III

Mardi, 22 décembre.

Promenade au mont Chevalier par une jolie matinée ensoleillée, tiède et chaude, même, aux approches de midi. Cannes, la vieille petite ville, est ravissante avec ses ruelles en escalier, grimpant dans le plus pittoresque et le plus inattendu désordre vers l’église antique, souriante comme une aïeule devant les jeunes beautés de la ville neuve, et contente, la chère aimée, de présider à l’éclosion de splendeurs nouvelles dans ce cadre grandiose : les montagnes couvertes du feuillage pâle des oliviers dont les racines vénérables se tordent sur l’argile rose ; la mer, synthèse de toutes les couleurs lumineuses, de toutes les chansons, depuis le murmure des vaguelettes timides jusqu’au crescendo horrifiant de la tempête, ce Dies iræ que soulèvent les âmes des marins de tous les siècles amoncelés.

En bas, non loin du port minuscule, le marché aux fleurs. Sous les toiles écrues auxquelles le soleil fait une transparence ambrée, c’est une folie, un carnaval de petites choses fraîches, une cohue gracieuse de dominos qui dissimulent chacun, non pas un visage, mais l’âme frôle et menue d’un être éphémère dont les couleurs à peine écloses blêmissent et s’effacent : une fleur. Ici, des œillets de toute beauté, du blanc neigeux, et combien parfumés ! au rouge noir sans arôme, mais veloutés et caressants et lascifs, presque, dans l’étalage troublant de leur chair ; là, les narcisses et les anémones, les mimosas aux menues prunelles d’or, veloutées aussi…

Le soir, après les féeries de Vallauris et du golfe Juan, les yeux se reposent ; ce ne sont plus des gouffres de lumière implacable, des averses de feu sur les vergers tranquilles ponctués des boules rondes et luisantes des orangers, c’est un abîme de douceur, au bord de la mer, un ronron caressant de vagues mourantes ocellées, sur leurs crêtes blanches, de paillettes aux clartés d’acier. Tout est paisible, calme ; et l’âme éprise se laisse éperdument bercer, rêveuse, au rythme presque silencieux de la belle nuit qui commence. La lune apparaît, blanche entre les feuillages bleus et immobiles des eucalyptus ; elle apparaît comme une souveraine, et l’on dirait qu’à son approche le monde entier s’est tu, s’endort, qu’on l’entend respirer, et que son haleine monte, très doucement, s’étendre comme un voile sur toutes choses…