Pas de bile !/Bizarroïd

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Pas de bile !Flammarion. (p. 63-66).

BIZARROÏD


Je ne suis pas ce qu’on appelle un ennemi de l’originalité. Certes, j’estime qu’il convient d’enfiler ses propres bottes de préférence à celles des autres. Mais de là, grand Dieu ! à chausser les escarpins de la Chimère, les godillots du Jamais Vécu et les brodequins de l’Inarrivable, trouvez-vous pas une nuance ?

Certaines gens s’appliquent à toutes les déconcertances. Pour d’autres aussi — soyons justes — la maboulite chronique paraît être la seule norme, dans le Verbe aussi bien que dans le Geste.

Ce matin, je suis allé prendre un bain. À l’entrée, causaient deux messieurs, un qui s’en allait, un qui venait, et la conversation s’arrêta sur ce mot que dit celui qui venait :

— Eh bien, je vous assure, mon cher usufruitier, que je n’ai pas tant de frais qu’on dit parce qu’il y a un ami de ma tante Morin qui me sert d’ancien préfet.

Je ne songeai même pas à deviner le sens de ce propos, mais — l’avouerai-je ? — j’en contractai quelque inquiétude.

Justement l’homme qui avait proféré cette drôle de phrase occupait la cabine (dit-on cabine quand il s’agit de bains chauds ?) voisine de la mienne.

Les cloisons de mon établissement de bains sont minces ainsi que la baudruche. Aussi perçoit-on le plus mince clapotis d’à côté.

Mon voisin, le neveu de madame Morin, faisait une vie d’enfer dans sa baignoire. Un groupe important d’otaries, eût-on dit.

Et puis, à un moment, voilà qu’il s’interrompit pour sonner le garçon.

— Monsieur a sonné ? fit bientôt ce dernier.

— Oui… Donnez-moi donc la monnaie de vingt sous.

À l’heure qu’il est, je me demande encore quel besoin immédiat peut pousser un homme nu qui trempe dans l’eau tiède à demander, toute affaire cessante, de la monnaie de vingt sous.