Pascal Œuvres complètes Hachette, tome 2/Lettres/07

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Hachette (tome 2p. 109-110).


VII. Extrait d'une lettre à M. Périer.[1]


1659.

En gros leur avis[2] fut que vous ne pouvez en aucune manière, sans blesser la charité et votre conscience mortellement et vous rendre coupable d’un des plus grands crimes, engager un enfant[3] de son âge et de son innocence et même de sa piété à la plus périlleuse et la plus basse des conditions du christianisme. Qu’à la vérité suivant le monde l’affaire n’avoit nulle difficulté et qu’elle étoit à conclure sans hésiter ; mais que selon Dieu, elle en avoit moins de difficulté et qu’elle étoit à rejeter sans hésiter, parce que la condition d’un mariage avantageux est aussi souhaitable suivant le monde, qu’elle est vile et préjudiciable selon Dieu. Que ne sachant à quoi elle devoit être appelée, ni si son tempérament ne sera pas si tranquillisé qu’elle puisse supporter avec piété sa virginité, c’étoit bien peu en connoître le prix que de l’engager à perdre ce bien si souhaitable pour chaque personne à soi-même et si souhaitable aux pères et aux mères pour leurs enfans, parce qu’ils ne le peuvent plus désirer pour eux ; que c’est en eux qu’ils doivent essayer de rendre à Dieu ce qu’ils ont perdu d’ordinaire pour d’autres causes que pour Dieu.

De plus que les maris, quoique riches et sages suivant le monde, sont en vérité de francs païens devant Dieu ; de sorte que les dernières paroles de ces messieurs sont que d’engager une enfant à un homme du commun, c’est une espèce d’homicide et comme un déicide en leurs personnes.

  1. J'ai copie cet extrait sur l'original écrit de la main de M. Pascal ; il ne reste que la 4e et la 5e page de cette lettre ; les autres sont perdues. (Note du P. Guerrier.)
  2. De MM. de Singlin, de Sacy et de Rebours que M. Pascal consulta à Port-Royal. et qui furent tous trois du même avis. Ce fut M. de Singlin qui voulut que cette affaire fût communiquée à ces deux autres messieurs, comme il le dit dans le commencement de cette lettre. (Note du P. Guerrier.)
  3. Mlle Jacqueline Périer, pour lors âgée de quinze ans. (Id.)