Pascal (Boutroux)/1

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Librairie Hachette (Les Grands Écrivains français) (p. 7-19).
CHAPITRE I


ENFANCE ET JEUNESSE. — PREMIERS TRAVAUX


Blaise Pascal naquit à Clermont-Ferrand le 19 juin 1623. Il appartenait à une vieille famille d’Auvergne, dont un ancêtre, Étienne Pascal, maître des requêtes, avait été anobli par le roi Louis XI. Si ancienne qu’elle fût, cette noblesse de robe demeurait plus proche de la bourgeoisie que de la noblesse d’épée. Elle s’était de bonne heure distinguée par sa calme résistance au despotisme. Pendant la Fronde, la magistrature, sans mutinerie, se montra nettement hostile au pouvoir absolu des rois. Le père de Pascal, Étienne Pascal, fils et petit-fils de fonctionnaires des finances, était conseiller élu pour le roi en l’élection de Bas-Auvergne à Clermont. Il fut bientôt second président en la cour des aides de Montferrand, cour qui, en 1630, fut transférée à Clermont. Il avait épousé Antoinette Bégon, personne distinguée par sa piété et son esprit. Il en eut quatre enfants, dont trois seulement vécurent : Gilberte, la future Mme Périer, née en 1620, Blaise, de trois ans plus jeune, Jacquette ou Jacqueline, née en 1625.

Blaise avait trois ans lorsque sa mère mourut. L’influence féminine, toutefois, ne fut pas absente de son éducation. Car il grandit entre ses sœurs, auxquelles il était tendrement attaché. Il reçut également les soins d’une personne de confiance, que Mme Périer appelle ma fidèle, et qui fut sans doute plus qu’une domestique.

Le père, Étienne Pascal, savant en mathématiques, versé dans la physique, lié avec les plus habiles gens de cette époque, avait à cœur de donner à ses enfants, à son fils surtout, une solide éducation. En 1631, il vendit sa charge, pour pouvoir se consacrer tout entier à cette tâche. Sa situation de fortune lui permettant d’arranger à son gré son existence, il quitta Clermont, où les compagnies mondaines l’auraient distrait de son occupation, pour se retirer à Paris. Il y connaissait la famille du célèbre avocat Antoine Arnauld, ennemi des jésuites, mort en 1619. Des vingt enfants qu’avait eus Antoine Arnauld, dix étaient restés, dont Arnauld d’Andilly, l’aîné, et Antoine Arnauld, le théologien, né en 1612, le plus jeune.

Étienne Pascal se forma, pour l’instruction de son fils, un plan soigneusement médité. Sa principale maxime était de tenir toujours cet enfant au-dessus de son ouvrage. Il avait décidé de ne pas lui faire étudier le latin et le grec avant douze ans, non plus que les mathématiques avant quinze ou seize. Entre huit et douze ans il lui fit voir seulement, d’une manière générale, ce que c’est que les langues ; il lui expliqua comment, après qu’elles s’étaient formées naturellement, on les avait réduites en grammaire, par l’analyse et la classification de leurs éléments. Par là il lui faisait connaître l’origine et la signification des règles énoncées par les savants. En même temps, il attirait son attention sur les phénomènes remarquables de la nature, tels que les effets de la poudre à canon et autres choses surprenantes.

Soit spontanément, soit sous l’influence de cette éducation, le besoin de comprendre s’éveilla vite chez Pascal. Non seulement il demandait les raisons de toutes choses, mais il était difficile à satisfaire. Il faisait voir une netteté d’esprit admirable pour discerner le vrai du faux. Il ne se bornait pas à questionner il cherchait par lui-même. Quelqu’un ayant frappé un plat de faïence avec un couteau, il prit garde qu’il se produisait un grand son, mais que si du doigt on venait à toucher le plat, le son s’arrêtait aussitôt. Il en voulut savoir la cause, et se mit à faire mainte expérience sur les sons. Il y remarqua tant de choses que bientôt il composa sur ce sujet un traité en règle, qui fut trouvé tout à fait bien raisonné. Et, de fait, cet enfant de douze ans avait pratiqué, dans sa précision, la méthode expérimentale ; remarque d’un fait curieux, comparaison des différents cas, conjectures sur la cause, expériences.

À cette instruction, toute positive, la religion n’était en rien mêlée. Non qu’Étienne Pascal fût libre penseur. Il se montrait, en matière de religion, sincèrement respectueux et obéissant. Il professait que ce qui est objet de foi ne le saurait être de la raison, encore moins lui être soumis. En revanche, il ne pensait pas que la foi fut de mise dans la recherche des choses naturelles ; et, dans la conduite de la vie, il croyait possible et légitime d’allier l’esprit du monde et l’esprit de piété, les vues de fortune et la pratique de l’Évangile.

Cependant, ses calculs d’éducateur se trouvèrent soudainement déjoués. Un des points de son programme auquel il tenait particulièrement était de ne point parler à l’enfant de mathématiques avant que celui-ci fut âgé de quinze ou seize ans. Or le jeune Blaise, précisément, était curieux d’explications sur les sujets mathématiques, et posait des questions à son père. Celui-ci refusait de répondre, promettant à enfant de lui donner cet enseignement comme récompense, quand il saurait le latin et le grec. Un jour pourtant, Blaise n’ayant encore que douze ans, son père le surprit, occupé à démontrer la trente deuxième proposition du premier livre d’Euclide, suivant laquelle la somme des angles d’un triangle est égale à deux droits.

Comment l’enfant était-il arrivé à se poser ce problème ? Selon le récit de Mme Périer, qui reste le plus vraisemblable, Étienne Pascal, pressé par les questions de son fils, lui dit un jour que la mathématique donnait le moyen de faire des figures justes et de trouver les proportions qu’elles ont entre elles. Pascal se mit a rêver sur cela à ses heures de récréation ; et, avec du charbon, il traçait des figures sur les carreaux, cherchant à les faire justes. Il appelait un cercle un rond, une ligne une barre. Il se forma des axiomes et des définitions, et il les combina en démonstrations successives. C’est ce qu’il expliqua son père, lorsque celui-ci, épouvanté, lui demanda comment il en était venu à la question qui l’occupait. Il répondit qu’il avait préalablement trouvé telle chose et telle autre, et remonta ainsi jusqu’à ses définitions et à ses axiomes. Étienne Pascal alla confier cette aventure à son ami M. Le Pailleur, en pleurant de joie. Et il donna à son fils les Éléments d’Euclide, pour qu’il les lût dans ses récréations.

D’ailleurs il poursuivit l’exécution de son plan. Son fils ayant atteint sa douzième année, il le mit au latin, aux mathématiques, à la philosophie, et lui fit faire des études scientifiques en règle. Il lui enseigna le latin d’après une méthode à lui, où la grammaire latine était rattachée à la grammaire générale, telle qu’elle se déduit de l’observation des langues et des lois de l’esprit. L’histoire et la géographie faisaient l’objet d’entretiens suivis, tous les jours, pendant et après les repas. Il inventait des jeux propres à aider ses enfants dans cette étude. C’est également à table qu’il initiait son fils à la philosophie.

Les sciences avaient le premier rang dans cette éducation, et Blaise s’y appliquait avec ardeur, surtout aux mathématiques, où il trouvait les marques de la vérité.

Étienne Pascal réunissait chez lui des hommes d’esprit qui conféraient sur les questions scientifiques à l’ordre du jour. Le jeune Pascal, admis de bonne heure à ces réunions, y tint fort bien son rang ; souvent même il apportait des idées utiles. Son père le mena bientôt à des conférences célèbres qui avaient lieu chaque semaine chez le P. Mersenne, et qui furent l’origine de l’Académie des Sciences. On y rencontrait Roberval, Carcavi, Le Pailleur, mathématiciens, Mydorge, passionné pour la fabrication des verres à lunettes et des miroirs ardents, Hardy, versé dans la connaissance des mathématiques et des langues orientales, le Lyonnais Desargues, qui cherchait dans les mathématiques et la mécanique le moyen de soulager les artisans dans leurs travaux. L’esprit de cette compagnie était principalement scientifique. On y appréciait avant tout les mathématiques, que Mersenne rêvait d’appliquer même aux choses morales. On y était également épris de faits, d’expériences et d’inventions utiles fondées sur la science. On n’était pas hostile aux anciens, mais on ne voyait en eux que des précurseurs ; et, parmi les modernes, on appréciait le mathématicien Galilée plus que Bacon le philosophe.

Dans l’ordre philosophique et religieux, on alliait une foi sincère et solide à une certaine défiance de la raison en matière métaphysique. Et même, Mersenne ne voyait pas sans quelque complaisance la sceptique humilier l’orgueil des dogmatiques en montrant l’incertitude de leurs disciplines. En revanche, on n’admettait pas que l’inquisition romaine s’ingérât dans les affaires scientifiques, où seuls les sens et la raison doivent décider.

Plusieurs questions de grande importance furent agitées alors par ces savants. C’est ainsi qu’en 1636, Étienne Pascal et Roberval écrivent à Fermat pour l’avertir que nous ignorons en réalité la cause radicale qui fait que les graves descendent. Selon la commune opinion, la pesanteur serait une qualité qui réside dans le corps tombant lui-même. D’autres sont d’avis que la chute d’un corps procède de l’attraction exercée par un autre corps. Une troisième opinion, qui n’est pas hors de vraisemblance, veut que la cause soit une attraction mutuelle entre les corps, produite par un mutuel désir de s’unir ensemble. Comment juger la question ? Le seul moyen est d’examiner les conséquences expérimentales des trois hypothèses. Par exemple, si la pesanteur est une qualité qui réside dans le corps même, un corps grave devra peser toujours autant, qu’il soit loin ou près du centre de la terre. Cette conséquence, ainsi que celles qui se déduisent des autres hypothèses, doit être confrontée avec les faits. Nous ne pouvons, en ces matières, admettre d’autres principes que ceux dont l’expérience, aidée d’un bon jugement, nous a rendus certains.

Un événement scientifique qui dut frapper le jeune Pascal fut la publication des Essais philosophiques de Descartes, en 1637. L’ouvrage était attendu avec impatience par les savants. Roberval et Étienne Pascal paraissent avoir donné peu d’attention au Discours de la Méthode, qui en formait l’introduction. Ils jugèrent qu’il y avait dans la Dioptrique et les Météores des opinions particulières assez clairement déduites. Mais déduction pour eux n’était pas démonstration. L’auteur, disaient-ils, se trouverait bien empêché, si on le mettait en demeure de prouver ce qu’il avance. Les conceptions de l’esprit n’avaient de valeur que si l’on en pouvait tirer des conséquences véritables par l’expérience. L’hypothèse qui ne servait qu’à satisfaire la fantaisie métaphysique était chose méprisable.

Le troisième traité philosophique contenu dans les Essais philosophiques de Descartes fut l’occasion d’un vif débat entre Descartes d’une part, Roberval et le président Étienne Pascal d’autre part. Fermat ayant adressé à Descartes, sans se nommer, son De maximis et minimis, qu’il considérait comme comblant une lacune grave dans la géométrie du philosophe, celui-ci critiqua sévèrement l’ouvrage. Roberval et Étienne Pascal se firent les champions de Fermat, et il s’ensuivit une polémique assez vive, dans laquelle Descartes le prit sur un ton tour à tour plaisant et hautain. Ses adversaires cherchèrent moins à le comprendre qu’à le trouver en défaut. On était en défiance à son égard dans cette compagnie, malgré l’admiration si franche que le P. Mersenne professait pour son génie.

Dans une telle atmosphère, les facultés du jeune Pascal se développèrent rapidement. Il devint surtout habile dans les mathématiques et la physique. Il acquit le sens des démonstrations rigoureuses et de la convenance de la méthode avec la chose à démontrer. Il comprit comment on prouve, soit en mathématiques, soit en physique, et que la certitude ne peut venir que de l’accord de nos idées, non avec notre esprit, mais avec les choses.

En matière littéraire, Pascal parvint à une connaissance très suffisante du latin. Le lire et l’écrire ne lui causaient aucun embarras. Il paraît avoir su assez de grec pour confronter une traduction avec le texte. Sans doute aussi il fut capable de lire un livre italien. Il ne cultiva pas avec son père la littérature ancienne et moderne. Ce qu’il en connut lui vint de lectures qu’il fit plus tard. Il avait d’ailleurs pris l’habitude de méditer sur ce qu’il lisait, bien plus que de lire un grand nombre de choses ; et en aucun domaine il ne fut jamais un érudit. Son instruction en théologie dut être aussi extrêmement sommaire. Il lui faudra tout apprendre lorsqu’il abordera cette science, et il n’y sera jamais qu’un écolier. En philosophie même il n’acquit certainement que des notions très générales, dans le temps qu’il étudia avec son père. Les faibles connaissances qu’il y possédera seront dues à quelques lectures qu’il fera plus tard.

Le commerce des savants ne fut pas le seul dont usa Pascal dans son enfance et sa première jeunesse. Il fut aussi, dans quelque mesure, initié à celui du monde. Sa sœur aînée Gilberte, belle et bien faite, intelligente et discrète, plaisait naturellement et était très recherchée. Elle devint maîtresse de maison, chez son père, alors qu’elle n’avait encore que quinze ans. Jacqueline avait une gentillesse d’esprit et d’humeur peu communes. Elle ravit Richelieu, devant qui elle joua la comédie. Elle faisait des vers, où elle rivalisait de galanterie avec Benserade et d’énergie stoïque avec le grand Corneille.

La famille Pascal recevait les nombreuses marques d’estime dont elle était l’objet avec une entière tranquillité d’esprit. On y avait plus de souci du mérite que de la réputation. Chargé, comme intendant de la généralité de Rouen, d’une fonction que des troubles récents en Normandie rendaient difficile et périlleuse, Étienne Pascal se montra aussi intègre que zélé, et se concilia le respect universel. Il ne s’enrichit pas dans l’exercice de sa charge. Mais il ne négligea pas non plus sa fortune. Il songea à la pousser, et à établir ses enfants.

En 1641, il maria Gilberte à Florin Périer, fils de sa cousine germaine et conseiller à la cour des aides de Clermont. Il avait apprécié en lui un très grand esprit joint à beaucoup de goût et de dispositions pour les sciences. Il comptait marier aussi Jacqueline, et ne prévoyait aucune difficulté dans l’exécution de ce projet. Jacqueline était fort soumise à la volonté de son père, et, sans aller au-devant du mariage, n’y répugnait nullement. Elle ne se demandait pas si elle était appelée à entrer en religion : elle avait, pour l’état religieux, un grand éloignement, et même un peu de mépris, parce qu’elle croyait qu’on y pratiquait des choses mal propres à satisfaire un esprit raisonnable.

Persuadée qu’on peut allier l’honnêteté selon le monde avec la pratique de l’Évangile, la famille Pascal ne fuyait aucune des relations, aucun des engagements que le monde tient pour permis et honorables.

Tel fut le milieu intellectuel et moral où grandit Pascal.

Dans son esprit si actif, la production suivait de près, si elle ne le devançait, l’enseignement reçu. Embrassant avec ardeur les objets qui le touchaient, il s’appliqua spécialement aux recherches mathématiques et mécaniques, et il fit de bonne heure, dans ce double domaine, des inventions remarquables.

Il n’avait pas seize ans lorsqu’il conçut l’idée d’un Essai pour les coniques. Il le rédigea en 1639 et 1640, mais ne le publia pas, à cause de son indifférence pour la réputation. Mersenne en envoya un extrait à Descartes. Celui-ci se borna à répondre qu’avant d’avoir lu la moitié de l’Essai du fils de M. Pascal, il avait jugé que celui-ci avait appris de M. Desargues ; ce qui, ajoute-t-il, lui a été confirmé, incontinent après, par la confession que Pascal jeune en fait lui-même. C’était se montrer peu bienveillant. Car Pascal disait avec candeur, à propos d’une proposition fondamentale : « Je veux bien avouer que je dois le peu que j’ai trouvé sur cette matière aux écrits de M. Desargues, et que j’ai tâché d’imiter, autant qu’il m’a été possible, sa méthode sur ce sujet. » Leibnitz, qui eut communication du manuscrit entier vers 1676, en fut ravi ; il exprima à la famille sa passion pour tout ce qui regardait feu M. Pascal, et l’engagea à publier le traité dans l’état même où il se trouvait. Le conseil de Leibnitz ne fut pas suivi, et nous ne possédons que l’extrait qui fut communiqué à Descartes.

L’œuvre de Pascal était la suivante. Il chercha un principe qui pût former la base de la théorie entière des sections coniques. Il le trouva dans la célèbre proposition de l’hexagramme mystique : tout hexagone inscrit dans une conique jouit de cette propriété, que les trois points de rencontre des côtés opposés sont toujours en ligne droite. Considérant, suivant une méthode qui paraît avoir été déjà employée par Desargues, les différentes coniques comme une même courbe qui, par les variations de certaines lignes, devient tantôt parabole, tantôt ellipse ou hyperbole, il en déduisait les propriétés dans quatre cents corollaires, tous tirés de la même proposition fondamentale, qui s’applique à la fois à toutes les coniques. Sa théorie, non seulement embrassait tous les résultats déjà obtenus par Apollonius, mais encore ajoutait des propriétés nouvelles aux propriétés déjà connues.

Pascal a pris conscience de ce que peut un principe général, convenablement choisi. Il s’occupe bientôt de déduire de ses connaissances scientifiques l’invention d’un instrument pratique auquel la théorie devra conférer son infaillibilité. C’est pour aider son père dans les calculs infinis auxquels celui-ci était obligé, qu’il conçut l’idée de cette invention. Il pensa qu’il devait être possible de réduire en mouvement réglé toutes les opérations de l’arithmétique, et, par conséquent, de construire une machine qui les exécutât. L’idée générale une fois trouvée, il se préoccupa de tous les détails de l’exécution, car il n’était pas de ceux qui se contentent de marquer la puissance de leur génie par l’indication d’un plan général, en laissant aux esprits secondaires la tâche de la réalisation. Il voulait mener son œuvre jusqu’au point où elle serait immédiatement et facilement utilisable. Il essaya donc toutes les combinaisons possibles ; il fit jusqu’à cinquante modèles. Il surveilla lui-même le travail des ouvriers. Il montra une obstination incroyable à triompher des difficultés théoriques et pratiques, de celles qui venaient de l’inhabileté des hommes, de celles aussi qu’il commençait à rencontrer du côté de sa santé, mal armée pour une application si opiniâtre.

Il réussit enfin, après deux ans de travail (1640-1642). Dans la lettre par laquelle il présente sa machine à Mgr le chancelier Séguier, ainsi que dans l’Avis qu’il publie pour ceux qui voudront s’en servir, il réfléchit en philosophe sur le travail auquel il vient de se livrer. Il remarque que les mathématiques ont ce privilège de ne rien enseigner qu’elles ne démontrent. La géométrie et la mécanique, sciences mathématiques, lui fournissaient ainsi des principes certains. Mais pour réaliser un instrument utile comme celui qu’il avait en vue, les abstractions du mathématicien ne pouvaient suffire. Elles ne donnent qu’une théorie des choses en général. Or une telle théorie ne saurait prévoir les inconvénients qui naîtront de la matière, ou des conditions de fonctionnement des diverses pièces. Il faut, pour résoudre ces problèmes, joindre aux mathématiques la physique et l’expérimentation.

De fait, l’invention était certainement originale. Il n’existait alors d’autre machine à compter que l’instrument connu sous le nom de Napier’s bones : bâtonnets de Napier. La multiplication y était réduite à une addition. Mais la retenue devait être faite par l’opérateur. Pascal, en trouvant le moyen de faire faire cette partie de l’opération par la machine elle-même, fut le premier inventeur véritable de la machine à calculer.

Pascal avait alors dix-huit ans. L’avenir s’ouvrait brillant et heureux devant ce jeune savant fêté dans le monde, et élevé suivant des principes sages et pratiques. À peine pouvait-on appréhender qu’il ne souffrît d’une disproportion déjà frappante entre ses forces physiques et son génie, et d’un besoin d’excellence, que les plus grands biens du monde seraient peut-être impuissants à satisfaire.