Paul Claudel (E. Sainte-Marie Perrin)

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Paul Claudel (E. Sainte-Marie Perrin)
Revue des Deux Mondes, 6e périodetome 19 (p. 871-903).
M. PAUL CLAUDEL[1]

La situation littéraire de M. Paul Claudel vis-à-vis du public français est un peu en ce moment celle d’un étranger. Quand un artiste d’un pays voisin commence à pénétrer en France, comme on l’a vu pour Ibsen ou Tolstoï, pour M. Rudyard Kipling ou M. Gabriele d’Annunzio, pour Wagner ou pour Moussorgski, il est, d’abord et pour un temps quelquefois long, admiré de quelques-uns, presque en secret : ceux qui, familiers avec son pays, l’ont découvert, et leurs amis. Puis, un jour, un annonciateur livre son nom au public. Le public n’est pas curieux, il retient le nom et s’en contente. Enfin, un traducteur, ou, s’il s’agit d’un musicien, un directeur de théâtre, montre l’œuvre elle-même et laisse parler cette voix. C’est le témoignage, c’est l’épreuve. Elle détermine dans le destin de l’inconnu un tournant. Ou bien le nouveau venu n’obtiendra rien de nous, rien qu’une curiosité momentanée, ou bien au contraire, aussi soudainement que la chute d’eau d’une rivière calme se précipite après le barrage de rocher, il semblera que son nom multiplié sonne partout, — et ce sera l’engouement, peut-être le goût durable, peut-être la gloire.

Entre la dilection du petit nombre et l’amitié du grand nombre, à cette heure de suspens se trouve actuellement M. Paul Claudel. Alors que nous suivons pas à pas la plupart de nos écrivains et que leur réputation va par degrés, il présente presque brusquement un long passé littéraire et dix œuvres. Son nom est connu, et on peut dire que son œuvre est inconnue. Quelques-uns le tiennent pour un des écrivains les plus importans de cette génération littéraire, et la masse des lecteurs est indécise sur la signification et sur la valeur même de son œuvre. Intéressée, intriguée par le succès d’une représentation heureuse[2], elle reste dans l’expectative.

M. Paul Claudel appartient à la carrière consulaire. Né en 1868, d’une famille vosgienne, il eut pour pays d’enfance et de vacances le Tardenois, cette partie boisée et vallonnée de l’Aisne qui participe de l’esprit de l’Ile-de-France et de celui de l’Ardenne ; et c’est à ce lieu de « rencontre entre la Craie de Champagne et le grand labour Soissonnais, » et dans la Marne voisine, entre les deux points culminans de Reims et de Laon, qu’il a placé tous ceux de ses drames qui se passent en France : la terre natale obsède ceux mêmes qui la quittent. Après les années scolaires dans un lycée de Paris et la préparation par l’École des Sciences politiques au concours du Ministère des Affaires étrangères, il quitte la France pour de longues années, et sa carrière s’accomplit entièrement aux Etats-Unis et en Chine. Il devient un spécialiste des affaires chinoises, et son dernier poste dans l’Empire du Milieu est le Consulat de Tien-Tsin, d’où il revient en 1908 pour occuper successivement divers postes européens, Prague, puis Francfort-sur-le-Mein et actuellement Hambourg, où il est consul général. M. Paul Claudel n’a donc pas mené une vie de rêveur, il a accompli sa besogne d’homme et bâti sa vie. Il ne faut pas du tout ici s’attendre à une figure d’esthète. La spiritualité de l’Annonce faite à Marie a pu donner le change sur cette physionomie. Mais ses portraits, au contraire, s’accordant en cela avec toute son œuvre, dont le caractère dominant est la force, montrent un homme surtout robuste, les épaules hautes, la tête carrée, les yeux clairs et enfoncés, le front très large, et les traits simples d’un homme de bon équilibre.

La vie exotique donna à M. Claudel des spectacles curieux et grands, le contact avec la vie un peu barbare des civilisés hors de leur cadre européen et celle des peuples étrangers ; une curiosité très vaste et de longs loisirs pour la satisfaire. Il dut lire considérablement. On trouve partout dans ses livres les traces profondes ou passagères des lectures que les pays traversés lui proposaient, — allusions aux religions asiatiques, aux mythes assyriens, aux traditions chinoises ; puis de ses lectures permanentes, la Bible, la Somme de saint Thomas, enfin les Grecs. M. Claudel connaît profondément la littérature grecque, surtout les grands tragiques et les grands lyriques, celui entre autres qu’il appelle « le radieux Pindare. » Les grandes inventions poétiques de la Grèce, les éternels tableaux qu’elle a construits et où elle a inscrit ces noms familiers à nos lèvres et si puissans sur nos esprits, il les voit « comme un décor devant lequel l’humanité joue et comme une tapisserie toujours déployée au fond des temps. » Il a même dépassé le simple goût, et traduit l’Agamemnon d’Eschyle qu’il a fait laborieusement imprimer à Fou-Tcheou par la minable presse de la Veuve Rosario, — traduction très serrée, et compliquée d’une recherche d’équivalences verbales et rythmiques qui, si elle en fait un travail probablement remarquable pour ceux qui peuvent mettre les textes en regard, en fait pour le reste des lecteurs quelque chose d’assez fatigant[3].

Mais un écrivain qui a la bonne fortune de connaître tant de pays, de devenir familier pendant les longues traversées répétées avec les différentes mers et les étoiles des différens ciels, s’il est poète, son œuvre contiendra plus que des images de ces séjours. Ils modifieront sa façon de voir et son talent. L’œuvre de M. Claudel a deux fois pour théâtre la Chine, une fois l’Amérique, mais toute sa poésie a quelque chose du paroxysme tropical. La liberté, l’enchantement de l’esprit, une solitude profonde qui dura douze années, un labeur volontaire et tendu, une lutte virile contre l’amollissement physique et mental des climats chauds, développèrent et rendirent prodigue une imagination qui était déjà riche et fournirent un aliment puissant au don lyrique qui s’y exaltait.

D’où M. Claudel partait-il pour ces émigrations, et quel est le Paris qu’il quittait, à l’âge où Paris influe tant sur un jeune littérateur ? C’est le Paris de 1889 où il est à vingt ans étudiant. C’est, entre 1885 où il est grand collégien et 1893 où il part, le plein travail exubérant du Symbolisme, le fiévreux désordre que l’on sait, la folle générosité intellectuelle, les groupes qui se font et se défont ; les écoles d’un jour, les manifestes qui annoncent une révolution esthétique, et les bilans qui témoignent d’un simple remaniement de la prosodie ; tout cela, qui semble avoir été, par le goût du nouveau et du rare, par l’influence musicale, par l’idéalisme, par la réaction contre les écoles poncives et réalistes, une crise de sentimentalité intellectuelle. Le nom de M. Paul Claudel ne figure pas dans les jeunes revues d’alors, mais il était pris dans les remous de ce mouvement. Il lisait Rimbaud avec passion, il avait de nombreux amis symbolistes, et il fréquentait chez Mallarmé qu’il vénéra comme tous ceux qui l’approchèrent. Si on cherche ce que nous a directement laissé le symbolisme, on ne trouve peut-être pas de directions, mais on trouve des libertés. Il fit craquer quelques cadres ; et continuant l’action des divers mouvemens littéraires du siècle, il rendit licites un plus grand nombre de moyens d’expression, et abandonna définitivement chaque écrivain à la solitude de son individualité.

M. Claudel accepta cette liberté de tout exprimer, et de s’exprimer dans la forme la plus singulière, avec un esprit que j’imagine bien disposé. Mais il ne prit guère autre chose au symbolisme. Nous avons de lui un drame qui date de cette époque, Tête d’Or, qu’il composa en 1889, et dont il refit plus tard une seconde version. Il le publia à la librairie de l’Art Indépendant en 1890. On n’y voit aucune filiation du symbolisme : ceci seulement indique son temps, que l’auteur est visiblement pénétré, enivré de littérature ; mais, en pleine époque de raffinement et de nuances, c’est un drame violent et vigoureux, extrême comme un drame romantique ; éclos au sortir même des Causeries subtiles de Mallarmé, à la lumière même de son esthétique de grand artiste vain, c’est un drame d’action ; quelque chose enfin qui paraît nouveau au milieu d’une nouveauté souvent artificielle ; et dont on ne sait ce qui surprend le plus, ou qu’il soit ainsi en marge des œuvres symboliques, ou qu’il ait déjà tous les caractères de l’œuvre future dont il est le début. Bon ou mauvais, il témoigne d’un tempérament sûr et prêt, d’une nature d’écrivain dont l’instinct de vie est si fort qu’il a, une fois pour toutes, choisi, comme sous l’empire d’une nécessité qui ne peut pas tromper. L’inspiration, les moyens dramatiques, le sens si spécial de la vie, le style enfin, avec ses images, ses rythmes, sa syntaxe particulière, son allure, sont ici, une fois pour jamais, établis.

Le livre qui suit celui-ci est un drame encore, La Ville, daté de 1892 et imprimé sans nom d’auteur.

Les deux livres ne passèrent pas complètement inaperçus. Quelques critiques, ici et là, les remarquèrent, et il se fit une minuscule curiosité autour de ce nom nouveau. Mais le livre qui attira l’attention sur lui fut L’Arbre, publié huit ans plus tard, en 1901, au Mercure de France. L’Arbre contenait cinq drames[4]. Deux versions nouvelles de Tête d’Or et de La Ville (comme un ouvrier consciencieux qui, ayant taillé jadis son œuvre de son mieux, et la retrouvant longtemps après avec un esprit mûri et des mains plus expertes, s’aperçoit de tout le parti qu’on en pouvait tirer et la crée à nouveau, pareille et différente, plus simple, plus sûre, plus pure). Puis trois drames nouveaux, Le Repos du Septième Jour, L’Échange, La Jeune fille Violaine. Ce fut longtemps au sujet de ce livre des cinq drames que s’exerça toute critique sur M. Claudel, et que ses amis, chaque année plus nombreux, fondèrent leur admiration. C’est sur lui, d’autre part, qu’on s’appuie pour déclarer que M. Claudel est un écrivain incompréhensible. Cependant un autre livre, charmant et facile, paraissait presque en même temps, un livre de prose, Connaissance de l’Est, croquis ou, comme on a dit, « estampes » d’Extrême-Orient. Ce sont de belles notes, de ces notes toutes chaudes d’un zèle neuf, parfaites comme des poèmes, qu’un écrivain-né, mis en contact avec une terre nouvelle et surprenante, écrit irrésistiblement.

Ces notes, toutes pleines des couleurs et des odeurs orientales, précises quand ce sont des dessins de villes chinoises, de temples ou d’échoppes ; musicales quand elles expriment la torpeur lascive et luxuriante des escales indiennes : « Je me souviendrai de toi, Ceylan, de tes feuillages et de tes fruits, et des gens aux yeux doux qui s’en vont nus par tes chemins couleur de mangue… ; » tendues enfin et pleines d’un songe profond quand elles deviennent des méditations comme la Source, le Fleuve, le Départ, révèlent dans leur variété un esprit que le spectacle des choses tient fortement, puis qui se dégage d’elles pour chercher leur sens. Et là, dans le domaine de l’idée, M. Claudel ne reste pas un calme philosophe : ému par la belle terre, sensible comme un vrai poète, il ne s’évade jamais complètement : il établit, mais il éprouve ; il affirme, et il est inquiet.

À ces premiers livres, M. Claudel ajouta en 1905 Partage de Midi qui est un drame d’amour, L’Otage en 1911, un livre de métaphysique, un livres d’Odes, enfin en 1912 cette Annonce faite à Marie dont le succès récent provoqua l’attention et l’intérêt qui se portent aujourd’hui sur l’œuvre de M. Claudel.

Voilà donc l’ensemble d’ouvrages sur lesquels est appelé à s’exercer le goût français : huit drames, un livre de croquis, un livre de philosophie, un livre d’Odes et des poèmes encore disséminés. Or, cet intérêt et cette attention que le nom de son auteur provoque maintenant, l’œuvre souvent tout d’abord les déçoit. Ceux qui la connaissent et l’aiment le mieux, ceux qui le plus étroitement en possèdent le sens, savent bien quel labeur ils ont eu pour la vraiment connaitre. La paresse humaine lutte contre ce tyrannique instinct de beauté qui nous contraint à la chercher à n’importe quel prix quand nous l’avons pressentie, que ce soit à travers les fatigues d’un voyage difficile ou celles d’une lecture déconcertante. Comme il serait plus tentant de nier cette beauté ou de la négliger ! L’Arbre entre les mains d’un honnête homme, c’est un plaisant spectacle. La marche du drame, le sens où va le dialogue, le style, les images, le nom même des personnes, tout le surprend. La typographie, étrange, l’émeut. Il ne comprend pas. Il ressent de l’indignation, comme un homme provoqué. L’honnête homme, généralement, ferme l’Arbre, et, pour seconder son irritation, fait appel à toute sorte d’autorités littéraires : il invoque Racine qui écrivait autrement, et tout de même écrivait bien, et puis il va chercher dans sa bibliothèque un livre de M. Anatole France…

Mais il reste de la lecture la plus superficielle de M. Claudel une curiosité, car il est bien rare que, dans les quelques pages parcourues, on n’ait pas ressenti une certaine impression de force qui est assez rare pour qu’on y prenne garde ; ou qu’on n’ait pas aperçu au hasard quelque belle métaphore, quelque trouvaille de mots, quelque hymne entier plein de passion et de lyrisme.

Alors se fait le point de départ entre ceux qui admireront l’œuvre de M. Paul Claudel et ceux à qui elle demeurera, de leur propos délibéré, étrangère. Certaines natures d’esprits ne s’accommoderont jamais d’un lyrique et d’un mystique. Et de plus, une incompatibilité peut s’élever entre les meilleurs esprits et l’aspect proprement littéraire de son œuvre. D’autre part cependant, des lecteurs passionnés l’admirent, et bien des jeunes gens le prennent pour maître. Il y a donc à son propos une double manière de penser et je voudrais l’étudier.

Un écrivain mérite-t-il qu’on s’attache ainsi à savoir pourquoi on lui est sympathique ou hostile ? Oui, s’il a une méthode d’art assez nouvelle, assez importante et assez influente pour qu’on s’en occupe au point de vue français ; et si ce qu’il dit va assez loin dans le domaine de la pensée pour que l’esprit y soit irrésistiblement intéressé. C’est donc ce qu’il s’agit de savoir.

« Nous ignorons, disent les uns, M. Paul Claudel, et nous persisterons, jusqu’à changement de sa part, à l’ignorer. Nous ne l’entendons pas. Si, comme nous nous en sommes aisément rendu compte, il y a quelques beautés dans ses ouvrages, elles sont perdues dans un amas d’obscurités où aucune raison ne nous incite à les aller chercher. Il parle une langue où nous ne distinguons pas le français. Il compose suivant un processus où nous ne reconnaissons pas notre génie. Une œuvre obscure n’est pas viable, et il serait dommage qu’elle le fût. Aucune raison n’excuse de forcer ainsi notre langue qui est claire par-dessus toutes, et c’est nous mal servir de notre héritage que d’en fausser le caractère essentiel. Que l’on puisse séduire par un éloquent désordre et par de somptueuses obscurités, nous le reconnaissons en le déplorant, mais l’art et l’art français surtout veut qu’on porte la pensée jusqu’à ce point de perfection où elle est lumineuse pour tous, et l’expression jusqu’à ce point de transparence où elle devient un divin plaisir. »

Et les autres, qui ont écouté avec quelque impatience ces sages théories parce que, arrivés à l’autre bout du chemin, ils pensent que c’est là perdre du temps, répondent avec vivacité que rien de tout cela ne leur importe et qu’il faut « venir voir. » Comme ceux qui, ayant franchi un chemin malaisé, ont découvert un large pays et pressent leurs amis de les suivre, ils soutiennent que M. Paul Claudel leur a beaucoup appris ; qu’ils vivent par la poésie de son œuvre dans un monde renouvelé ; qu’il leur a donné le sens de cette rude liberté qui est son atmosphère ; qu’il a nommé pour eux des choses familières et des choses invisibles avec une si heureuse justesse qu’il leur sera désormais impossible de les appeler par d’autres noms ; que son œuvre, si elle est abstraite et spéculative, est cependant toute posée sur la réalité ; qu’elle s’adresse aussi bien à la sensibilité qu’à l’intelligence ; qu’elle est mystique et toute pleine de passion, variée, abondante, nouée en une forte unité ; enfin que par ces puissances diverses rassemblées, M. Paul Claudel exerce sur eux un ascendant intellectuel qui les entraîne vers de magnifiques régions. À ce compte, ne peut-on faire grâce à un écrivain de quelques fragmens obscurs, de quelques idées moins bien venues, moins « sorties, » de quelque peu de désordre et de manque de choix, alors que, par ailleurs, ses derniers ouvrages marquent qu’il s’approche de plus en plus de l’équilibre et de l’harmonie ?

Je voudrais essayer de démêler ce malentendu. Si les premiers avaient raison, si l’œuvre de M. Paul Claudel était réellement obscure, ou même suffisamment impénétrable pour qu’une petite élite y trouvât seule du plaisir, ce serait grave ; il est vrai, en effet, qu’une œuvre obscure n’est pas viable, en dépit de l’illusion qu’elle a pu faire naître un moment. Il y en a eu à travers la littérature universelle quelques exemples, et le plus proche de nous est celui de Browning, qui était doué pourtant de tant de génie et d’une si belle intelligence. Or, du temps de Browning, ses amis l’admiraient ; quelques milliers même d’Anglais et d’étrangers le suivaient avec culte ; et comme, malgré tout, le grand public résistait, on fondait du vivant même du poète des « Sociétés Browning » (comme on me dit qu’il se fonde en Allemagne des Sociétés claudeliennes) ; mais rien n’y fit et Browning n’a pas dépassé l’intelligence du petit nombre. On ne l’a pas entendu. Dernièrement, une charmante Anglaise que Paris possède disait à ce propos : « Quand Browning était vivant et passionnément discuté, on disait : Vous verrez dans cinquante ans, tout le monde le comprendra et l’admirera… Les cinquante ans sont finis et toute la littérature maintenant a passé par-dessus lui sans se servir de lui. Il est comme une ville ensevelie. On sait qu’il est là, mais on ne va plus le chercher. » Et c’est un destin affreux pour un poète, que la vie puisse un jour le recouvrir.

Mais si les admirateurs de M. Paul Claudel ont raison, si la vie sort de son œuvre et se propage au dehors, il doit suffire d’un chemin de connaissance pour pénétrer cette œuvre et pour en goûter le fruit.


Malgré les apparences, M. Paul Claudel est entièrement intelligible. La difficulté qu’on éprouve à l’entendre est une difficulté formelle, non essentielle, et ne vient point de ce qu’il a l’esprit confus, ni de ce qu’il veuille rien dire de mystérieux. C’est un esprit solide et clair. Quand il délaisse la langue poétique pour écrire sur des sujets actuels, ou sur des questions concrètes, par exemple sur les conditions matérielles du théâtre, comme il l’a fait récemment, il le fait avec une clarté simple et convaincante. Son livre de philosophie, si compliqué de forme, montre une intelligence familière avec tous les systèmes et capable d’en constituer un. D’autre part, il ne cherche pas le mystère, il n’a rien de commun avec un Maeterlinck, il n’a aucun amour du vague, il ne s’occupe pas de produire un état d’âme chez le lecteur. À part ce livre de philosophie, Art poétique, et tout ce qui est allusion à des rapports mystiques, choses qui demandent pour être comprises des esprits préparés, son œuvre est claire à l’examen, et les drames en particulier. Seulement, elle s’appuie sur une culture intellectuelle plus étendue que notre culture moyenne de lecteurs ; de plus, son style est plein de particularités. Que faut-il contre ces premiers obstacles ? Simplement de l’habitude, une longue, patiente, bienveillante habitude. Bientôt tout ce qui est procédé matériel semble normal ou cesse d’être gênant ; le lecteur rétablit lui-même les signes qui seraient favorables au sens d’une phrase rompue ou disjointe ; enfin tous ces accidens disparaissent sous l’afflux d’une pensée qui peu à peu envahit chaque fragment, ne laisse entre eux que des sillages noirs bientôt éclairés à leur tour ; et surtout on est porté, entraîné, par le mouvement qui est irrésistible.

Mais deux caractères de l’œuvre de M. Claudel, et qui tiennent à lui, à la nature même de son talent, seront de plus sérieux obstacles à la compréhension aisée de ses ouvrages.

Le premier est le lyrisme. Nous avons un peu perdu l’habitude en France de rencontrer « ces grands lyriques irréfléchis. » Ils nous surprennent. Depuis les folles idées des romantiques, et leur lyrisme indiscret d’hommes orgueilleux ou tristes, nous avons gardé de la méfiance pour ce genre littéraire ; et notre génération est devenue particulièrement étrangère au rude mouvement lyrique. Toujours d’ailleurs, notre inclination française, raisonnable, raisonneuse et policée, nous porta à considérer le lyrisme comme un élan qui devait seconder des forces plus utiles. On se servit de lui plus qu’on ne le servit. Bossuet, qui fut un grand lyrique, de son inspiration fit de l’éloquence, et la vraie joie lyrique chez nous remonte à Ronsard et à Rabelais. Pour M. Claudel, il est dévoué au lyrisme. Il s’y livre. Il est un instrument lyrique sans résistance, comme le fut Shelley, comme le sont les musiciens. Terpsichore passe…

« O sages muses ! Sages, sages sœurs ! et toi-même, ivre Terpsichore !

Comment avez-vous pensé captiver cette folle, la tenir par l’une et l’autre main ?

La garrotter avec l’hymne comme un oiseau qui ne chante que dans la cage ?

O muses patiemment sculptées sur le dur sépulcre : la vivante, la palpitante ! que m’importe la mesure interrompue de votre chœur ? je vous reprends ma folle, mon oiseau !

Voici celle qui n’est point ivre d’eau pure et d’air subtil !

Une ivresse comme celle du vin rouge et d’un tas de roses ! Du raisin sous le pied nu, qui gicle, de grandes fleurs toutes gluantes de miel !

La Ménade affolée par le tambour ! au cri perçant du fifre, la Bacchante roidie dans le dieu tonnant !

Toute brûlante I toute mourante ! toute languissante ! Tu me tends la main, tu ouvres les lèvres.

Tu me regardes d’un œil chargé de désirs. « Ami,

C’est trop, c’est trop attendre ! prends-moi ! que faisons-nous ici[5] ? »

Or le lyrisme pur est un grand enivrement de l’esprit. C’est un saisissement de joie. Du lieu, ou de l’idée qui l’a frappé, le lyrique part pour un monde d’exaltation ; pour un moment il échappe aux liens et aux lois Le mécanisme du lyrisme est un constant travail de transformation et de transposition. Le rapport est quelquefois ténu entre la chose visible et la figure soudain contemplée : alors, ce rapport échappe aux lecteurs, et des deux foyers d’une métaphore le second paraît seul. Il faut, pour suivre un lyrique, s’abandonner sans signes et sans points de repère au mouvement qui l’emporte : il faut se disposer et se prêter à ce grand jeu violent.

« Si le vigneron n’entre pas impunément dans la cuve, Croirez-vous que je sois puissant à fouler ma grande vendange de paroles,

Sans que les fumées m’en montent au cerveau[6] ! »

Certes, la raison a part à ce jeu, et ce serait trop simple s’il suffisait de perdre un peu le sens pour être un lyrique. Il faut au contraire que, sous les métaphores qui s’engendrent, une lucide intention veille. Il faut que ce soit pour la pensée qu’elles créent cette atmosphère sonore et éclatante. Et chez M. Claudel on sent cette action. Mais le mouvement lyrique la dépasse constamment. Il saisit comme une extase les personnages de ses drames. Il crée ces personnages mêmes. Il se déploie sans contrainte dans les Odes. La pensée ne va point logiquement et pas à pas, mais elle prend, l’un après l’autre et comme au hasard, des trophées. Son acte est double : elle passe de l’objet visible à l’objet imaginé, et puis revient de la figure lointaine à la proche et commune réalité. On vit par le lyrisme dans un univers agrandi, et au milieu d’un perpétuel échange. Et l’on vit aussi dans l’excès. L’excès, s’il est beau, peut être l’essence de la poésie. « To surprise us by a fine excess, » a dit Keats. Mais il faut bien voir que, ce qu’il transforme, idée pure, beauté et sentiment, le lyrisme le transpose plus haut. Il l’élève, il tend à porter en triomphe tout ce qu’il prend. Il est une exaltation. Il est tourné vers l’absolu.

De plus, le lyrisme vit du présent. Le présent le domine, absorbe dans sa force tout ce qui est lointain, passé ou futur. Il emplit l’esprit du poète d’une puissance qui ne lui laisse pour ainsi dire pas la liberté du choix. Chez M. Claudel, cette emprise est très forte. Il est possible qu’elle s’atténue dans une période de vie plus sereine et qui choisit mieux, cette période où les vrais artistes arrivent à la plénitude de la forme parce qu’ils sont devenus supérieurs à leur propre abondance. Dans l’œuvre actuelle de celui-ci, qui a une imagination sensuelle et une préhension très appuyée des objets matériels, on rencontre des images d’une assez grosse réalité, quelque chose de brutal et de cru. Dans une de ses odes les plus littéraires, l’Ode aux Muses, il a loué les figures des neuf Muses sculptées sur un sarcophage : ce sarcophage est au Louvre, dans le vestibule de l’escalier Daru, et il porte la mention : « trouvé sur la route d’Ostie. : » La sculpture est intacte ; elle montre Thalie tenant « le masque, le mufle énorme de la vie. » En effet, le masque qu’elle présente de sa main droite, le masque comique, est troué de cette énorme bouche qui le déforme, et le fait proprement bestial. M. Claudel sait que la vie a ce masque-là et il en a use, non sans force d’ailleurs.

Autre chose encore nous déroute : la composition de ses drames. Le lyrisme les immobilise quelque peu. Mais ce n’est pas tout. Ils sont conçus suivant un mouvement poétique et non un mouvement dramatique. Si je ne craignais que mon explication ne fût plus obscure que le problème, je dirais que, sur le plan où ces drames sont établis, ils suivent une ligne droite et non une courbe. On voit d’ordinaire dans toute action dramatique un point culminant, une sorte de lieu de partage des eaux, vers lequel le drame monte et se concentre, d’où il se déverse ensuite et redescend vers le dénouement. Chez M. Claudel, c’est plutôt un fleuve qui, d’une marche plus ou moins resserrée, conduit ses élémens à l’embouchure. Il y a à peine de conflits. Ce sont de grandes forces parallèles qui se côtoient. Ses personnages ont en eux-mêmes le sort du drame. C’est par ce qui se passe en chacun d’eux que le drame existe, les autres n’y font rien, ni les événemens extérieurs. Presque jamais ils ne se rencontrent et se heurtent. Quand cela leur advient, comme dans les deux scènes de l’Otage : entre Sygne de Coûfontaine et l’abject Toussaint Turelure qui veut la contraindre à l’épouser, entre cette même Sygne et le prêtre qui lui conseille d’accepter ce marché parce qu’un Otage sacré en est le prix, — de même que dans la scène du miracle de l’Annonce où les deux sœurs sont en présence et en opposition, — un élément nouveau paraît, le ressort scénique, le choc dramatique, et développe l’émotion essentielle du théâtre. Mais le fait est rare. Il faut chercher quelque chose d’autre dans l’ensemble des pièces de M. Claudel, une émotion d’un autre ordre, des conflits moins visibles : un tragique plus intérieur. Il réside dans la composition des personnages, dans ces créations curieuses d’êtres très humains, mais héroïques, « stylises » et isolés. Le conflit sera entre eux et leur destin, entre la vie et leur cœur, entre leurs natures toujours fortes et d’irrésistibles appels. Placés à côté les uns des autres, formant une foule de la plus grande diversité, et dessinés avec un puissant relief, chacun apparaît cerné d’une auréole ou d’un halo qui le met à part, achevé et solitaire.

Telles sont les deux causes de notre surprise première devant l’œuvre de cet écrivain : — le lyrisme, et le ressort poétique du drame. Une fois connues et admises, elles laissent le champ libre à l’examen de la beauté qui s’affirme par ces moyens si personnels.


J’imagine quatre degrés de connaissance pour l’œuvre de M. Claudel, comme quatre portes successives permettent de connaître l’intérieur d’une maison.

La première est sa qualité littéraire. »

Tout artiste original crée son langage. Cela est vrai des peintres et des musiciens comme des écrivains. La forme et l’idée sont inséparables, il n’y a pas commutation possible entre l’idée et plusieurs formes, il y a entre elles nécessité, identité. C’est contre ce langage nouveau d’un artiste neuf que nous nous rebellons toujours.

Une des révélations de la scène, quand on y porta pour la première fois une œuvre de M. Claudel, fut le magnifique français que l’on entendait. Il y avait dans l’attention de la salle comme une gratitude, qui est très spéciale au public français si sensible à l’emploi heureux de sa langue. Quant aux principes littéraires auxquels ce style s’accorde ou non, ce sont là des questions insolubles par la discussion. Mais elles se résolvent par l’expérience. On dispute longtemps sur l’excellence des principes d’un musicien, et l’on peut en arriver à condamner absolument une œuvre au nom de ces principes, comme cela s’est amplement vu. Or, écoutez la musique de ce musicien : c’est ce dont il vous supplie. Laissez, lentement, votre sensibilité s’accorder à ces rythmes non familiers, à cette architecture des sons disposés dans l’espace suivant un ordre nouveau des vides et des pleins. Si peu à peu, votre précieuse raison étant tenue en garde, cette sensibilité s’émeut, alors, quand il en sera temps, l’esprit vaincu, convaincu, verra de la lumière là où l’instinct d’abord avait reconnu la chaleur. Il en est ainsi pour M. Claudel, qui se sert à la vérité de formules à lui, que l’on condamnera si l’on veut, mais que le fait est là pour prouver efficaces et justes. Le pragmatisme vaut en cette matière. Il faut lire M. Claudel tout haut, ou bien l’entendre lire par une belle voix accoutumée à le prononcer. Comme l’a si joliment dit M. Camille Bellaigue, certaines syllabes ont la vertu d’un chant, et « le nom de Jérusalem n’a besoin pour nous émouvoir que d’être psalmodié. » Dans l’Annonce faite à Marie, dans les Odes et dans certaines parties de ses autres œuvres, quand M. Claudel a cherché l’harmonie et qu’il y a touché, c’est à cette vertu de chant que sa prose atteint, et on s’en aperçoit quand on la prononce. Cette poésie fait appel à toutes les ressources de la voix, l’infléchit et la tend, s’y modèle, s’y ploie, et en provoque toute l’étendue et toute la beauté.

Voici quelques passages de la dernière scène de l’Annonce faite à Marie, au moment où, Violaine étant morte, les trois hommes qui l’aimèrent s’essayent à la paix, tandis que la sérénité du jour qui s’éteint les enveloppe et les grandit.


« VERCORS. — O Pierre ! voici le temps où les femmes et les enfans nouveau-nés en remontrent aux sages et aux vieillards !

Voici que je me suis scandalisé comme un Juif parce que la face de l’Église est obscurcie et qu’elle marche en chancelant son chemin dans l’abandon de tous les hommes.

Et j’ai voulu de nouveau me serrer contre le tombeau vide, mettre ma main dans le trou de la croix.

Mais ma petite-fille Violaine a été plus sage.

Est-ce que le but de la vie est de vivre ? est-ce que les pieds des enfans de Dieu seront attachés à cette terre misérable ?

Il n’est pas de vivre, mais de mourir, et non point de charpenter la croix, mais d’y monter, et de donner ce que nous avons en riant !

Là est la joie, là est la liberté, là la grâce, là la jeunesse éternelle ! et vive Dieu si le sang du vieillard sur la nappe du sacrifice, près de celui du jeune homme,

Ne fait pas une tache aussi rouge, aussi fraîche que celui de l’agneau d’un seul an !

O Violaine ! enfant de grâce, chair de ma chair ! Aussi loin que le feu fumeux de ma ferme l’est de l’étoile du matin,

Quand cette belle vierge sur le sein du soleil pose sa tête illuminée,

Puisse ton père tout en haut te voir pour l’éternité à cette place qui t’a été réservée !

Vive Dieu si où passe ce petit enfant le père ne passe aussi !

De quel prix est le monde auprès de la vie ? et de quel prix la vie, sinon pour la donner ?

Et pourquoi se tourmenter lorsqu’il est si simple d’obéir ?

C’est pourquoi Violaine aussitôt toute prompte suit la main qui prend la sienne.

PIERRE DE CRAON. — O père ! C’est moi le dernier qui l’ai tenue dans mes bras, car elle se confiait en Pierre de Craon, sachant qu’il n’y a plus désir en son cœur de la chair.

Et le jeune corps de ce frère divin était entre mes bras comme un arbre coupé qui penche !

Déjà comme l’ardente couleur de la fleur de grenade de tous côtés se fait voir sous le bourgeon qui ne la peut plus enclore,

La splendeur de l’ange qui ne sait point la mort s’emparait de notre petite sœur,

Et l’odeur du paradis entre mes bras s’exhalait de ce tabernacle brisé.

JACQUES HURY. — O Violaine ! ô cruelle Violaine ! désir de mon âme, tu m’as trahi !

O détestable jardin ! ô amour inutile et méconnu ! jardin à la maie heure planté !

Douce Violaine ! Perfide Violaine ! ô silence et profondeur de la femme !

Êtes-vous donc tout à fait partie, mon âme ?

M’ayant trompé, elle s’en va ; et m’ayant détrompé, avec des paroles mortelles et douces,

Elle part, et moi, avec ce trait empoisonné, il va falloir que je vive et continue ! comme la bête qu’on prend par les cornes, lui tirant la tête de la crèche,

Comme le cheval qu’au soir on détache du palonnier en lui frappant sur la croupe !

O bœuf, c’est toi qui marches le premier, mais nous ne formons qu’un attelage à nous deux. Que le sillon soit fait seulement, c’est tout ce qu’on demande de nous.

C’est pourquoi tout ce qui n’est pas nécessaire à ma tâche, tout cela m’a été retiré. »

( L’Annonce faite à Marie, acte IV.)


Cependant cette note harmonieuse, purifiée, presque classique qu’on entend dans l’Annonce, est assez rare dans l’ensemble de l’œuvre de M. Claudel. Ses deux derniers drames, l’Annonce et l’Otage, atteignent presque seuls à cette grave douceur, et quelques pages des Odes, quelques hymnes, quelques-uns de ses poèmes pour des saints ou pour des enfans. Mais, en général, l’impression que donne ce style est la vigueur, et même la violence. Il est rarement une œuvre d’art, une œuvre parfaite et disciplinée, mais le plus souvent une sorte d’aveu, tout proche du choc mental dont il est né, trop proche pour l’art, jamais trop pour la vie. L’inattendu abonde dans les images ou dans les termes. Et ce poète a un vocabulaire considérable. Je croirais volontiers qu’il est de nos écrivains actuels celui qui a le plus de mots à sa disposition. Mots empruntés aux langues mères, au français pur et heureux du XVIe siècle, aux littératures voisines, à la technique des métiers, à la vie marine, aux sciences. Mots qu’il cherche premiers et qu’il pose à cru, en plein jour, substantifs sans épithète, verbes sans auxiliaire ; langue nerveuse et nombreuse, mais par-dessus tout conduite par les lois du mouvement intérieur, par le commandement autoritaire qui la presse ou la détend suivant les plus divers modes.


« Et cependant, Ysé, Ysé, Ysé !

Cette grande matinée éclatante, quand nous nous sommes rencontrés ! Ysé ! ce froid dimanche éclatant, à dix heures sur la mer !

Quel vent féroce il faisait dans le grand soleil !

Comme le dur mistral hersait l’eau cassée,

Toute la mer levée contre elle-même, tapante, claquante, ruante dans le soleil, détalant dans la tempête[7] ! »

Ce style n’est pas sans procédés. L’allitération chère aux symbolistes y est constamment employée. La syntaxe est justifiable, mais étrange, les mots ne sont pas toujours arrangés sans affectation. Et que deviendrait ce langage chez des médiocres qui n’en imiteraient que l’armature ! mais, chez lui, ce style si propre à la nature de son esprit se prête à un grand effet d’expression, soit qu’il le tende pour de grandes métaphores, soit qu’il le laisse revenir à la simplicité, à la tendresse et à la grâce, qui sont loin de manquer dans son œuvre.

Enfin il sert une si abondante poésie ! Tout enfant, M. Claudel connut cette attention émerveillée qui fait les futurs poètes.

« Je me revois, dit-il, à la plus haute fourche du vieil arbre dans le vent, enfant balancé parmi les pommes. De là comme un dieu sur sa tige, spectateur au théâtre du monde, j’étudie le relief et la conformation de la terre, la disposition des pentes et des plans ; l’œil fixe comme un corbeau, je dévisage la campagne déployée sous mon perchoir, je suis du regard cette route qui, paraissant deux fois successivement à la crête des collines, se perd enfin dans la forêt. Rien n’est perdu pour moi, la direction des fumées, la qualité de l’ombre et de la lumière, l’avancement des travaux agricoles, cette voiture qui bouge sur la place, les coups de feu des chasseurs… La lune se lève ; je tourne la face vers elle, baigné dans cette maison de fruits. Je demeure immobile, et de temps en temps une pomme de l’arbre choit, comme une pensée lourde et mûre[8]. »

Cette « profonde considération, » le poète y appliquera toute sa vie son esprit, avec la même passion fixe, un peu pesante, et elle sera le caractère propre de sa poésie. L’objet est vu, connu, exprimé ; il n’est pas, comme chez les symbolistes, dédaigné ; il n’est pas, comme chez les naturalistes, regardé avec fétichisme ; mais, pris dans la main et pesé, il développe une série de conséquences. Le style de M. Claudel est la stylisation de cet acte double. S’il est obscur, c’est en partie à cause de cela. Car cette stylisation, il ne la fait pas par la logique, mais par la poésie ; les élémens choisis ne le seront pas pour leur plus grande vraisemblance, mais pour leur plus grande efficacité poétique. Aussi, le poète, qui avait cru d’abord « qu’il n’y avait rien en nous-mêmes qui ne fût susceptible de communication, » s’aperçoit-il bientôt, au contraire, de la solitude profonde où il se trouve dans un monde affairé et distrait. « Seul, comme un homme désolé, j’erre par les routes : entrant dans la forêt je n’en sortirai pas avant le soir. Et si quelqu’un est mon ami, je ne suis qu’un ami ambigu. »


Mais la force poétique est impérieuse, et chaque année de vie l’accroît. Le monde se propose irrésistiblement.


« Comme un animal dans le milieu de la terre, comme un cheval lâché qui pousse vers le soleil un cri d’homme,

Quand, ouvrant les yeux pour la première fois, je vis le monde dans la fraîcheur de sa feuille,

Paraître dans une proportion sublime, avec l’ordre de ses lois et la composition de son branle, et dans la profondeur de sa fondation,

Comme un homme qui adore et comme une femme qui admire, je tendis les mains,

Et comme un miroir d’or pur qui renvoie l’image du feu tout entier qui le frappe,

Je brûlai d’un désir égal à ma vision, et, tirant sur le principe et la cause, je voulus voir et avoir[9]. »

C’est la possession après la contemplation. Un jour M. Claudel dira au Seigneur : « Utilisez-moi ! Exprimez-moi dans votre main paternelle ! Faites sortir tout le soleil qu’il y a en moi ! »


Cette possession poétique anime toute l’œuvre. Les drames en sont l’examen, les odes et les poèmes en sont le chant. Comblé d’une félicité qu’il s’est bâtie, le poète pensera avoir fait pour lui-même une révision de l’univers.


« Le monde s’ouvre, et si large qu’en soit l’empan, mon regard le traverse d’un bout à l’autre.

J’ai recensé l’armée des cieux, et j’en ai dressé état,

Depuis les grandes figures qui se penchent sur le vieillard Océan,

Jusqu’au feu le plus rare englouti dans le plus profond abîme.

Vous êtes pris, et d’un bout du monde jusqu’à l’autre autour de vous,

J’ai tendu l’immense rets de ma connaissance[10]. »

Mais, parce que « chaque homme, pour vivre toute son âme, appelle de multiples accords, » le monde intérieur aussi s’offre à la connaissance et à la possession poétique, et, en premier lieu, l’amour.

« Si le corps exténué désire le vin, si le cœur adorant salue l’étoile retrouvée,

Combien plus à résoudre l’âme désirante ne vaut point l’autre âme humaine ? »


Et la Muse Erato, d’un regard appuyé sur les yeux des amans éveille leurs souvenirs.


« Et moi, comme la mèche allumée d’une mine sous la terre, ce feu secret qui me ronge

Ne finira-t-il point de flamber dans le vent ?

Qui contiendra la grande flamme humaine ?

Toi-même, amie, tes grands cheveux blonds dans le vent de la mer,

Tu n’as pas su les tenir bien serrés sur ta tête ; ils s’effondrent ! Les lourds anneaux

Roulent sur tes épaules, la grande chose joconde

S’enlève, tout part dans le clair de la lune !

Et les étoiles ne sont-elles pas pareilles à des têtes d’épingles luisantes ? et tout l’édifice du monde ne fait-il pas une splendeur aussi fragile qu’une royale chevelure de femme prête à crouler sous le peigne ? »


Enfin voici un lyrisme plus intime, sur la naissance d’un enfant.


« C’est donc vous, nouvelle venue, et je puis vous regarder à la fin.

C’est vous, mon âme, et je puis voir à la fin votre visage, Comme un miroir qui vient d’être retiré à Dieu, nu de toute autre image encore.

De moi-même il naît quelque chose d’étranger,

De ce corps il naît une âme, et de cet homme extérieur et visible

Je ne sais quoi de secret et de féminin avec une étrange ressemblance.

O ma fille ! ô petite enfant pareille à mon âme essentielle… Qui es-tu, nouvelle venue, étrangère ? et que vas-tu faire de ces choses qui sont à nous ?

Une certaine couleur de nos yeux, une certaine position de notre cœur.

O enfant né sur un sol étranger ! ô petit cœur de rose : ô petit paquet, plus frais qu’un gros bouquet de lilas blanc !

Il attend pour toi deux vieillards dans la vieille maison natale toute fendue, raccommodée avec des bouts de fer et des crochets.

Il attend pour ton baptême les trois cloches dans le même clocher qui ont sonné pour ton père, pareilles à des anges et à des petites filles de quatorze ans,

À dix heures lorsque le jardin embaume et que tous les oiseaux chantent en français[11] ! »


Et l’on dit ici : mais pourquoi ces constantes coupures ? pourquoi cette prose est-elle mise en strophes et même en lignes interrompues ? Et si ce sont des vers, pourquoi n’ont-ils point de mesure ? Est-ce que ce procédé n’est pas bien arbitraire ? Je suis très porté à croire qu’il est en effet arbitraire, et qu’il n’y a d’autre raison à son emploi qu’un caprice, probablement heureux. Les poètes font des trouvailles de rythmes, et ensuite ils cherchent à les justifier par des raisonnemens. Mais les explications qu’on a données de ce mode d’expression de M. Claudel, — et les siennes les premières, — ne me paraissent pas convaincantes. Peut-être ces versets ne sont-ils pas un procédé aussi nouveau qu’il en a l’air. Est-ce que nous ne lisons pas la Bible ainsi ? C’est un grand mode de parole, quand il s’agit de solenniser la pensée, de la transposer au mode héroïque, et de faire soutenir le ton à la personne qui déclame. Et si M. Claudel avait inventé ce mode, il aurait fait une bonne invention, car c’est un bel instrument, utile et fort agréable à employer. C’est un mode intermédiaire entre le vers et la prose, plus accusé et plus rythmé que celle-ci, plus souple que celui-là et d’un emploi moins fatigant dans les œuvres longues. M. Claudel l’appelle vers, d’après sans doute l’opinion de Mallarmé qui voulait qu’il y eût « vers » dès qu’il y avait « effort vers le style, » dès que cessait la simple écriture du langage parlé. Mais il me semble que c’est abuser des mots, car une longue tradition a défini le vers français d’une manière précise et étroite, et la cadence inégale et sans mètre de M. Claudel n’est point ce vers-là, si elle est, ce qui ne fait pas de doute, poésie et même versification. Il a jadis écrit quelques vers, quelques alexandrins, et fait hommage comme d’autres à la vieille discipline. Mais il a trouvé ce mode trop rigide pour contenir la vie abondante et mouvementée qu’il lui fallait y presser, et il a adopté cette large prose très appuyée qui s’étend jusqu’à trois lignes ou se resserre jusqu’à une seule syllabe suivant la psychologie du moment.

Le jeune Cébès au début de Tête d’Or arrive dans la solitude des champs à la fin de l’hiver :

« Me voici,

Imbécile, ignorant,

Homme nouveau devant les choses inconnues,

Et je tourne ma face vers l’année et l’arche pluvieuse, j’ai plein mon cœur d’ennui ! »

Tout récemment, parce qu’on représentait pour la première fois un de ses drames, il a écrit cette explication de son style pour aider les acteurs : « La division en « vers » que j’ai adoptée est fondée sur les reprises de la respiration, découpant pour ainsi dire la phrase en unités non pas logiques, mais émotives. ! Quand on prête l’oreille à quelqu’un qui parle, on entend qu’à un point variable vers le milieu de la phrase la voix s’élève, et s’abaisse vers la fin. Ce sont les deux temps et la modulation intermédiaire qui constituent mon vers. »

Il est bien évident que le vers a toujours été une mesure humaine, physiologique. Le temps de la respiration est son temps, l’afflux normal du sang pendant la durée du mouvement respiratoire, le quadruple battement du cœur, en règle les quatre accens normaux. M. Claudel garde, et emploie généralement de la plus belle manière ce rythme qui est l’essence du vers, et la coupure des lignes lui sert justement bien souvent, comme dans les vers, à rendre nécessairement forte, nécessairement « longue, » la dernière syllabe sur laquelle ainsi il retient la résonance. Et cependant pour nous faire saisir combien ces lignes diffèrent du vers par une différence subtile, mais inexorable, il suffit que M. Claudel leur ajoute des rimes. Ces assonances venant à la fin de versets étirés m’ont toujours semblé pénibles, et au lieu de les attendre comme un bel écho, on les redoute comme un mauvais hasard. Ce qui ajoute tant au vers diminue cette prose, car forcément la recherche de l’assonance tire à soi le sens de la phrase et on craint de penser qu’elle le dirige.

Mais que si, au contraire, on veut tenir pour l’instrument intermédiaire entre nos deux modes habituels ces lignes ou ces strophes dociles au mouvement du discours, je ne vois pas quelle objection on pourrait y faire. Il faudrait souhaiter seulement que ceux qui décideront de s’en servir ne maniassent point de la fausse beauté avec ce bon outil.

Car il a de superbes ressources. Il fait intervenir le silence. Ce silence qui joue un si grand rôle dans nos entretiens vivans, et un si grand rôle dans la musique, n’y aurait-il que le vers qui eût le droit de lui emprunter sa riche profondeur ? Combien de fois, écrivant en prose, n’a-t-on pas souhaité, au-delà des virgules et des points, cet instant visible de suspens, qui recueille un sens, l’isole, et l’agrandit ?

On a raillé avec raison l’excès de cette exigence chez Mallarmé, qui mettait pour la satisfaire de grands blancs entre ses mots… Mais, si on y réfléchit, le dernier des romanciers en fait autant quand il introduit une description dans un moment pathétique. Tout ce qui importe doit baigner dans le silence, dans l’espace. Et c’est pour les leur restituer qu’avant la déclaration d’amour, on nous dit comment est la nuit ; ce sont des mots destinés à prolonger le suspens, et qui y tombent de toute leur inutilité. M. Claudel a dans un domaine plus subtil donné une belle solution à ce besoin d’espace dans la prose.


Le second élément qu’on est amené à reconnaître chez M. Claudel est la qualité humaine. La scène, quand l’Annoncé à Marie y fut portée, la mit en évidence et ce fut une surprise pour beaucoup. Car on avait pensé que ce drame s’adresserait surtout à l’esprit. Mais il était émouvant. Et certains même regrettaient que la part la plus rare du drame, — ce qu’il contenait de mysticisme fier et de ferveur, — disparût presque sous tant de pathétique. Je crois donc qu’on ferait fausse route si on ne voyait dans l’œuvre de M. Claudel, sous prétexte qu’elle est symbolique » que des figures. Ce sont des êtres humains qu’il y a créés. Ses personnages sont des personnes. Leurs passions, leurs vertus et leurs vices ne sont point des allégories. Ils leur tiennent au sang, ils leur sont inhérens par la vertu d’une vraisemblable psychologie.

Il est relativement aisé d’étudier les ressources psychologiques d’un écrivain quand il met en scène des gens qui appartiennent toujours au même monde et au même temps, comme c’est le cas pour presque tous nos auteurs de théâtre actuels. Mais M. Claudel a un théâtre singulièrement varié et d’un cadre étendu. Le meilleur exemple qu’on en pourrait trouver près de nous serait l’œuvre musicale de Wagner. Les huit drames de M. Claudel sont assez divers pour que bien des figures s’y dessinent : Tête d’Or est une sorte de poème épique sans lieu ni temps ; la Ville meut des foules modernes avec des grèves et des émeutes ; le Repos du Septième Jour est une Visite de Chinois aux Enfers ; l’Échange se passe en Amérique ; la Jeune fille Violaine est un drame mystique parmi de petites gens de la terre ; le drame d’amour de Partage du Midi (une tragédie de passion d’un ton un peu égaré comme la musique de Tristan) a pour théâtre un paquebot faisant route pour l’Extrême-Orient, puis une ville de Chine, et pour personnages ces Européens nomades et détachés que la vie exotique ballotte d’une fortune à l’autre, d’un bout à l’autre du monde, et semble déraciner aussi de toute idée stable et de toute conscience ; l’Otage suscite la vie de la France après les ruines de la Révolution, et l’Annonce faite à Marie est tout imprégnée de l’esprit du Moyen Age. Le ton de chacun de ces drames est accordé à leur donnée avec une rare justesse d’accent.

Sous un style qui reste le même partout, avec ses procédés et ses arrêts, une main très sûre dispose les élémens particuliers. Si les plus importans de ces personnages ont ces traits éternels sans quoi la psychologie est superficielle et vaine, ils sont circonstanciés aussi, ce sont des individus. Quelques-uns sont l’objet de portraits tout extérieurs, comme cet Américain dont l’Échange fait la charge, l’Américain cynique et beau joueur qui estime que tout est marchandise, même la femme de son voisin si on veut y mettre le prix, lequel dépend des besoins d’argent du mari. D’autres sont des types humains si héroïques, si tendus, comme Simon Agnel, le héros de Tête d’Or, qu’on hésite à y reconnaître un homme ; pourtant il suffit qu’un adolescent, le charmant Cébès, se confie à lui, pour qu’une grande tendresse d’homme apparaisse sous le masque romantique de Simon ; et la scène où Cébès meurt entre les bras du jeune héros victorieux est une magnifique scène de virile pitié, en même temps qu’il en émane cette angoisse des au-delà de la mort, sur lesquels désespérément et vainement s’interrogent ces deux jeunes hommes dont l’un va mourir.


TETE D’OR. — Et il demande, et je ne puis répondre à cet enfant malheureux ! Et voici qu’il meurt !

CÉBÈS. — Réponds ! quand l’homme meurt, est-ce que quelqu’un subsiste ? Est-ce que la personne finit ? Car pour la forme du corps, je sais qu’il disparaît

TETE D’OR. — Faut-il que tu te flétrisses comme une fleur d’eau avant que je ne t’aie demandé : qui es-tu ? et que tu ne m’aies répondu ?

N’espère point que tu subsistes, étant mort, car l’homme verra-t-il sans ses yeux ? et que pourra-t-il

Saisir autrement qu’avec ses mains ?

CÉBÈS. — Je mourrai comme un quadrupède et je n’existerai plus.

Pourquoi alors m’a-t-il été donné de savoir cela ? Nuit ! ô nuit !

TETE D’OR. — La nuit est vaste et large, et le soleil y disparaît.

CÉBÈS. — Jamais et a jamais !

TETE D’OR. — Frère ! enfant !

Ô toute la tendresse qu’il y a en moi, je te tiens entre mes mains

T’appellerai-je mon enfant ou mon frère ? car j’étais plus attentif à toi qu’un père ne l’eût été à la petite figure pâle. Et mon cœur était attaché au tien par un lien plus fort et plus doux

Qu’à son frère ne l’est un frère aîné, quand il joue et cause doucement avec lui le soir, et qu’il l’aide à défaire ses souliers.


Les foules de M. Claudel sont curieuses. Certes, il manque d’habileté pour les manier, mais dans la satire un peu grosse et gauche par laquelle il les traite, leurs mots et leurs vies sont d’une pesante vérité. Ce n’est pas par leur confuse diversité qu’il les peint, par leur aspect extérieur de masse versatile et remuante, mais par les traits élémentaires de ceux qui les mènent, quelques individus anonymes et moyens. Puis de la même main dont il a tracé avec pessimisme et quelque mépris ces silhouettes, M. Paul Claudel trace de purs portraits de femmes. Le plus rare, le plus complet est peut-être celui de Sygne de Coûfontaine dans l’Otage, la jeune aristocrate que la Révolution a laissée seule et dépouillée, et qui, de la vieille abbaye fondée par ses pères et restée seule debout à côté du château abattu, reprend « brin par brin comme une vieille dentelle » l’ancien domaine dispersé. Cette fille énergique à ïa taille longue et au visage fermé, accueille avec une ravissante dignité un amour digne d’elle, puis la déchéance, et l’adversité. Mais elle n’est pas hiératique. Sygne de Coûfontaine l’impassible a tant souffert, que bien avant la mort son cœur est épuisé…

De ces types si différens, et, ce qui est très curieux, de leur langage presque identique, car M. Claudel ne s’embarrasse guère de les faire tous parler en poètes, se dégage une psychologie humaine générale. Ce n’est pas une psychologie de comédie, elle est grave, sans esprit, et toute en profondeur, — mais par d’autres chemins elle atteint à une vérité aussi vivante. C’est à peine non plus de l’observation. Il ne paraît pas que M. Claudel ait beaucoup regardé vivre les autres et qu’il s’y intéresse. C’est une psychologie d’intuition. Ses êtres sont refaits par le dedans, au lieu d’être tracés par l’extérieur. Et surtout les sentimens essentiels sont produits. Ce qui constitue une âme d’homme et une âme de femme, et par conséquent le pathétique de leurs rencontres, nous frappe de temps en temps comme un rappel de nos propres actes, — et, au-dessous de nos actes, comme un rappel de nos dispositions les plus cachées. Seules des femmes peuvent savoir ce qu’il y a de justesse dans une Marthe que son mari qui ne l’aime plus appelle encore de l’ancien nom d’amour Douce-Amère, et qui ne s’y trompe pas, mais le regarde seulement avec ce grand reproche étonné de la femme qui s’était donnée pour jamais ; dans une Ysé que son goût pour la domination d’amour empêche à tout jamais d’aimer ; dans une Violaine qui s’arrache à son fiancé sans cesser d’aimer, et dont ni la lèpre, ni la réclusion, ni même la vie perdue en Dieu n’interrompt l’amour, indéfiniment sacrifié et qui fleurit encore sur ses lèvres avec le dernier souffle. « Jacques, dit-elle avec ferveur au fiancé de jadis, quand tu entendras à ton tour la grande porte de la mort craquer et remuer, c’est moi de l’autre côté qui suis après ! » Violaine n’est pas une sainte. Le ciel qu’elle promet à Jacques, c’est sa présence. Ces femmes ont des cœurs féminins.

M. Claudel va au-delà, et suscite le plus profond des instincts de la vraie femme, qui est de se livrer, — que ce soit à l’amour, à l’enfant, à une tâche, à Dieu. Il s’en est servi pour de hauts propos et en particulier pour cette étrange vocation de sacrifice qui apparaît ici comme une tentation au-dessus de leurs forces. « Les choses grandes et inouïes, dit Sygne de Coûfontaine, notre cœur est tel qu’il ne peut y résister. » Cette passion de se perdre semble mettre la femme au degré suprême de l’ordre humain que M. Claudel établit. Dans la Ville, celle que jadis un homme qui l’aimait appelait « la fée Lâla, fille de la graine de fougère, » devenue vieille et connaissant son propre cœur, dit aux hommes qui ne l’ont point comprise :


« Nul ne connaît le secret de ma joie, ni eux, ni les autres, ni vous-même.

Coeuvre lui-même, bien qu’il soit le seul homme qui ait eu de moi possession

(Et tu es le fruit de notre union, ô roi)

Ne m’a point connue tout entière.

Car son esprit s’attache aux causes et il les rassemble dans la profonde cavité de son esprit…

Mais le délice et ce saisissement

Qu’il y a à sentir qu’on ne tient plus à rien est ce qu’il ne connaît pas encore.

Le vol fixe de la pensée qui comme un nageur soulevé par le courant

Se maintient dans la vibration de la lumière,

Ces coups soudains, ces essors insaisissables, ces départs,

Sont encore ce que tu sais mal, ô pontife[12]. »

Pour ce qui est de l’homme, il donne à la femme les plus doux noms, il la poursuit d’une recherche impérieuse, il connaît que le délice et le tourment qu’elle lui donne sont comme une créance qu’elle a sur lui (par une singulière idée, ce serait par un héritage de la femme que l’homme aurait ce besoin de la femme : ce que la mère adonné, la femme vient le reprendre) ; elle est l’exigence, elle est la demande de la vie. Mais l’homme subit cette exigence et ne la choisit pas ; et de plus il sait que ce qu’il aura acquis avec tant de peine, « l’embrassement de la bien-aimée pareil à un combat contre le cygne » ne lui suffira pas. « La femme est la promesse qui ne peut être tenue. » À la soif humaine la réponse de l’amour est faible. « L’insatiable ne peut s’appliquer que sur l’inépuisable. » La femme est faite pour se donner, l’homme pour recevoir ; mais « l’inépuisable » n’est pas créature. Aux deux facultés de l’homme : l’action et la méditation, l’amour n’est pas une fin.

Et c’est l’éternel malentendu de l’amour, ou au moins une des racines de ce malentendu.

« O amie, je ne suis pas un dieu !

Et mon Ame, je ne peux te la partager, et tu ne peux me prendre et me contenir et me posséder[13].

« Il n’y a absolument pas moyen de vous donner mon âme, Ysé[14]. »


Aussi M. Claudel a-t-il fortement exprimé le poids des amours interdites, quand l’amour est assez sérieux pour faire naître ces douleurs. Elles sont le reniement de l’autre soif, qu’il nous faut bien appeler la soif divine, et dans le vouloir qu’ils ont d’être comblés par leur don mutuel, les êtres qui s’aiment profèrent un refus sacrilège et vain. M. Claudel a défini cette « abjuration passionnée » par des lignes très hardies dans Partage de Midi.

Il reste la vie qu’on peut partager, donc le mariage, qui en constitue l’échange.

Mais la femme sert, et l’homme agit. La femme aime et l’homme comprend. Ce n’est guère une thèse féministe. Pourtant dans l’apparent abaissement féminin, il y a une revanche mystérieuse et mystique.

Telle est, exprimée cent fois, l’idée de l’ordre humain dans l’œuvre de M. Claudel. Elle est assez curieuse à constater, au moment où M. Bergson fait dépasser sur le chemin de la connaissance la raison par l’intuition, et où M. Chesterton, ce brillant philosophe anglais, sous les paradoxes dont il scandalise sa patrie, recherche le plan initial, le patron idéal de l’homme ; ces trois philosophies convergente


Cependant tous ces ressorts, poésie et psychologie, vont à un sens. Un esprit d’une rare cohésion, un esprit qui discerne et qui résout, parait sous la diversité de cette œuvre, liant chaque composition, et leur ensemble, à l’unité d’un plan volontaire et stable. La base d’un drame ou d’un roman peut être un fait. Ici, — et je pense que c’est la définition même des « idéalistes, » — elle est une idée. Le sujet est en fonction de cette idée. Un drame humain, des personnages réels, servent un dessein intellectuel. Dans les drames l’un après l’autre de M. Claudel, il y a ce support. Et ils l’ont complètement mis à jour quand ils se ferment. Nul mystère intellectuel ne doit subsister quand le rideau est tombé. Cela est conclu et clos comme du Bach. L’esprit doit être satisfait. Comme le fil d’une broderie au filet après avoir passé dans tous les méandres du dessin revient à son point de départ, ainsi l’idée-nourrit les accidens du drame et encercle le problème posé. Il suffit de lire les pièces de M. Claudel pour voir cette expérience se répéter, et ce qu’il a voulu dire, une fois que le drame est devenu clair pour l’esprit, est fort net.

Dans l’Otage, par exemple, l’auteur a eu comme point de départ l’idée de la séparation entre le monde moderne et celui d’avant la Révolution. Séparation d’esprit encore plus que de fait. Un ensemble délicat de charges réciproques formait la base des rapports entre les hommes ; cette obligation mutuelle était entre eux le seul contrat, contrat de fait, non écrit, et qui avait pour garant la foi des traitans ; enfin toute seigneurie reposait sur la possession de la terre. Ce sont ces trois ordres de choses que la Révolution abolit (et d’ailleurs il est bien évident que le rouage ne fonctionnait plus normalement et M. Claudel ne semble pas chercher à faire l’apologie du siècle qui précéda la Révolution) ; en les abolissant cependant, elle détruisit ce qui reposait sur un ordre vivant, et y fit succéder des relations nouvelles et des contrats conventionnels. M. Claudel a rendu sensible cette démolition en y faisant consentir, sous la pression de la force, deux nobles êtres en qui toutes les abdications douloureuses de 1789 se renouvellent. Une nécessité qui n’a plus aucune raison de droit arrive à rétablir sur le trône ancien un roi constitutionnel, investi de son royaume par les mains d’un préfet de hasard trois fois renégat. Et les descendans des Coûfontaine seront eux-mêmes l’instrument de cette dernière reddition de leur race.


Georges de Coûfontaine. — Adieu donc, ô Roi que j’ai servi, image de Dieu !

Le Roi pas plus que Dieu n’acceptant de limitation que sa propre essence,

Tout homme dès sa naissance recevait le monarque au-dessus de lui éternellement à sa place par lui-même.

Afin qu’il apprît aussitôt que nul n’existe pour lui seul, mais pour un autre, et qu’il eût ce chef inné.

Et maintenant, ô Roi, à cette conclusion de ma vie,

De cette main qui a combattu pour toi, c’est moi qui m’en vais signer ta déchéance.

Sygne de Coûfontaine. — Réjouis-toi, parce que tes yeux vont voir ce que ton cœur désirait[15].

Georges. — Il y a une chose plus triste à perdre que la vie, c’est la raison de vivre.

Plus triste que de perdre ses biens, c’est de perdre son espérance.

Plus amère que d’être déçu, et c’est d’être exaucé.

Sygne. — Voici le Roi sur son trône.

Georges. — L’appelez-vous le Roi ? Pour moi je ne vois qu’un Turelure couronné.

Un préfet en chef administrant pour la commodité générale, constitutionnel, assermenté,

Et que l’on congédie, le jour qu’on en est las. »


De même dans Tête d’Or, qui semble d’abord le plus obscur et le moins dégagé des drames de M. Claudel. L’action, là aussi, est double : action vivante, action intellectuelle. L’épisode, dans ses grandes lignes, est celui-ci : un jeune homme, Cébès, désemparé et faible, croit reconnaître en Simon Agnel un homme plus fort et s’attache à lui. Agnel, qui deviendra Tête d’Or, donne en effet bientôt des preuves de sa force et de son ascendant. Dans la patrie aveulie qui est la sienne, il suscite les courages éteints, et pour repousser l’envahisseur qui va achever la destruction du pays, il lève une armée, attaque l’ennemi et vainc. En possession de la force, il réclame le pouvoir, tue le Roi incapable, et règne. Là est le nœud du drame : que fera-t-il de sa puissance et 4e ce peuple qui s’est donné à lui ? Il le mène à la conquête du monde. Parti de l’Occident, il s’est avancé jusqu’au nœud dorsal de l’Europe, au Caucase, là où Prométhée se débattit. Il est blessé, et le bruit de sa mort suffit à mettre son armée en déroute. L’espoir meurt avec lui, les conquérans se replient vers leurs foyers, « leur effort arrivé à une limite vaine se défait comme un pli, » et Tête d’Or meurt seul, montrant au ciel sa force inutile, ayant remis à la fille de l’ancien roi le pouvoir usurpé.

Or le drame se tient et se passe de commentaire. Cependant, au-dessous de l’action subsiste l’idée dont il est sorti, qu’il a illustrée, rendue frappante. Dans la jeunesse intellectuelle, les faibles se confient aux forts et leur demandent appui. Ils sentent celui qui est doué et avec la crédulité de l’ardente adolescence ils attendent de lui le sens de leur vie. Et celui-là, que leur donnera-t-il ? Il leur propose l’empire de l’esprit humain. Mais la conquête n’a de force que par lui, et lui-même n’a de force que son orgueil. Sa personnalité atteinte par un coup lâche et fatal du destin, tout s’écroule, et « leur effort arrivé à une limite vaine, » ils se sentent sans but, ils retournent à leur vie, et le chef inutile apprend seul la fin de la dure leçon. :


Enfin, ce qui achève de constituer l’œuvre de M. Claudel, c’est le sentiment religieux. Depuis le premier de ses drames jusqu’à la plus récente de ses Odes ou de ses Hymnes, cette œuvre vibre d’un accent de catholicisme passionné. C’est d’abord une sourde recherche, l’expression de la privation de Dieu, de la lacune d’un univers sans lui ; puis une enquête où nous suivons bien moins un projet de démonstration qu’une angoisse personnelle : les drames de l’Arbre cherchent un ordre divin auquel puissent se relier les problèmes de la vie et de l’intelligence. Enfin c’est l’épanouissement d’une foi intégrale et son rayonnement infini.

M. Paul Claudel est un converti. Peu instruit des choses religieuses et y étant indifférent, il fut, à vingt ans, soudainement visité par la douce persuasion de Dieu.


« O mon Dieu[16], je me rappelle ces ténèbres où nous étions face à face tous les deux, ces sombres après-midi d’hiver à Notre-Dame,

Moi tout seul, tout en bas, éclairant la face du grand Christ de bronze avec un cierge de vingt-cinq centimes.

Tous les hommes alors étaient contre nous, — et je ne répondais rien, — la science, la raison.

La foi seule était en moi, et je vous regardais en silence comme un homme qui préfère son ami. »

C’est comme une réalité qui s’impose, et c’est en cela que toute conversion est inexplicable. Il arrive simplement un jour que Dieu existe, personnel, agissant, vivant. « N’avons-nous pas un droit à ne pas voir Dieu ? et je ne puis l’exclure ! Il ne profère point de parole et d’où vient que je l’entends ? Je ne puis l’atteindre, et il est avec moi. Il n’est nulle part, et je ne saurais le fuir. » Grande angoisse : celle de Pascal, de tant d’autres, et qu’une heure transforme en l’assurance prodigieuse…


Quand ainsi la foi s’établit dans un esprit, elle y développe un zèle irrésistible. Convaincu d’abord dans sa sensibilité, M. Claudel laissa ce zèle s’emparer de son activité totale, et, « comme la phrase qui prend aux cuivres gagne les bois et progressivement envahit les profondeurs de l’orchestre, » il devint peu à peu l’instrument entièrement utilisé de sa croyance. Si chacun de nous doit agir pour le bien moral suivant ses moyens (comme nous avons des moyens divers de gagner notre vie), le poète a pour action la parole ; et son devoir, sa mission, son emploi sur la terre, est de proférer la vérité suivant la connaissance qu’il en a reçue. M. Claudel assigne au poète ce rôle éminent, et il ne s’y est pas dérobé. Aucune partie de son œuvre cependant ne cherche à démontrer ou à expliquer : il témoigne, et c’est tout. Il se porte garant. Il montre aux autres avec force qu’il possède une évidence, et que cette évidence est splendide, Sans doute cette apologétique en arrive à reposer entièrement sur une action personnelle, et c’est là peut-être sa faiblesse. Mais M. Claudel a montré dans toute son œuvre un esprit si étendu et si informé, et dans ses pages de philosophie un raisonnement si robuste et si strict qu’il faut bien lui reconnaître quelque autorité. Et je crois de plus que s’il a tant d’ascendant personnel sur les jeunes gens qui le lisent, c’est à cause des sources les plus sensibles et les plus instinctives de sa foi, et à cause de la forme que prend sa pensée religieuse, qui est l’exaltation. Enfin il faut reconnaître que ses pages ont cet accent ardent qui s’empare de l’esprit :


« Et moi, comme vous avez retiré Joseph de la citerne et Jérémie de la basse-fosse,

C’est ainsi que vous m’avez sauvé de la mort et que je m’écrie à mon tour,

Parce qu’il m’a été fait des choses grandes et que le Saint est son nom !

Vous avez mis dans mon cœur l’horreur de la mort, mon âme n’a point tolérance de la mort !

Savans, épicuriens, maîtres du noviciat de l’Enfer, praticiens de l’Introduction au Néant,

Brahmes, bonzes, philosophes, tes conseils, Egypte ! vos conseils,

Vos méthodes et vos démonstrations et votre discipline,

Rien ne me réconcilie, je suis vivant dans votre nuit abominable, je lève mes mains dans le désespoir, je lève les mains dans la transe et le transport de l’espérance sauvage et sourde I

Qui ne croit plus en Dieu, il ne croit plus en l’Etre et qui hait l’Etre, il hait sa propre existence. »


Il n’y a guère de sujets personnels que n’ait touché M. Paul Claudel, et ce n’est pas étonnant puisque le lyrisme vit de la vie de l’âme. Il y a dans les Odes les plus hautes pages qu’on ait écrites sur la paternité. « Maintenant il y a ceci de changé entre moi et les hommes, que je suis père de l’un d’entre eux. Celui-là ne hait point la vie qui l’a donnée, et il ne dira plus qu’il ne comprend pas ; » sur l’amour humain, sur la soif de Dieu.

Mais, jaillissant de ces sentimens éprouvés, et de leur excès même, la foi atteint le domaine spirituel, et là elle prend, tout naturellement et par sa simple ascension dans un esprit complet, la forme du mysticisme, de la poésie et de la métaphysique. Séparées ou mêlées, purement abstraites ou suggérées par les fêtes catholiques, par quelque faste de Dieu, ces trois formes de l’exaltation de la foi produisent une beauté qui est de l’ordre le plus haut. On voit bien quel tribut apporte le poète à cette foi, mais c’est un échange, et la foi à son tour est libérale au poète. Tous les vrais écrivains qui ont traité ces sujets ont prouvé de quel rayonnement leur littérature était embellie par un tel contact. Celui-ci, qui joue du « trésor indéfectible » de la nature avec une audacieuse aisance, et qui dispose des « grandes créatures célestes, » les étoiles et les mondes inconnus, comme de quelques fruits, ajoute à la liberté poétique l’atmosphère divine, cette adorable couleur du saphir qu’un jour Dante entrevit.

Vers le postulat métaphysique qui fait l’objet du livre Art poétique, Connaissance du Temps, je ne suivrai pas M. Claudel. Je pense qu’on n’a de clarté dans ce livre ardu que si on connaît préalablement la philosophie scolastique de saint Thomas d’Aquin sur laquelle il me paraît qu’il s’appuie. Mais je sais que, de ce livre et de ce qui en a passé dans les autres, il reste dans l’esprit cette figure admirable qu’il a tenté de susciter, d’un univers parfait et clos, d’un domaine « fini, » si immense soit-il, dont Dieu est le centre ; d’une géométrie en mouvement dans l’espace et dans la durée, à quoi la divinité sereine et juste communique son ineffable paix ; un monde, comme des théologiens l’ont vu, sans brèche ni lacune, le cycle ininterrompu des élémens que Dieu sait dénombrer et dont il attend vers lui à l’heure certaine le retour. Ainsi la vie de l’univers apparaît comme un délice inépuisable, et notre place dans son mouvement comme un chiffre parfait. Là est la contribution du poète au catholicisme : il en fait le centre de la joie. À l’immense révolte de la vie ne suffit pas une terne croyance. Mais la contemplation d’une beauté supérieure, et notre intime possession de cette beauté développent dans l’âme d’infinies ressources de contentement. Par là encore, l’œuvre de M. Claudel, dans ses pages les plus religieuses, n’irrite point un esprit incroyant ; car quelles défenses avons-nous contre l’attrait de la beauté et les propositions de la béatitude ?


M. Paul Claudel n’a probablement donné encore qu’une partie de l’œuvre qu’il peut faire. Dans quelle direction l’accomplira-t-il ? Il est assez possible de prévoir qu’il accentuera les deux tendances les plus fortes de son talent : que, d’une part, il se livrera au démon poétique le plus spéculatif, et que, d’autre part, instruit des moyens propres au théâtre par une première expérience, il écrira des drames de plus en plus proches de la réalité, et de plus en plus scéniques. En attendant, il faut souhaiter que quelqu’un de nos théâtres continue à jouer de temps à autre cette Annonce qui a déjà fait ses preuves, et monte ces pièces si curieuses et d’une si haute tenue qui s’appellent l’Otage, l’Échange, Tête d’Or et Partage de Midi.


E. SAINTE-MARIE PERRIN.

  1. Théâtre, 4 vol. au Mercure de France ; L’Otage, L’Annonce faite à Marie, Cinq grandes Odes, à la Librairie de la Nouvelle Revue française ; Connaissance de l’Est, au Mercure ; Partage de Midi, à L’Occident.
  2. L’Annonce faite à Marie, le dernier des drames de M. Claudel, a été représenté à Paris par le théâtre de l’Œuvre le 21 décembre 1912 et a reçu de la presse et du public un accueil très favorable, qui s’est renouvelé à Strasbourg et à Francfort où il fut récemment joué en français. Le théâtre des Champs-Elysées en a donné le 7 mai une nouvelle représentation, et tout récemment, au mois d’octobre, une adaptation allemande, mise à la scène avec les moyens nouveaux dont dispose le théâtre de Hellerau près de Dresde, obtint le plus vif succès.
  3. Il est curieux de comparer cette traduction avec celle du même drame faite par M. Mazon dans son Orestie. Celle-ci est avant tout d’un style souple et clair, très agréable à lire ; mais dans certains passages, comme celui de la transmission du feu sur les collines pour signaler la prise de Troie, M. Claudel reprend tout l’avantage, et la vigueur du mouvement ici a raison sur la limpidité.
  4. Ce sont ces cinq drames qui ont été réédités dans les quatre volumes du Théâtre indiqués plus haut.
  5. Odes aux Muses.
  6. Odes, quatrième ode.
  7. Partage de Midi.
  8. Connaissance de l’Est.
  9. La Ville.
  10. La Ville.
  11. Cinq grandes Odes : Magnificat.
  12. La Ville, p. 307.
  13. Deuxième Ode.
  14. Partage de Midi.
  15. (Le Roi rétabli sur son trône. Nous sommes en 1815.)
  16. Magnificat.