Paula Monti/II/XXIII

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Paulin (Tome 2p. 206-210).
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Troisième partie


CHAPITRE XXIII.

LE DOUBLE MEURTRE.


Iris, cachée dans le taillis, avait suivi Berthe et Arnold depuis le commencement de leur entretien jusqu’à leur entrée dans le chalet.

De grands massifs de buis et de houx dérobaient la bohémienne aux regards de ceux qu’elle épiait. C’était elle qui avait mis sur pied et fait bondir le chevreuil qui avait franchi l’allée devant Berthe. Après s’être approchée peu à peu du pavillon, Iris ferma la porte à double tour, et triomphante alla retrouver M. de Brévannes, qui l’attendait à une assez grande distance.

Si le hasard n’eût pas servi le détestable dessein d’Iris en réunissant Berthe et Arnold, elle se servait de la ruse qu’elle avait projetée en attirant la jeune femme dans le pavillon sous le prétexte de lui faire rencontrer Pierre Raimond.

M. de Brévannes était armé d’un fusil à deux coups et vêtu d’un costume de chasse ; le choix de son arme éloignait toute idée de préméditation, rien de plus naturel que sa conduite. En rentrant de la chasse, il surprenait chez lui sa femme et M. de Hansfeld, renfermés dans un pavillon écarté à la nuit tombante. Il les tuait.

Qui pourrait dire qu’il n’y avait rien de coupable dans leur entretien ?

Personne….

Qui pourrait dire que la porte était fermée en dehors ?

Personne….

Malgré sa résolution, M. de Brévannes frémit à la vue d’Iris.

Le moment décisif était venu.

La bohémienne dissimula sa joie féroce, et lui dit avec un accent de douleur profonde :

— Je les ai suivis à leur insu, ainsi que je faisais d’après vos ordres depuis leur arrivée ici. Ils se parlaient bas ; leurs lèvres se touchaient presque… Lui avait un bras passé autour de la taille de votre femme. Tout à l’heure ils sont entrés ainsi dans le chalet ; alors j’ai fermé la porte… et je suis venue…

M. de Brévannes ne répondit rien.

On entendit seulement le bruit sec des deux batteries de son fusil qu’il arma, et ses pas précipités qui bruirent sur les feuilles sèches dont l’allée était jonchée.

La nuit était sombre.

Il lui fallait environ un quart d’heure pour arriver au pavillon.

Nous devons dire qu’à ce moment cet homme était autant poussé au meurtre par les fureurs de la jalousie que par le calcul atroce et insensé de tuer M. de Hansfeld afin d’épouser ensuite sa veuve… Il croyait Berthe et le prince coupables.

En ce moment M. de Brévannes était ivre de rage ; le sang lui battait aux tempes.

Après une assez longue marche, il aperçut au bout de l’allée les faibles lueurs que jetait le feu allumé dans la cheminée du chalet à travers la fenêtre treillagée de plomb.

Il hâta le pas.

La pluie et le givre tombaient à torrents.

À mesure qu’il approchait du pavillon, il se sentait tour à tour baigné d’une sueur froide ou brûlant de tous les feux de la fièvre.

Enfin… il arriva, marchant légèrement et avec précaution : il approcha l’œil des carreaux verdâtres.

À la lueur expirante du foyer, il reconnut l’espèce de manteau blanc à capuchon que Berthe portait ordinairement.

Assise sur un divan, la jeune femme lui tournait le dos ; elle appuyait ses lèvres sur le front d’un homme agenouillé à ses pieds qui l’entourait de ses deux bras.

Par un mouvement plus rapide que la pensée, M. de Brévannes ouvrit la porte, entra, appuya le canon de son fusil entre les deux épaules de sa victime et tira.

Elle tomba sans pousser un cri sur l’épaule de celui qui la tenait embrassée.

— Maintenant à vous, beau prince, coup double !… — s’écria M. de Brévannes en dirigeant le canon de son fusil sur le crâne de l’homme qui tâchait de se relever.

Au moment où il allait tirer, la porte de la seconde chambre du chalet s’ouvrit violemment derrière lui.

Quelqu’un qu’il ne voyait pas lui saisit le bras, détourna le fusil et l’empêcha de commettre un second crime. M. de Brévannes se retourna et vit… M. de Hansfeld !

À ce moment, l’homme agenouillé devant la femme se releva, se précipita sur M. de Brévannes en criant :

— Assassin !

— M. de Morville ! — s’écria M. de Brévannes en reconnaissant ce dernier à la lueur d’un jet de flammes.

— Tu as tué madame de Hansfeld, assassin ! — répéta M. de Morville.

M. de Brévannes recula d’un pas, tenant toujours son fusil à la main ; ses cheveux se dressaient de terreur. Il se précipita vers la femme dont le corps avait glissé à terre, mais dont la tête reposait sur le sofa…

Il reconnut Paula.

En s’apercevant de cette sanglante méprise, qui le rendait coupable d’un assassinat que rien ne pouvait excuser, en trouvant M. de Morville auprès de la femme dont il se croyait passionnément aimé, un vertige furieux saisit M. de Brévannes ; il poussa un éclat de rire féroce et disparut.

Le prince, M. de Morville, bouleversés par cette scène horrible, ne s’opposèrent pas à son départ.

Quelques secondes après, on entendit une détonation.

M. de Brévannes venait de se tuer.