Pausanias, Béotie-1, chapitre XXI

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Traduction par M. Clavier.
J.-M. Eberhart (5p. 120-127).

CHAPITRE XXI.


Tritons. Taureaux éthiopiens. Alcé. Martiora ou Androphage. Serpents ailés.

J'AI vu parmi les curiosités de Rome un autre Triton, qui n'est pas aussi grand que celui des Tanagréens. Ces Tritons ont la forme suivante : ils ont sur la tête une chevelure semblable à l'ache des marais, tant par la couleur que parce que vous ne sépareriez pas facilement un cheveu de l'autre. Le reste du corps est couvert d'écailles minces et rudes comme une lime. Ils ont des branchies au-dessous des oreilles, un nez d'homme, mais la bouche beaucoup plus large, avec des dents de bêtes féroces ; leurs yeux sont verts de mer, à ce qu'il me semble; ils ont des mains, des doigts et des ongles qui ressemblent à l'écaille supérieure des huîtres ; sous la poitrine et sous le ventre; au lieu de pieds, sont des nageoires pareilles à celles des dauphins.

J'ai vu aussi de ces taureaux d'Ethiopie, qu'on nomme rhinocéros à cause de leur forme ; ils ont en effet chacun une corne à l'extrémité du nez, et une autre plus petite au-dessus; ils n'en ont point du tout sur ta tête. J'ai vu des taureaux de la Péonie, qui sont velus par tout le corps, mais principalement autour de la poitrine et au menton ; j'ai vu aussi des chameaux indiens dont la peau ressemble, pour la couleur, à celle de la panthère.

Il y a un animal sauvage, nommé Alcé, qui tient le milieu, pour la forme, entre le chameau et le cerf ; on le trouve dans le pays des Gaulois, et il est le seul, des animaux que nous connaissons, qu'on ne puisse ni découvrir à la vue, ni suivre à la trace ; on dit en effet, qu'il évente les hommes de très loin, et va se cacher dans les ravins ou dans les cavernes les plus profondes ; mais le hasard le livre quelquefois à ceux qui vont à la chasse d'autres animaux, et voici comment. Ces chasseurs environnent une plaine de mille stades au moins, ou une montagne, et, se rapprochant ensuite sans rompre leur cercle, ils prennent tout ce qui se trouve dans l'intérieur, et même des Alcés, si quelqu'une se trouve avoir là son repaire ; il n'y a point d'autre moyen de les prendre.

Quant à l'animal dont parle Ctésias dans son livre sur les Indes, que les Indiens nomment Martiora, et les Grec, Androphage, je suis persuadé que c'est le tigre. Ils disent qu'il a trois rangs de dents à chaque mâchoire, qu'au bout de la queue sont des aiguillons dont il se sert pour se défendre contre ceux qui l'approchent, et qu'il lance aussi loin que ceux qui tirent des flèches; mais j'attribue à la frayeur qu'inspire aux Indiens cet animal, les idées fausses qu'ils se transmettent les uns aux autres.

Ils se sont aussi trompés sur la couleur, soit parce que le tigre, lorsqu'on le voit au soleil, paraît rouge et d'une seule couleur, soit parce qu'il court très vite ; ou bien parce que, lors même qu'il ne court pas, il est toujours en mouvement, et que d'ailleurs, on ne le voit jamais de près. Je pense que si quelqu'un visitait les endroits les plus reculés de la Libye, de l'Inde ou de l'Arabie, pour y chercher toutes les bêtes féroces qu'on voit chez les Grecs, il en est qu'il n'y trouverait pas du tout; il en est d'autre aussi qui ne lui paraîtraient pas de la même forme.

Les hommes ne sont pas en effet les seuls qui changent de figure suivant les différents pays et les différents climats ; il en est de même et des autres animaux. Les aspics, par exemple, sont de la même couleur dans la Libye que dans l'Égypte, tandis que dans l'Ethiopie, ils sont noirs comme les hommes. C'est pourquoi il ne faut être trop prompt ni à croire, ni à rejeter tout ce qui est extraordinaire. Quoique je n'aie point vu de serpents ailés, je crois cependant qu'il peut y en avoir, un Phrygien ayant apporté dans l'Ionie un scorpion qui avait des ailes tout à fait semblables à celles d'une sauterelle.