Pauvres fleurs/À M. de Peyronnet

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Pauvres fleursDumont éditeur Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 131-138).



À M. DE PEYRONNET,
PRISONNIER,
Sur son œuvre : De La Femme dans l’adversité.


Quoi ! c’est d’une prison que sort cette lumière !
Incline-toi, mon âme, au pied de ce flambeau :
C’est la religion qui soulève un tombeau ;
C’est l’attente qui veille au fond de sa prière.

Nuls verroux entre l’homme et Dieu. Le prisonnier
Sait que la voix s’envole où la dirige l’âme ;
Le fer ne pèse pas sur des ailes de flamme ;
L’oiseau, près de la nue échappe au braconnier.


Qu’elle soit d’aigle ou de colombe,
Dieu prend l’âme échappée aux filets de la tombe,
Et sur son cœur de père, inondé de clarté,
Il dilate ce souffle un moment arrêté.

Un jour il verse aux rois, sous quelque blanche hostie,
Et le dégoût du sang et la soif d’être aimé ;
Puis, dans un songe assis sur leur cœur désarmé,
Des voix d’enfant criant : Amnistie ! amnistie !
Puis, s’il s’éveille au cri qui vient de l’étonner,
Ce cœur de roi, chargé d’une lourde couronne,
Tremblant sous les grandeurs dont l’effroi l’environne
Se protège une fois du droit de pardonner !

Mais d’où vient qu’un captif assiége ma pensée ?
D’où vient que de son nom je me sens oppressée ?
Ah ! c’est qu’il est captif ! c’est qu’il a dans les fers,
Le courage sans bruit et la douceur profonde,
Que voilait trop d’éclat quand il était du monde ;
Ah ! c’est qu’il a grandi des maux qu’il a soufferts !

Dieu les pèse ; moi je les pleure,
Dans son destin désert j’écoute tomber l’heure ;
Je regarde le mur qui borne son regard,
Où d’un rayon du jour s’est glissé le hasard ;
Le hasard ! est-ce là le nom froid qu’il lui donne :
Oh ! non ! c’est l’œil de Dieu qui dans sa nuit rayonne,
Qui pompe jusqu’au fond de cet homme enfermé,
Une larme invisible où l’espoir a germé :
Partout l’espoir où Dieu sent trembler une larme ;
Le tocsin le suspend à son sanglot d’alarme,
Et le banni fuyant escorté par la faim,
L’emporte infatigable aux longueurs du chemin.

Moi qui gravis mon sort sans charger ma mémoire,
Des noms dorés, perdus dans le vent de la gloire,
Insoucieuse au bruit des trônes et des rois,
Qui dans mes jours flottans roulent vides et froids,
Je me laisse entraîner où l’on entend des chaînes ;
Je juge avec mes pleurs, j’absous avec mes peines ;
J’élève mon cœur veuf au Dieu des malheureux ;
C’est mon seul droit au ciel et j’y frappe pour eux !


Je sais que c’est si triste un père
Pleurant ses fils absens ou morts ;
Si long tout ce que l’on espère
Quand l’attente, ardente vipère,
Suce l’âme comme un remords !

Que le soleil se cache ou brille,
Jamais il ne voit le soleil,
Toucher le beau front de sa fille,
Comme une fleur sous une grille,
Que colore un rayon vermeil.

Quatre portraits sont là dans l’ombre,
Comme les étoiles aux nuits ;
La mort en a rompu le nombre ;
Mais ils fixent sous le toit sombre,
Leurs yeux d’ange sur ses ennuis.

Celle-là s’appelait Colombe,
Fidèle à son père en prison.
Si de crainte qu’il n’y succombe,
La jeune ombre a forcé sa tombe,
A-t-elle changé de maison !


Ces enfans autour de ses larmes
Que nul homme n’a vu couler,
Disent : « Vos patientes armes,
Vos ennuis saturés de charmes,
Mon père ! il faut les révéler

Ce récit comblera l’espace,
Entre le prix et les douleurs.
Ce qui fut vrai jamais ne passe
Et de ce bronze, ami du Tasse[1],
Retrempez l’encre avec vos pleurs. »

Mais quand des pieds d’airain l’arrêtent dans la vie,
Qu’il doit la trouver lente ! et que souvent l’envie
Doit prendre à ce liseur d’un si morne univers,
De fermer tout à coup ses poèmes amers !

Pourtant, docile aux cris de ses jeunes cigales,
Écho trois fois profond de leurs voix inégales,

Comme l’orgue frappé par un accord plaintif,
Le prolonge et l’emporte à quelque ange attentif,
Il a prié pour tous ! Incline-toi, mon âme,
Devant l’hymne qui passe au toit d’une humble femme,
Tombé pur et sans faste à mes foyers déserts,
Pour me parler du ciel au fond de mes revers !

Que je voudrais le voir marcher libre et sans garde !
Que je voudrais dorer le point noir qu’il regarde,
L’avenir ! mais on dit qu’aux murs sans horizon,
Las, bien las d’évoquer les voix vides du monde,
On entend tout à coup comme une paix profonde,
Au silence d’une prison :
Qu’un seul juge y descend ; qu’il y voit les pensées,
Au fond des cœurs pressées,
Comme on voit d’un ruisseau,
Flotter les fleurs dans l’eau !
Que son souffle jamais n’y soulève d’orages ;
Qu’il rallume une étoile à la nuit des naufrages ;
Qu’il ramène tout l’homme à son berceau des cieux ;
Que son regard surmonte une égarante flamme,

Et lui fait oublier les yeux,
Tous les yeux sans pitié qui jugèrent son âme.

Prisonnier ! ne va pas te lasser : Dieu t’attend ;
Chaque fibre qui souffre à la terre, il l’entend !

  1. L’écritoire du Tasse, qui fut donné à M. de Peyronnet, dans sa captivité.