Pauvres fleurs/Au revoir

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Pauvres fleursDumont éditeur Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 113-117).



AU REVOIR.


Vous ne me voulez plus… Qu’ils en cherchent la cause ;
Je ne chercherai pas ; vous ne me voulez plus.
Ainsi des doux romans effeuillés ; ils sont lus ;
Vous avez cru me lire, et cette page est close.

Pourtant, je l’ai marquée avec un signet noir,
Cette page éternelle où s’arrête ma vie ;
La vôtre, quelque jour, de mémoire suivie,
Tressaillera d’un mot qui s’y cache : au revoir !


Mot sans faste ; mot vrai ; lien de l’âme à l’âme ;
Rappelant tôt ou tard l’homme où pleure la femme.
Avec étonnement vous vous en souviendrez,
Et sans l’avoir prévu ni su, vous reviendrez !

Et ce ne seront plus les parfums de la terre ;
Les aveux échangés dans un tremblant mystère ;
Les sermens… Tu vois bien ce qu’ils sont, les sermens :
Je ne t’en ai point fait dans nos enchantemens.
Non ; ce ne sera plus ce rêve à deux ; le même !
Qui fait vivre ; qui vit d’un mot, d’un seul : on m’aime !
Ni les bouquets perdus, broyés sous tes genoux,
Attiédis du bonheur qui s’étendait sur nous ;
Ni ces heures sans nom dans le temps balancées,
Dont les ailes pliaient d’un tel bonheur lassées,
Alors que je laissais pour unique entretien,
Mon regard ébloui s’abriter sous le tien ;
Cherchant, ne trouvant pas les mots de mes pensées,
Pour te les faire voir, lorsqu’en moi trop pressées,
Elles voulaient passer de mon cœur à ton cœur,
Et fondre dans tes yeux quelque doute rêveur.


Toi, ton doux cri, pardon ! qui brisait ma colère,
À qui le diras-tu : qu’il sache tant lui plaire ?
Une autre, une autre, et puis une autre l’entendra ;
Mais sur des cœurs fermés ce vain cri frappera.

N’en cherche plus l’écho, c’est moi qui le recèle ;
Moi je t’aimai sans borne et de tous les amours !
Le seul que tu poursuis est le seul qui chancèle ;
Celui-là dit demain : les miens disent : toujours !

Mais attenter une heure à ton indépendance ;
Mais te créer l’effroi de ma fidélité ;
Acheter de la vie avec ta liberté ;
Demander des égards pour payer ma constance !…
Ils rêvent. Toi je t’aime : oh ! tu n’en eus jamais ;
Jamais d’un baiser faux tu ne compris l’outrage ;
Quand tu serrais ma main dans tes mains, tu m’aimais :
Et puis ce fut la mort… merci de ton courage.
Vois ! j’en ai : vois ! je dis : « Nous ne nous aimons plus ;
Ainsi des doux romans effeuillés ; ils sont lus. »


Moi, je mens ! au revoir après ce rêve étrange,
Que tu rêveras, toi, sous l’aile d’un autre ange.
De ce qui fut à nous emporte le bonheur ;
Je n’en avais besoin que quand j’avais un cœur ;
C’est là que je souffrais ; c’est là que je suis morte.
Va, nos songes vivans te serviront d’escorte…
Ces doux songes appris à travers tant d’espoir,
Ce n’est donc jamais vrai pour ce monde ! au revoir !

Tu viendras ! ce soir-là ce sera le silence ;
D’un passé mal éteint la vague ressemblance ;
Ce qu’on a ressenti d’amer et de profond,
Au jardin dévasté qui versa de l’ombrage,
Sur les jours haletans et doux du premier âge,
Jours fiévreux, pleins de bruits, que nuls bruits ne défont !

Viens, ce sera l’amour sans ses funestes charmes ;
L’amour qui ne meurt pas, si l’amour vit de larmes ;
Et mes cheveux défaits, changés, sans nœuds, sans fleurs,
Tressailleront encor d’avenir sous tes pleurs…


Tu viendras, tu verras ! nous pleurerons ensemble ;
C’est là le sort de tout ce que le temps rassemble ;
Comme l’ombre de nous, tu me regarderas,
Tu verras mieux mon âme ; alors tu pleureras !

Ma plus profonde vie, hélas ! que Dieu te garde ;
À travers mon regard que le ciel te regarde,
Comme tu regardais à travers mes cheveux,
Que je laissais déjà retomber sur mes yeux !

À deux pas de mes jours que le sort vous entraîne ;
L’invisible au revoir dans mon sort vous ramène ;
Allez ! midi n’est pas l’heure du souvenir ;
Cette heure sur vos pas vous fera revenir :
Chacun a ses douleurs et vous aurez les vôtres,
Et vous direz mon nom en cherchant dans les autres,
S’il en est un qui reste aux jours abandonnés ;
Oh ! ce sera le mien qui répondra : venez !