Pauvres fleurs/Le Rêve du Mousse

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Pauvres fleursDumont éditeur Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 227-230).



LE RÊVE DU MOUSSE.



Un homme à la mer !
Un homme à la mer !
      Marine. —


Dans le port de Marseille,
Un courageux enfant,
Comme une humide abeille,
Fut poussé par le vent.
Tombé de la tartane,
Qui s’envole sans lui,
Il frappe à sa cabane,
Dont l’humble phare a lui ;

— « Qui m’éveille à telle heure ? »
Dit la vieille, qui pleure
Son mousse, errant sur l’eau :
— C’est moi ! moi, ma mère !… Oh !
Que le réveil est beau !

L’air était froid, ma mère ;
Oh ! comme il était froid !
La brise était amère,
Sur la flotte du roi ;
Mais au fond de mon âme,
Dans des flots de soleil,
Marseille aux yeux de flamme,
Réchauffait mon sommeil :
Lorsqu’une blanche fée,
De vos voiles coiffée,
M’appelle au fond de l’eau…
Mais, bon jour, ma mère ! Oh !
Que mon rêve était beau !

« Viens ! m’a dit votre image ;
L’eau seule est entre nous ;

Trop vite, ton jeune âge
A quitté mes genoux.
Viens ! que je berce encore
Tes rêves de printemps ;
Les flots en font éclore,
Qui nous calment long-temps ! »
Et mon âme étonnée,
Se réveille entraînée
Par les baisers de l’eau…
Mais, bon jour, ma mère ! Oh !
Que mon rêve était beau !

La flotte aux grandes ombres
En silence glissa ;
Avec ses ailes sombres,
Mon vaisseau s’effaça :
Sous sa lampe pieuse,
Sans cesser de courir,
La lune curieuse,
Me regardait mourir :
Je n’avais pas de plainte ;

Trois fois ma force éteinte
S’évanouit dans l’eau…
Mais, bon jour, ma mère ! Oh !
Que mon rêve était beau !

C’en était fait du mousse,
Mère ! sans votre voix ;
Sa clameur forte et douce,
Me réveilla trois fois :
Sous les vagues profondes,
En vain nageait la mort ;
Vos doux bras sur les ondes,
Me poussaient vers le port ;
Et votre âme en prière,
Semait une lumière
Entre le ciel et l’eau…
C’est moi ! moi, ma mère ! Oh !
Que le réveil est beau !