Pauvres fleurs/Les Roseaux

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Pauvres fleursDumont éditeur Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 213-216).



LES ROSEAUX.
À ma Sœur.


Deux roseaux, dans les airs entrelaçaient leurs jours
Et leurs nuits ; ils pliaient, ils balançaient leur tête
Ensemble ; agenouillés aux pieds de la tempête,
Ils ne se faisaient qu’un pour être à deux toujours !

L’amitié n’eut jamais de plus étroite chaîne
Au monde ; on n’a rien vu de mieux uni jamais ;
On eût dit qu’ils s’aimaient jusqu’à manquer d’haleine ;
Je ne les plaignais pas d’être roseaux, j’aimais !


Et de ce frais hymen montait une harmonie,
Qui parlait ! qui chantait ! triste, intime, infinie,
Quand leur sort haletant demandait au soleil,
De leur donner un jour, encore un jour vermeil !

Sitôt qu’apparaissaient l’aube et sa sœur l’aurore :
« Quel bonheur ! disait l’un, je vois le ciel encore,
Je vous vois ! » L’autre aussi répondait : « Quel bonheur !
Mais j’étais bien pourtant, j’étais sur votre cœur ! »

Le vieux chêne au cœur dur, vert géant du rivage,
De son calme escarpé souriait de les voir :
On ne peut contempler l’amour sans s’émouvoir,
Et tout célibataire a rêvé d’esclavage
De cette molle étreinte où tremblaient les roseaux,
Battus des mêmes vents, lavés des mêmes eaux.
Souvent d’un rossignol la nocturne prière
Descendait se mouiller dans leurs frissons charmans ;
Souvent, quelque âme veuve y pleura la dernière,
Avant de s’envoler où vont les vrais amans.


Hélas ! il est des traits d’innocence naïve
Qui font pleurer le cœur, et je crois que c’est Dieu,
Dont la main les répand comme une source vive,
Pour nous dire, aimez-moi ! je le lis en tout lieu !

Un homme passe : adieu l’union solitaire,
Adieu la pauvre amour, doux ciment de la terre !
L’homme passe et dans l’air veut souffler une voix ;
L’homme est triste ; un roseau va gémir sous ses doigts.

Leurs nœuds entrelacés dans l’eau se déchirèrent :
Du roseau qui s’en va les racines pleurèrent.
Enhardi de frayeur, l’autre voulut courir ;
Il tomba : tomber seul, c’est tomber pour mourir !