Paysages, poésies
PAYSAGES.
Je suis bien loin de vous, mère, — à Jérusalem !
À deux pas du Calvaire, — à quatre de Bethlem.
Ah ! les fils ! — n’est-ce pas ? — quelle race maudite !
Les avoir tant choyés et les perdre si vite !
Les ingrats, ils s’en vont, sans souci de vos pleurs.
Et s’ils paient votre amour, c’est avec des douleurs.
Depuis que ce pays, où germaient les miracles.
Étonne mes regards de ses mornes spectacles,
J’ai senti bien souvent, plein d’un pieux émoi.
Mes souvenirs d’enfant se réveiller en moi.
Je retourne à ce temps, de paisible mémoire,
Où de l’enfant Jésus vous m’appreniez l’histoire.
Où pas une ombre encor ne flottait entre nous.
Où Dieu seul partageait mon amour avec vous.
Les yeux déjà tournés vers l’avenir immense.
Vous jetiez dans mon âme une austère semence.
Parmi ces grains tombés de votre chère main.
Beaucoup sont demeurés aux buissons du chemin.
Combien je suis changé, ma mère, et quel ravage
Chaque année en passant a fait dans votre ouvrage !
Comme on compte en pleurant les amis qui sont morts.
Je compte mes vertus et mes grâces d’alors.
Quand je marche à travers ces abruptes vallées,
D’arbres et d’habitans à jamais dépeuplées.
Où rien ne rit à l’œil, si ce n’est le ciel bleu,
Où tout raconte encor la colère de Dieu,
Où tout parle de mort, de sang et de supplices,
Je sens saigner en moi d’anciennes cicatrices.
Tous mes amis perdus, tous mes amours brisés.
Mes rêves, mes espoirs au hasard dispersés,
Cortège triste et long de visions funèbres.
Pour passer devant moi, s’échappent des ténèbres.
Et quand ces souvenirs me viennent accabler,
Ô foi, ce n’est pas toi qui peux me consoler !
Je cherchais une amie, et je rencontre un Juge :
C’est au sein maternel que je trouve un refuge.
Votre indulgence à vous ne se lasse jamais ;
Mères, vous n’avez pas d’enfer pour les mauvais.
Et rien ne tarira ces sources éternelles :
L’amour dans votre cœur, le fait dans vos mamelles !
Aussi c’est à Bethlem qu’est ma dévotion.
Je vais m’y reposer de la triste Sion.
Ici, c’est le tombeau, la ville désolée ;
Une plaine déserte, une aride vallée ;
Un rocher que le Christ a marqué de son sang ;
Une église, un tombeau d’où le mort est absent ; Quelques Juifs inquiets, dans une humble attitude,
Des bazars délaissés troublant la solitude :
Voilà Jérusalem pendant dix mois de l’an.
Que j’aime mieux Bethlem, le beau village blanc !
Il est caché là-bas, derrière les collines.
Avec ses pâtres bruns armés de javelines,
Ses tableaux ciselés, ses naïfs ouvriers.
Ses champs de seigle et d’orge entourés d’oliviers.
Ses femmes dont la robe à longue draperie
Ressemble au vêtement de la vierge Marie.
Et déjà mon cheval en connaît le chemin.
Là je vois mieux Jésus sous son visage humain :
C’est l’enfant pauvre et nu ; c’est la touchante image
Du pasteur à genoux à côté du roi mage ;
C’est la Vierge surtout, veillant sur ce berceau
D’où va tantôt sortir tout un monde nouveau.
L’étoile du matin et la rose mystique,
Comme vous l’appelez, je crois, dans le cantique.
La mère des douleurs, — c’est son nom le plus doux,
Elle est là, souriante, et me parle de vous ;
Car, des sages leçons faites à mon enfance.
Il m’en est demeuré, mère, plus qu’on ne pense,
Le meilleur m’est resté de ce riche trésor.
Et tout n’est pas perdu si je vous aime encor !
Vous, le soir, en priant, vous songez, ô ma mère !
À votre enfant parti pour la terre étrangère ;
Vous le rêviez pieux et fidèle au foyer ;
L’oiseau s’est envolé loin du toit familier.
Inquiète toujours, de nouvelles avide,
Vous errez tristement dans votre maison vide.
La nuit, les songes noirs vous visitent souvent ;
Vous redoutez la mer, les caprices du vent,
Le simoun meurtrier, le désert sans limite ;
Vous voyez votre fils sans amis et sans gîte,
Et vous invoquez Dieu pour le cher voyageur
Qui trompa tant de fois l’espoir de votre cœur.
Non, mère. La fortune est avec la jeunesse ;
Elle garde ses coups à l’austère sagesse,
Et je porte avec moi la robuste santé
Des oiseaux du bon Dieu qui vont en liberté.
Du gîte et du repas vous êtes inquiète ?
— Quand le repas est mince, eh bien ! je fais diète,
Et je dors mieux le soir lorsque j’ai bien marché.
Il faut porter gaîment le mal qu’on a cherché.
Ah ! ce pays n’est pas le pays de Cocagne ;
Mais votre souvenir est là qui m’accompagne.
LA FERME À MIDI.
Il est midi… La ferme a l’air d’être endormie ;
Le hangar aux bouviers prête son ombre amie.
Là, profitant de l’heure accordée au repos,
Bergers et laboureurs sont couchés sur le dos,
Et, près de retourner à leurs rudes ouvrages,
Dans un calme sommeil réparent leurs courages.
Autour d’eux sont épars les fourches, les râteaux,
La charrette allongée et les lourds tombereaux.
Par une porte ouverte, ou voit l’étable pleine
Des bœufs et des chevaux revenus de la plaine ;
Ils prennent leur repas ; on les entend de loin
Tirer du râtelier la luzerne et le foin ;
Fouette à coups redoublés les mouches qui les blessent.
À quelques pas plus loin, un poulain familier
Frotte son poil bourru le long d’un vieux pailler,
Et des chèvres, debout contre une claire-voie,
Montrent leurs fronts cornus et leur barbe de soie.
Les poules, hérissant leur dos bariolé,
Grattent le sol, cherchant quelque graine de blé ;
Tout est en paix, le chien même dort sous un arbre,
Sur la terre étendu comme un griffon de marbre.
Au seuil de la maison, assise sur un banc,
Entre ses doigts légers tournant son fuseau blanc,
Le pied sur l’escabeau, la ménagère file,
Surveillant du regard cette scène tranquille.
Seul, perché sur un toit, un poulet étourdi
Croit encor au matin et chante en plein midi.
Par-delà l’horizon heureux de cette ferme,
Un orage pourtant déjà se montre en germe.
Il est encore loin, ce n’est rien qu’un point noir ;
En montant sur ce mur, on peut l’apercevoir.
Le nuage s’avance au souffle de la bise,
Il porte sur son flanc comme une tache grise…
C’est la grêle ! — Elle est là, sur le pays voisin,
Écrasant sans pitié le seigle et le raisin.
Rien ne trouble pourtant votre repos robuste,
Laboureurs endormis dans le sommeil du juste !
Vous dormez, confians en la bonté de Dieu,
Heureux d’être abrités sous ce pan de ciel bleu.
On vous a vus dormir de ce sommeil tranquille
Quand sonnait le tocsin de la guerre civile,
Alors qu’on entendait, de vos hameaux fleuris,
Le tonnerre lointain du canon dans Paris.
Laboureurs obstinés, semeurs que rien n’effraie, Cicatrisant toujours quelque nouvelle plaie,
Réparant les dégâts faits par l’homme ou le ciel,
Vous travaillez au blé comme l’abeille au miel.
Que le tonnerre gronde au ciel ou dans les rues,
Chaque jour vous revoit, penchés sur vos charrues, Confier aux sillons le pain des nations,
Indifférens au bruit des révolutions !