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Paysages introspectifs/Gouache

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Paysages introspectifsHenri Jouve (p. 51-53).

GOUACHE

À Jehan Chaurand.

Mai, dans ses premiers jours, a des tristesses moites
De parturition laborieuse et lente ;
Accouchée en sueur et qui s’impatiente
Des soins méticuleux et des mains maladroites.


Oh ! ces matins brouillés de nuages opaques !
Ces parfums défraîchis du lilas blanc posthume !
Ces relents capiteux de la terre qui fume !
Cet air universel de troubles cardiaques !


La flagellation des murs par la bruine,
Et la goutte qui zèbre en argentine flamme
Les vitres des maisons, répandent sur mon âme
L’influence mouillée et sourde d’une ruine.



L’esprit rêve à des fjords embrumés de légendes,
Et le cœur à des spleens errants sur la Tamise :
Clair-obscur qui vacille et qui s’anatomise ;
Farfadets trébuchant sous des colliers de glandes.


Car tout dans cette atmosphère déconfortée
Prend le regard voilé de choses qui décèdent ;
L’on croit ouïr des voix d’agonisants qui plaident
Les instances de notre espérance avortée.


Ô jours désenchanteurs, où l’être s’influence
De nos sensations éparses et lointaines,
Pour saisir des évocations de mitaines
Et des gestes d’amis dissous dans l’ambiance !


Souvenirs fugitifs d’heures qu’on s’ingénie
À fixer dans la brume et dans notre âme enclose !
Ah ! si l’on était sûr de la Métempsycose !
Si l’on croyait encore aux soirs d’Épiphanie !



Si les absents trouvaient le moyen de revivre !…
Mais leurs visages ont l’air d’une mort civile
Et font signe que non. Le glas pleut sur la ville
Et l’ange a délaissé sa trompette de cuivre…


…Mais, comme si nos pleurs avaient semé la nue,
Et fait croître soudain une blonde gerbée,
Une glane d’épis de soleils est tombée
Sur notre âme et l’illusion est revenue.


C’est l’ondoiement des fleurs après les relevailles ;
Un baptême joyeux de clochettes frangées ;
Un blond démaillotage et l’envol des dragées,
À travers les ormeaux, en perles de rocailles.


C’est dans notre rappel des candeurs d’enfants mièvres ;
Aux cadres désertés on revoit des ovales ;
L’on sent comme un parfum embaumé de rivales,
Et sur son cœur meurtri des pansements de lèvres.