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Paysages introspectifs/Les trois chansons

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LES TROIS CHANSONS

À Louis Mathieu.

I

Frère, au bord de la source empreinte du reflet
De nos rires pendus aux lianes des saules,
Notre enfance a taillé dans l’osier un sifflet.


Et le manteau léger roulé sur nos épaules,
En l’ébat des matins notre bouche soufflait
Des unissons stridents ou des trilles très drôles.


Et les papillons d’or et de chrysobérils
Ont identifié leurs clignotements d’ailes
Au dessin merveilleux des songes puérils.

II

Puis le soleil a bu les pleurs des asphodèles,
Et nous avons cambré nos membres plus virils
Au rythme cadencé des chalumeaux fidèles.

L’ombre épaisse tombait des platanes feuillés,
Ainsi que des tabis ondés en longues aunes,
Et nos doigts ont ouvert des sons presque mouillés.

Alors les monts, les bois, les prés, les moissons jaunes
Ont renvoyé le charme étrange de nos chants,
Et l’on croyait entendre au loin courir les faunes.

III

Plus tard, pâles d’avoir trop fixé les couchants,
Au bord de Thalatta qui pleure et qui moutonne,
Nos désirs choisiront des modes plus touchants.

Dans le soir bien-aimé de ce dernier automne,
Au murmure discret de nos psaltérions,
La grève mêlera sa plainte monotone.


Nous charmerons encor, très obscurs Arions,
Les Dauphins dont la croupe apparaîtra sur l’onde,
Berçant nos vers jusqu’à ce que nous en mourions.

Le visage tourné vers l’Océan qui gronde,
Nous dormirons, du poids de la chair affranchis,
Et Thétis rentrera dans sa grotte profonde.

Ô Séléné, déesse pâle, réfléchis
Sur les rayons de ta lumière scarlatine,
Le geste ossifié de nos membres blanchis !

Fais que l’insecte ailé de l’Hymette butine
Notre rictus atone et qu’elle ait raffiné
Quelque gâteau de miel dedans notre rétine !

Jusqu’à ce que le cor de l’ange forcené
Éclate entre les fûts des célestes portiques ;
Alors nous entrerons chez le Verbe incarné,

Et ce sera le grand Cantique des Cantiques.