Paysages introspectifs/Regrets

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Paysages introspectifsHenri Jouve (p. 45-46).

REGRETS

Oh ! qu’elle est là-bas !
Jules Laforgue.

Tu vis comme autrefois, ô tourment de ma chair,
Au bord de ma mémoire, et ton visage clair
Effleure encor ma lèvre au cristal des fontaines !

Ton geste familier m’apparaît à travers
L’embrun de mon exil d’enfant, où tu conquiers
Le méplat incertain des aurores lointaines.

Mais l’automne a mûri les raisins du verger,
Tu ne reviendras plus, ô Psyché, vendanger
La grappe fraternelle où mordaient nos deux bouches.

Le faune du bassin garde son air moqueur,
Et j’écoute parfois son rire dans mon cœur ;
Mais l’orage a cassé le fifre qu’il embouche.


Tu m’as cherché longtemps près des magnolias
Fleuris de blanc, où certain soir tu délias
La gerbe d’or de tes cheveux sur mes épaules.

Mais ton âme est tout autre et mon rêve a changé,
Tu ne comprendras plus mes larmes d’affligé ;
Je n’irai plus te voir baigner le long des saules.

Hélas, les jours ont fait notre esprit impuissant
A renouer les fils de cet amour naissant
Que le destin tissait d’après nos espérances.

Et nous voici réduits à regarder neiger
Nos flocons de bonheur semés dans l’air léger,
Selon la floraison des frêles remembrances…