Peintures (Segalen)/Peintures dynastiques/Impuissance de T’ang

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Georges Crès et Cie (p. 186-189).


IMPUISSANCE DE T’ANG

Ces couleurs fades et ces lignes tremblées… Les gestes authentiques du Souverain n’ont pas permis de les donner plus vives et précises, — ni ses yeux, un peu fatigués. Le Peintre s’était posé d’abord d’illustrer les « Nobles supplices impériaux ». Mais Wen-tsong aussitôt y apporta des accommodements. Et tout ainsi ! Voilà donc des personnages bien hésitants sur ce qu’ils auraient dû faire dans l’histoire.

Elle est cependant méritée la mort de ce Ministre Wang-Ya, persécuteur des eunuques : on le scie par le milieu du corps, en plein marché, au pied d’un mât, — rapidement, et sans souffrances inutiles, car l’Empereur n’a pas ordonné qu’il souffrît longtemps. Plus bas, la famille rassemble les tronçons et les ensevelit : car l’Empereur n’a pas dit qu’ils fussent privés de sépulture. Plus loin : les eunuques ouvrent le tombeau et jettent les os à la rivière : car l’Empereur n’a point édicté des funérailles.

Suivez maintenant ces émissaires : ils pourchassent de très jeunes enfants, les prenant ou les achetant, et les emmènent. On les nourrira de beaucoup de viandes et de graisses, afin d’en extraire pour l’Empereur de beaux foies pleins de sang et des cœurs vifs pleins d’air fort dont on fera son remède. — Mais, tout auprès, voilà les émissaires désapprouvés : L’Empereur a-t-il jamais voulu telle médecine ? Il renie et condamne ses mandataires. C’est d’eux-mêmes dont les rates et les fiels deviennent indispensables pour embaumer ses remords.

Voilà maintenant qu’il joue au Conquérant violeur de villes ! Il fait donc dépouiller et lier, comme offertes à lui, dix jeunes filles qu’on lui affirme vierges. Elles se couchent, écartant de force leurs bras minces et leurs jambes rondes. Le puissant vainqueur les reçoit et sans trop regarder se détourne : Il n’avait jamais vu de filles ainsi nues. Comme elles pleurent et se plaignent, il les fait délier bien vite et vêtir ; les caresse un peu et les renvoie comblées de gâteaux et de perles.

Alors, le Peintre officiel lui propose de figurer tout vivant dans la Grande Succession des Bons et des Sages. Et l’Empereur se redresse, roulant ses prunelles, crissant des dents :

« À qui supposes-tu donc que ressemble Notre face ?

— Aux saintes faces de Yao et de Chouen… » répond l’autre bien éduqué.

L’Empereur dit :
« Sacrilège ! »

Il commande qu’on chauffe la chaudière des flatteurs… puis se ravise et ordonne qu’il soit peint aussitôt sous les traits d’un beau tyran. Il feuillette les annales, s’efforce d’imiter les plus célèbres postures infâmes… Mais, crevant tout d’un coup en pleurs de rage, il sait bien que jamais il ne les obtiendra.

*

(Tout ceci fait de ratures, d’hésitations du pinceau.)