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Pelham/01

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Pelham, ou les Aventures d’un gentleman (1828)
Hachette (Tome Ip. 1-2).


CHAPITRE PREMIER


Je suis fils unique. Mon père était le fils cadet de l’un de nos plus anciens comtes, ma mère était la fille sans dot d’un pair écossais. M. Pelham était un whig modéré, et donnait de somptueux dîners. Lady Frances, ma mère, était une femme de goût, elle avait un faible prononcé pour les diamants et la vieille porcelaine de Chine.

Les gens du commun ne comprennent rien aux nécessités impérieuses de la vie élégante, et le crédit qu’ils accordent est aussi court que leur généalogie. Six ans après ma naissance, il y eut une saisie chez nous. Ma mère montait justement en voiture pour rendre visite à la duchesse de D… ; elle déclara qu’elle ne pouvait sortir sans ses diamants. L’huissier, de son côté, déclara qu’il lui était impossible de les perdre de vue. On fit un compromis, l’huissier accompagna ma mère à C… et fut présenté comme un précepteur, « un homme d’un singulier mérite, » dit ma mère à voix basse, mais si modeste ! Heureusement l’huissier fut abasourdi, et perdant toute son assurance, garda le secret. À la fin de la semaine, les diamants allèrent chez le joaillier, et lady Frances porta de fausses pierres.

Ce fut, je crois, environ un mois après cet événement qu’un cousin au sixième degré laissa à ma mère vingt mille livres. « Cela arrive juste à point pour payer nos créanciers les plus importuns et remonter mes équipages pour Melton, dit M. Pelham.

— Cela arrive juste à point pour racheter mes diamants et remonter la maison, » dit lady Frances.

Ce fut lady Frances qui l’emporta. Mon père alla faire courir son dernier cheval à Newmarket, et ma mère reçut neuf cents personnes sous une tente à la turque. Le turc eut beaucoup de succès et le grec n’en eut pas moins ; car le cheval de mon père perdit, ce qui fit qu’il empocha cinq mille livres, et ma mère, de son côté, parut si charmante en sultane, que sir Seymour Conway en devint éperdûment amoureux.

M. Conway venait de causer deux divorces, de sorte que toutes les femmes de Londres se mouraient pour lui. Jugez de l’orgueil que lady Frances conçut de ses attentions.

Peu de temps après, la mort de mon grand-père mit mon oncle en possession du titre et des biens de la famille. Mon oncle était ce que l’on appelle dans le monde, un original ; il bâtissait des écoles pour les paysans, il faisait grâce aux braconniers et diminuait les prix de ses fermages ; si bien que, en raison de ces excentricités et d’autres semblables, il passait pour un imbécile aux yeux des uns, pour un fou aux yeux des autres. Ce n’est pas qu’il fût, du reste, dépourvu de tout sentiment humain, car il paya les dettes de mon père et nous remit en position de jouir tranquillement de notre ancienne splendeur. Mais cet acte de générosité ou de justice fut bien gâté par les conditions qu’il eut la petitesse d’y mettre : figurez-vous qu’il exigea de mon père la promesse de renoncer au whist et d’abandonner le turf ; quant à ma mère, il voulut absolument qu’elle prît en aversion les diamants, et qu’elle devînt indifférente aux charmes des magots de la Chine.