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Pelham/18

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Pelham, ou les Aventures d’un gentleman (1828)
Hachette (Tome Ip. 77-80).


CHAPITRE XVIII


Un matin que j’allais à cheval au bois de Boulogne, pour y rencontrer madame d’Anville, je vis une amazone qui était en danger d’être jetée à terre. Son cheval avait eu peur d’un équipage anglais conduit en tandem ou de l’homme qui était sur le siège, et se cabrait violemment ; il était évident que la dame avait grand’peur et qu’elle perdait de plus en plus sa présence d’esprit. Un homme qui l’accompagnait et qui avait peine à contenir son propre cheval, semblait avoir la meilleure volonté du monde d’aller à son secours, sans y parvenir. Une foule de bavards regardaient sans bouger de place en disant : « Mon Dieu ! quel danger ! »

J’ai toujours eu une grande répugnance à me mettre en scène et à faire de l’héroïsme, et une plus grande antipathie encore pour les femmes en détresse ! Cependant, l’effet de la sympathie est tel chez le plus endurci d’entre nous, que je m’arrêtai un instant, d’abord pour regarder, ensuite pour porter secours. En effet il n’y avait plus un moment à perdre. Je sautai à bas de mon cheval, je saisis le sien d’une main par les rênes qu’elle n’avait plus la force de retenir, et de l’autre je l’aidai à descendre. Quand tout danger fut passé, le monsieur qui l’accompagnait parvint à mettre pied à terre, et je ne fus plus, je l’avoue, surpris du peu d’empressement qu’il avait montré, quand je sus que la dame en danger était sa femme. Il me prodigua ses remercîments et elle les souligna, pour ainsi dire, par le regard dont elle les accompagna. Sa voiture l’attendait à peu de distance. Le mari s’éloigna pour la faire avancer et je restai seul avec la dame.

« Monsieur Pelham, me dit-elle, j’ai beaucoup entendu parler de vous par mon amie madame d’Anville, et depuis longtemps j’avais le désir de faire votre connaissance. Je ne me doutais pas que nos relations dussent commencer par une obligation aussi grande. »

Flatté d’être déjà connu par mon nom, et de me voir l’objet de l’intérêt de la dame avant même de l’avoir rencontrée, vous devez bien penser que je mis tout en usage pour ne pas perdre le fruit d’une occasion que j’avais si heureusement fait naître. En donnant la main à ma nouvelle connaissance pour l’aider à monter en voiture, je lui pressai la main, et j’eus le plaisir de sentir qu’elle pressait la mienne en réponse.

« Irez-vous à l’ambassade ce soir ? me dit la dame, au moment où l’on refermait la portière de sa voiture.

— Certainement, si vous devez y être, répondis-je.

— En ce cas, nous nous reverrons, » me dit-elle, et son regard m’en disait davantage.

Je continuai ma promenade au bois, et, laissant mon cheval à mon domestique près de Passy où je devais retrouver madame d’Anville, je poursuivis ma route à pied. J’arrivais précisément à l’endroit convenu, et j’étais déjà en vue de mon inamorata, quand je fus croisé par deux hommes qui parlaient avec vivacité. Ils ne me remarquèrent pas, mais il est rare qu’on puisse échapper à mon observation. L’un des deux était Thornton ; l’autre, qui pouvait-ce être ? Où avais-je vu cette figure pâle d’une expression si frappante ? Je regardai de nouveau. Je fus satisfait de penser que ma première impression m’avait trompé. Les cheveux étaient d’une couleur complètement différente : « Non, non ! me dis-je, ce n’est pas lui, mais comme il lui ressemble ! »

Je fus distrait et absorbé pendant tout le temps que je restai avec madame d’Anville. La figure du compagnon de Thornton me hantait comme un fantôme ; et, à dire vrai, il y avait des moments où le souvenir de mon nouvel engagement pour le soir, me rendait indifférent pour cette femme dont j’avais, en ce moment, l’honneur gênant de posséder les bonnes grâces.

Madame d’Anville ne fut pas longue à s’apercevoir de la froideur de mes manières. Quoique Française, elle en éprouva plus de chagrin que de ressentiment.

« Vous commencez à vous fatiguer de moi, mon ami, me dit-elle, et quand je considère votre jeunesse et les tentations qui vous assiègent, je ne suis pas surprise. Cependant j’avoue que cette pensée me fait plus de peine que je n’aurais cru.

— Bah ! ma belle amie, lui dis-je, vous vous trompez ; je vous adore ; mais il se fait tard ! »

Madame d’Anville soupira et nous partîmes. « Elle n’est plus à moitié aussi agréable qu’elle l’était, » me dis-je en montant à cheval : et je me mis à penser à mon rendez-vous chez l’ambassadeur.

Je pris un soin tout particulier de ma toilette ce soir-là, et je me fis conduire à l’ambassade, rue du faubourg Saint-Honoré, une grande demi-heure plus tôt que d’habitude. Je fus longtemps dans les salons avant de découvrir mon héroïne du matin. La duchesse de H… vint à passer.

« Quelle admirable femme ! dit à M. Aberton M. Howard de Howard, un maigre gentleman, qui n’avait de valeur que par ses ancêtres.

— Certes ! répondit Aberton, mais, à mon goût, la duchesse de Perpignan la vaut bien, la connaissez-vous ?

— Non !… oui !… dit M. Howard de Howard, c’est-à-dire pas précisément, pas très-bien !… (Un Anglais n’avoue jamais qu’il ne connaît pas une duchesse.)

— Hem ! dit M. Aberton en passant sa large main dans ses cheveux souples et soyeux, hem ! y a-t-il quelque chose à faire, croyez-vous, de ce côté ?

— Je pense que l’on pourrait y arriver si c’était… quelqu’un qui ne fût pas trop mal de sa personne, répondit l’aristocrate à figure de spectre en regardant ses deux fantômes de jambes.

— Dites-moi, reprit Aberton. Que pensez-vous de miss… ? on dit que c’est une héritière.

— Ce que j’en pense ? dit M. Howard de Howard, qui était aussi pauvre qu’il était mince… mais, j’y ai pensé.

— On dit que ce fat de Pelham tourne autour d’elle. (M. Aberton était loin de s’imaginer au moment où il faisait cette remarque que j’étais justement derrière lui.)

— Je ne pense pas que cela soit vrai, dit le secrétaire d’ambassade, il est si occupé de madame d’Anville !

— Peuh ! dit Aberton d’un ton dictatorial. Elle n’a jamais pensé à lui.

— En êtes-vous bien sûr, dit M. Howard de Howard ?

— Sans doute, car enfin il n’a jamais montré une lettre d’elle, et il n’a jamais dit à personne qu’il eût une liaison avec elle !

— Ah ! cela suffit, dit M. Howard de Howard. Mais n’est-ce pas là la duchesse de Perpignan ? »

M. Aberton se retourna, j’en fis autant, nos yeux se rencontrèrent, les siens se baissèrent, et c’était bien le moins, après l’épithète peu courtoise dont il venait d’accompagner mon nom. Néanmoins, j’avais trop bonne opinion de moi pour m’occuper le moins du monde de lui. D’ailleurs, à ce moment je fus tout éperdu de surprise et de plaisir, en découvrant que cette duchesse de Perpignan n’était autre que mon inconnue du matin. Elle surprit mon regard et s’inclina en souriant. « Maintenant, pensai-je en m’approchant d’elle, voyons un peu si nous pourrons éclipser M. Aberton ? »

Tous les amoureux sont les mêmes. Aussi, je ferai grâce aux lecteurs de ma conversation de ce soir-là. S’ils veulent bien se rappeler que c’était Henry Pelham qui était le galant, je suis persuadé qu’ils seront presque assurés, à l’avance, de son succès.