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Pelham/44

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Pelham, ou les Aventures d’un gentleman (1828)
Hachette (Tome Ip. 212-216).


CHAPITRE XLIV


Je me rappelle bien de quels sentiments j’étais animé, lorsque j’entrai à Londres et que je pris possession de l’appartement qui m’avait été préparé chez Mivart. Depuis un an il s’était produit un grand changement dans mon esprit ; j’avais cessé de regarder le plaisir comme un but ; j’en recherchais plutôt maintenant les jouissances comme un moyen puissant de faire mon chemin dans le monde. Je n’étais pas moins fat qu’avant, ni moins délicat sur l’article des chevaux et de la toilette ; mais je m’étais placé, dans mon dandysme, à un tout autre point de vue qu’auparavant. Sous une apparente insouciance, je cachais un esprit pénétrant, investigateur ; sous une affectation d’extravagance et une grande légèreté de manières, je dissimulais une ambition sans limites et une résolution qui ne reculait devant aucun moyen.

Je n’avais pas fini de déjeûner, le surlendemain de mon arrivée, lorsqu’on m’annonça M…, tailleur.

« Bonjour, monsieur Pelham ; enchanté de vous voir de retour. Ne suis-je pas venu trop matin ? je vous dérange peut-être ? voulez-vous que je repasse ?

— Non, monsieur, je suis prêt à vous recevoir, vous allez prendre de nouveau ma mesure.

— Vous avez tout à fait bonne mine, monsieur Pelham, tout à fait bonne mine, répliqua le tailleur en m’inspectant de la tête aux pieds, tandis qu’il préparait ses mesures ; nous avons besoin d’un peu de ouate cependant ; il nous faut de la ouate ici ; notre poitrine ne bombe pas tout à fait assez, et nous ajouterons un pouce de plus à la largeur des épaules ; il faut bien faire son effet dans ce monde, monsieur Pelham, et un peu plus serré à la taille, qu’en dites-vous ?

— Monsieur, lui dis-je, vous voudrez bien, premièrement, prendre exactement ma mesure, et secondement suivre mes instructions. Avez-vous fini de me prendre mesure ?

— C’est fini, monsieur Pelham, répondit mon manmaker, d’une voix grave et solennelle.

— Eh bien ! à présent, vous aurez la bonté de ne pas rembourrer le moins du monde mon habit, vous voudrez bien ne pas me faire la taille d’un iota plus mince que cela ne convient à la disposition naturelle de cette partie de mon corps, et vous consentirez, je n’espère pas moins de votre bonté infinie, à me laisser tel que le bon Dieu m’a fait.

— Mais, monsieur, il nous faut de la ouate, nous sommes trop grêle, tous ces messieurs les gardes du corps sont ouatés, monsieur.

— Monsieur, lui répondis-je, ne dites pas nous, s’il vous plaît, quand vous parlez de vous et de moi ; et puis, vous permettrez que j’aie des habits comme un gentleman qui, je vous prie de le comprendre, n’est pas un garde du corps et qui ne demande qu’à pouvoir se montrer dans les rues, sans être pris pour un Guy Fawkes du cinq novembre. »

M… parut tout déconfit. « Nous n’aurons pas de succès, monsieur, quand nous serons finis, non, nous n’en aurons pas, je vous assure. Je reviendrai samedi à onze heures. Bonjour, monsieur Pelham, on ne nous rendra jamais justice si nous ne cherchons pas à faire de l’effet dans le monde. Bonjour, monsieur Pelham. »

Mais assez parlé des tailleurs en personne ; disons un mot pourtant de cet art divin, dont ils sont les professeurs. Hélas ! ô instabilité de toutes les sciences humaines ! Il y a quelques mois, alors que je publiais la première édition de ce mémorable ouvrage, je donnais sur la manière de s’habiller quelques règles qui sont déjà passées de mode. Ce que je vais dire maintenant est hors de l’atteinte de ce grand innovateur qu’on appelle la mode, et peut s’appliquer, non pas au caprice d’un jour, mais à toutes les époques connues. Je confie sans crainte ces maximes à la sagacité du lecteur perspicace qui a déjà distingué dans ce livre ce qui est ironique de ce qui est sérieux, l’adjurant de se rappeler ce que dit Sterne que, « chaque chose a son côté plaisant, son côté sérieux et son enseignement ; le tout est de savoir le découvrir. »

MAXIMES.

I. — Ne cherchez pas tant, dans l’habillement, la commodité que l’ornement. L’art ne doit pas copier la nature, il doit l’embellir. Apelles blâmait Protogène d’être trop naturel.

II. — Que votre habillement ne s’éloigne jamais par trop du goût général. Le monde regarde l’excentricité comme une preuve de génie, dans les grandes affaires, comme une preuve de sottise dans les petites.

III. — N’oubliez jamais que vous vous habillez pour fasciner les autres et non vous-même.

IV. — Tenez-vous l’esprit libre de toute violente émotion, à l’heure de votre toilette. Une sérénité philosophique est tout-à-fait indispensable au succès. Helvétius dit, avec raison, que nos erreurs viennent de nos passions.

V. — Rappelez-vous qu’il n’y a que ceux dont le courage ne peut être mis en question qui puissent se risquer à prendre des airs efféminés. Ce n’était que sur le champ de bataille que les Spartiates se couvraient de parfums et se frisaient les cheveux.

VI. — Ne laissez jamais croire que votre chaîne ou vos bagues aient été choisies à votre propre goût ; ces choses-là sont du domaine des femmes et l’on ne doit paraître les porter que pour elles. C’est ennoblir la fatuité que de la couvrir d’un sentiment.

VII. — Pour gagner l’affection de votre maîtresse, montrez-vous peu soucieux de votre costume ; pour la conserver, prenez grand soin de vous. Le premier point témoigne de la violence de votre passion, le second, de votre respect pour elle.

VIII. — Un homme, qui vise à être mis dans la perfection, doit être un profond calculateur. Il ne faut pas s’habiller pour aller chez sa maîtresse, comme on s’habille pour aller chez un ministre ; ni se présenter chez un oncle avare, avec le même costume que si l’on rendait visite à un fastueux cousin ; il n’y a pas de diplomatie plus subtile que celle de la toilette.

IX. — Le grand personnage dont vous voulez vous concilier les bonnes grâces est-il un petit maître ? allez le voir avec un gilet comme le sien. L’imitation, a dit l’auteur de « Lacon, » est la plus sincère des flatteries.

X. — Si l’on est beau on peut porter une toilette à effet, sinon il faut s’étudier à avoir une mise irréprochable ; tout comme nous demandons qu’il y ait quelque chose à admirer chez les grands hommes et qu’il n’y ait rien à excuser chez les hommes ordinaires.

XI. — Le vêtement demande une étude chez les vieillards comme chez les jeunes gens. La négligence n’est pas moins malséante chez les uns que chez les autres ; une réflexion rendra bien notre pensée sur le goût différent qui convient à ces deux extrémités de la vie, c’est que la jeunesse est faite pour être aimée, la vieillesse pour être respectée.

XII. — Un sot peut avoir une toilette magnifique, mais il ne saura jamais se mettre bien. Car pour se bien mettre il faut du jugement ; La Rochefoucauld l’a dit avec raison :

On est quelquefois un sot avec de l’esprit, mais on ne l’est jamais avec du jugement.

XIII. — Il peut y avoir plus de pathétique dans la coupe d’un collet d’habit ou dans la frisure d’une boucle de cheveux, qu’un esprit superficiel ne se l’imaginerait. Serions-nous aujourd’hui aussi disposés que nous le sommes à nous apitoyer sur le sort malheureux de Charles Ier et à lui pardonner son manque de sincérité, si ses portraits nous le montraient avec une perruque à rouleaux et une queue de rat. Van Dyck, en cela, s’est montré un plus grand philosophe que Hume.

XIV. — Ce qu’il y a de plus gracieux dans l’art de la toilette, c’est la propreté ; ce qu’il y a de plus vulgaire, c’est la symétrie.

XV. — La toilette embrasse les deux codes de la moralité publique et privée ; le soin, comme devoir envers les autres, la propreté, comme devoir envers nous-mêmes.

XVI. — Soyez habillé de telle façon qu’on ne soit jamais tenté de dire de vous : « Quel homme bien mis ! » mais : « Comme il a l’air distingué ! »

XVII. — Soyez sobre de couleurs, et ayez soin d’adoucir les tons trop éclatants par une teinte plus paisible, qui fera le fond de toutes les autres. Apelles ne se servait que de quatre couleurs et ne manquait jamais de mitiger par un vernis plus foncé celles qui lui paraissaient trop éclatantes.

XVIII. — Il n’y a rien d’insignifiant pour un observateur profond. C’est dans les bagatelles que l’esprit se trahit. « Quels sont les endroits de cette lettre, disait un roi à l’un de nos diplomates les plus habiles d’aujourd’hui, où vous voyez percer l’irrésolution ?

— Sire, répondit-il, c’est dans les ns et dans les gs ! »

XIX. — Un homme bienveillant évitera de choquer jamais les sentiments des autres, par un excès, soit de négligence soit de prétentions ; vous pouvez, d’après cela, mettre en doute la philanthropie, et d’un homme négligé et d’un homme trop recherché dans sa toilette.

XX. — Des bas qui tombent sur les talons montrent qu’on ne tient pas à plaire, mais une bague de diamants peut être un signe de malveillance.

XXI. — Les inventions, en matière de toilette, doivent être comme les perfectionnements du style, qu’Addison définit ainsi : « des raffinements naturels, mais dont il ne faut pas qu’on s’aperçoive. »

XXII. — Celui qui aime les frivolités elles-mêmes, est un homme frivole. Celui qui ne les estime que pour les conclusions qu’on en peut déduire, ou les avantages qu’on en peut retirer, est un philosophe.