Pelham/62

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Pelham, ou Aventures d’un gentleman
Hachette (Tome IIp. 25-34).


CHAPITRE LXII


Je ne quittai ma chambre que lorsque le premier coup de cloche avait déjà retenti depuis assez longtemps pour que je pusse me bercer du doux espoir de ne pas trop attendre dans le salon, le moment le plus solennel de la vie civilisée, celui du dîner. Mes manières sont naturellement aisées et franches, mais je me pique de savoir prendre à l’occasion un certain air qui tient les gens à distance et défie toute impertinence. Ce jour-là je pris une double dose de dignité en entrant dans ce salon que j’étais sûr de ne pas trouver rempli de gens disposés à m’admirer. Il y avait quelques dames groupées autour de lady Chester et comme la vue du beau sexe a le don de me rendre toute mon assurance, je me dirigeai de ce côté.

Jugez de ma joie lorsque je découvris, au milieu de ce groupe, lady Harriett Garrett. Il est vrai que je n’avais pas une grande prédilection pour cette dame, mais la vue d’une négresse de connaissance eût été saluée par moi avec enthousiasme dans un lieu si désolé et si inhospitalier. Le plaisir que j’eus de voir lady Harriett me parut réciproque. Elle me demanda si je connaissais lady Chester, et comme je lui dis que non, elle me présenta immédiatement à cette dame. Dès ce moment je me trouvai comme chez moi, je repris possession de mes moyens, et je mis tout en œuvre pour être aussi charmant que possible. Quand on est jeune, essayer c’est réussir.

Je fis un récit animé de la bataille des chiens, entremêlé de sarcasmes à l’adresse des propriétaires, ce qui ne déplut pas le moins du monde à la marquise et à ses compagnes ; le fait est que, lorsqu’on annonça que le dîner était servi, elles se levèrent avec une gaîté bruyante qui ne rappelait guère l’étiquette aristocratique. Pour ma part, j’offris mon bras à lady Harriett et je lui fis assez de compliments dans le trajet du salon à la salle à manger pour faire tourner une tête plus solide que n’était celle de Sa Seigneurie.

Le dîner se passa assez agréablement tant que les dames y assistèrent, mais au moment où elles sortirent de table, j’éprouvai un sentiment analogue à celui d’un enfant gâté, lorsqu’il quitte sa tendre mère pour se trouver abandonné la première fois dans ce lieu étrange, froid, désolé qui s’appelle une pension.

Pourtant je n’étais pas d’humeur à laisser à l’ombre les fleurs de ma rhétorique. D’ailleurs, il m’était tout à fait indispensable de donner à mon hôte une meilleure opinion de mes talents. Je mis donc les coudes sur la table résolûment, pour prêter attention à toutes les conversations ; à la fin j’aperçus en face de moi, sir Lionel Garrett, personnage dont je n’avais même pas songé à demander des nouvelles, et à qui je ne songeais guère. Il était occupé à discuter avec vivacité et à grand bruit la loi sur la chasse. Grâce à Dieu, me dis-je, me voilà sur mon terrain. L’intérêt que chacun prenait à ce sujet et les éclats de voix qui accompagnaient le débat, fondirent bientôt toutes les conversations particulières dans une conversation générale.

« Eh quoi ! disait sir Lionel d’une voix très-haute, à un jeune homme modeste et tremblant qui sortait sans doute de Cambridge, et qui soutenait le côté libéral de la question. Croyez-vous qu’il soit de notre intérêt de permettre qu’on ne nous consulte jamais, et qu’on nous prive de notre unique amusement ? Quelle est donc, selon vous, la raison qui fait que les gentilshommes se dérangent de leurs campagnes pour aller à la chambre ? Ignorez-vous donc, monsieur, de quelle importance il est pour la nation que nous résidions sur nos terres ? Détruire la loi sur la chasse, c’est détruire notre existence nationale. »

Allons, me dis-je, voilà le moment de parler.

« Sir Lionel, lui dis-je, en lui adressant la parole d’un bout de la table à l’autre, je partage tout à fait votre sentiment ; je suis tout à fait d’avis, premièrement, qu’il importe absolument au salut de la nation de conserver la chasse, secondement que détruire la chasse c’est détruire, du même coup, l’existence des gentilshommes de province : il n’y a rien de plus clair que ces deux propositions ; mais je diffère de vous en ce qui concerne les dispositions nouvelles du projet de loi. Laissons complètement de côté, si vous voulez, les intérêts des classes pauvres et de la société en général ; ce ne sont pas là des considérations dignes de nous occuper un seul instant ; n’envisageons la chose qu’au point de vue de nos intérêts comme sportsmen. J’espère qu’il me suffira de quelques mots pour vous prouver clairement que les changements proposés nous feront une situation beaucoup meilleure que celle que nous avons aujourd’hui. »

J’examinai alors brièvement, mais pourtant d’une façon qui prouvait que je connaissais à fond la matière, la nature des lois existantes, et le caractère des modifications qu’on voulait y apporter. Je parlai d’abord des deux principaux inconvénients qu’avait le système actuel, pour les gentilshommes de province, à savoir le grand nombre des braconniers et les frais considérables que nécessitait la garde des propriétés. Comme je vis que l’intérêt était général et soutenu, j’insistai sur ces deux points avec l’énergie la plus pathétique, je m’arrêtai un instant pour attendre la réponse de sir Lionel et de deux ou trois personnes de son opinion ; comme ils convinrent qu’en effet il était hautement désirable de remédier, s’il était possible, à ces deux inconvénients, je m’attachai à montrer que cela était possible et comment cela était possible. Je soutins que les modifications proposées à la loi n’avaient justement pas d’autre but que celui-là ; j’allai au-devant des objections qu’on pouvait me faire et j’y répondis par plusieurs propositions aussi claires et aussi concises que possible. Comme j’avais parlé avec une grande politesse et un grand esprit de conciliation, que j’avais évité de faire paraître le moindre intérêt pour tout être humain en dehors des personnes de qualité, je vis, en finissant ma harangue, que j’avais produit une impression favorable. La soirée acheva mon triomphe ; car lady Chester et lady Harriett arrangèrent si bien mon aventure avec les chiens, que cela passa pour une excellente plaisanterie et que je devins du coup, aux yeux de la compagnie, un charmant garçon, très-sensé et rempli d’esprit. Tant il est vrai qu’il n’est pas de situation que nous ne puissions, avec un peu de tact, faire tourner à notre avantage. Vous n’avez qu’à bien vous conduire, et vous conduirez tout le monde.

Quant à lord Chester, je lui eus bientôt gagné le cœur par quelques exploits d’équitation, et quelques anecdotes que j’improvisai sur la sagacité des chiens. Trois jours après mon arrivée, nous étions inséparables ; j’employai si bien mon temps que deux jours plus tard il me parla de l’amitié qu’il avait pour Dawton, et du titre de duc dont il avait envie pour lui-même. Ces deux motifs n’allaient pas mal ensemble, et il finit par me promettre que sa réponse à mon supérieur serait aussi favorable que je le pourrais désirer ; le lendemain de cette promesse commença la grande journée de Newmarket.

Il va sans dire que toute la société devait se rendre aux courses, et bon gré mal gré il fallut me laisser enrôler avec les autres. Nous n’étions éloignés du terrain des courses que de quelques milles, et lord Chester me prêta un de ses chevaux. Le plus court était par une série de chemins de traverse, et comme la conversation de mes compagnons avait très-peu d’intérêt pour moi, je regardai la campagne que nous traversions avec plus d’attention que je n’en prête d’habitude au paysage. En effet, j’étudie la nature plutôt dans les hommes que dans les champs, et je ne connais pas de paysage qui présente aux yeux autant de variété ou autant de sujets de contemplation, que les inégalités du cœur humain.

Mais il devait survenir peu de temps après des événements terribles qui graveraient dans ma mémoire la scène agreste sur laquelle ma vue s’arrêtait en ce moment avec complaisance. C’étaient de larges plaines, tristes, avec des bouquets de pins et de mélèzes formant çà et là des masses noires. La route était inégale et raboteuse ; parfois un petit ruisseau mélancolique, grossi par les premières pluies du printemps, nous barrait le passage, et courait se perdre au milieu des hautes herbes d’un marais inhospitalier.

À six milles environ de Chester-Park nous rencontrâmes, sur notre gauche, une vieille maison avec une façade neuve. Les briques brunies par le temps qui en composaient les murs contrastaient étrangement avec les larges fenêtres à la vénitienne de date récente, dont les encadrements blancs brillaient d’un éclat éblouissant. Une élégante verandah tapissée de verdure régnait tout le long du portique, et aboutissait de chaque côté à une rangée de maigres sycomores qui simulaient une avenue. Sur le bord de la route on voyait une jolie petite grille peinte en blanc, et une jolie petite loge si lilliputienne qu’elle ressemblait à une boîte à thé. La terre était fraîchement remuée en plusieurs endroits ; preuve qu’on méditait de nouveaux embellissements. Çà et là se dressait quelque arbuste malingre entouré de palissades et qui semblait gémir en son pauvre petit cœur de se voir ainsi isolé dans sa prison.

En dépit de ce déploiement si riche et si bien entendu de grâces artistiques, ce lieu avait un aspect désolé et triste qui vous glaçait rien que d’y jeter les yeux. Un marais verdâtre d’un côté, et de l’autre une ancienne étable ou plutôt un squelette de chevrons et de soliveaux, et derrière, une bordure sombre et maussade de sapins, ne contribuaient pas peu à répandre sur tout l’ensemble une teinte indéfinissable de tristesse.

Pendant que je considérais avec curiosité les différentes parties de ces délices du Nord, et que je m’étonnais du goût de deux corneilles qui se promenaient tranquillement sur cette terre malsaine au lieu de faire bon usage des grandes ailes noires dont la Providence les avait douées, je vis deux hommes à cheval sortir de derrière la maison et s’avancer dans l’avenue au grand trot. À peine avions-nous fait quelques pas en avant, qu’ils nous rejoignirent. Celui qui était en avant tourna la tête en passant près de moi et, arrêtant brusquement son cheval, démasqua à mes yeux désagréablement surpris, le visage de M. Thornton. La froideur de mon salut ne l’intimida nullement, non plus que l’air sévère de mes nobles compagnons qui, malgré la vulgarité de leurs goût, n’oubliaient jamais la dignité de leur naissance ; il m’accosta donc aussitôt d’un air familier.

« Je vous le disais bien, monsieur Pelham, brebis qui bêle, etc., j’étais sûr d’avoir le plaisir de vous retrouver, quoique vous eussiez fait le mystérieux. Eh bien, voulez-vous parier à présent ?… non ! ah vous êtes un finaud !… Je reste là, à cette jolie petite maison qui est à Dawson, un de mes bons amis, voulez-vous que je vous présente ?

— Monsieur, lui dis-je brusquement, vous êtes trop bon. Faites-moi le plaisir de rejoindre votre bon ami M. Dawson.

— Oh ! reprit Thornton avec son aplomb imperturbable, cela ne fait rien, il ne m’en voudra pas d’être un peu en retard. Pourtant (ici il vit que l’expression de mes yeux n’annonçait rien de bon), pourtant, il se fait tard et ma jument n’est pas des meilleures ; je vous souhaite le bon jour. » Là-dessus Thornton piqua des deux et s’éloigna.

« Qui diable avez-vous rencontré là, Pelham ? me dit lord Chester.

— C’est quelqu’un qui m’a accroché à Paris et qui réclame contre moi son droit de trouvaille en Angleterre. Mais permettez-moi, à mon tour, de vous demander à qui appartient ce lieu de plaisance que nous venons de dépasser ?

— À un M. Dawson dont le père était un gentilhomme campagnard, éleveur de chevaux, un homme très-respectable car j’ai fait avec lui un ou deux marchés excellents. Le fils est toujours sur le turf et y a contracté les mœurs les plus détestables ; il a une assez mauvaise réputation et il finira probablement par devenir un véritable escroc. Il a épousé, il y a peu de temps, une femme qui lui a apporté quelque fortune ; et c’est elle, je suppose, qui a ainsi changé et rajeuni sa maison. Allons, messieurs, nous voici en plaine, prenons-nous le trot ? »

Nous trottâmes pendant quelque temps mais nous fûmes bientôt arrêtés par une montée formidable, et comme en ce moment, lord Chester était fort occupé à faire l’éloge de son cheval à l’un des cavaliers de la compagnie, j’eus tout le temps d’examiner les lieux où nous nous trouvions. Au pied de cette montée dont nous faisions lentement l’ascension était un terrain vague, abandonné, qui s’étendait au loin ; un héron, qui s’éleva de cette lande en déployant ses vastes ailes, attira mon attention vers une mare couverte de joncs et à moitié abritée sous le feuillage d’un arbre caduc. À en juger par la largeur de son vaste tronc creusé par le temps, cet arbre devait avoir servi de refuge à cet oiseau et, peut-être, à d’autres animaux sauvages, à une époque déjà éloignée, quand tout le pays, à plusieurs lieues à la ronde, n’était pas plus civilisé, ni plus cultivé que le lieu désolé où ce vieil arbre solitaire plongeait ses racines séculaires. Il y avait quelque chose de bizarre et de grotesque dans la forme contournée et sinueuse de ses branches dénudées et rabougries : on aurait dit un spectre : il y avait surtout deux rameaux qui dépassaient les autres et s’avançaient comme deux bras suppliants, tandis que le tronc s’inclinant, comme un vieillard sur le bord de sa fosse, courbait sa tête dévastée. Ce n’est pas tout, le tronc fendu par le milieu, s’écartait en deux et figurait deux jambes comme pour ajouter à la vraisemblance de cette illusion gigantesque. L’imagination se représentait quelque métamorphose antédiluvienne, quelque fille des Titans conservant, sous sa forme nouvelle, quelque chose de l’attitude suppliante qu’elle avait prise en adressant sa dernière prière à l’Olympe impitoyable.

On ne voyait, au loin, que ce seul arbre ; les détours de la route et les inégalités du terrain nous cachaient complètement la maison devant laquelle nous avions passé et ses sycomores entremêlés de pins, triste plantation. La mare lugubre et l’arbre-fantôme qui semblait en être le gardien, la lande aride qui s’étendait au loin, et ce pays désert où l’œil ne pouvait découvrir aucune habitation humaine, tout conspirait pour donner à cette scène un air désolé.

Je ne sais comment cela se fit, mais tandis que je regardais en silence autour de moi, il me sembla que j’avais déjà vu cet endroit. C’était comme un souvenir vague et confus qui tenait du rêve ; je me sentis frappé au cœur par une sorte de pressentiment douloureux et indéfinissable. Nous ne tardâmes pas à arriver au sommet de la côte et le reste de notre route étant plus facile et plus uni, nous accélérâmes l’allure de nos chevaux et nous fûmes bientôt arrivés au but de notre expédition.

Le terrain des courses avait son contingent ordinaire d’intrigants et d’imbéciles, de dupes et de fripons. Cette pauvre lady Chester qui avait pris par la grande route (car le chemin que nous avions suivi était impraticable pour les voitures, surtout pour les carrosses dont les cochers sont haut perchés), se faisait voiturer çà et là, image vivante du froid et de l’ennui. Quelques calèches isolées avaient un air triste et affligé, comme si elles étaient venues là pour suivre le convoi de leurs maîtres qui n’étaient pourtant point en danger de mort, et ne couraient d’autre risque que de perdre là leur réputation ou leur bourse. Comme nous avancions le long de la tribune, sir John Tyrrell passa près de nous. Lord Chester l’accosta avec familiarité et le baronnet se joignit à nous. Il avait été fanatique des courses dans son jeune temps, et il les aimait encore avec passion.

Il me parut que lord Chester ne l’avait pas vu depuis plusieurs années et, après une de ces conversations courtes mais caractéristiques comme : « Mon Dieu, qu’il y a longtemps qu’on ne vous a vu ! vous avez là un bon cheval. — Vous avez maigri. — Une bête bien bâtie. — Qu’est-ce que vous avez fait ? — de la vigueur. — Nous ne sommes pas en retard ! — fameux poitrail ! — Vous rappelez-vous le vieux Queensbury ? il avait bien de l’ardeur, fini, il est au diable ! — Où en sont les paris ? » lord Chester invita Tyrrell à venir au château avec nous. L’invitation fut acceptée avec empressement.


Emportés malgré nous, nous roulions, entourés de spectres.

Shelley.


Alors commencèrent le bruit, le tapage, les jurons, les mensonges, les parjures, les fourberies, l’agitation et le mouvement désordonné de la foule, l’ardeur, l’impatience, l’espoir, la terreur, les transports et l’agonie de la course. Une fois le premier brouhaha passé, l’un me demanda une chose, l’autre m’en cria une autre, je n’existai plus pour lord Chester, il ne fit plus attention à moi. Je me réfugiai près de la marquise ; elle était aussi maussade qu’on pût l’être par ce maudit vent d’est. Lady Harriett ne voulait parler que de chevaux ; sir Lionel ne voulait pas parler du tout. J’étais dans un désespoir affreux et les diables bleus qui assaillaient mon esprit n’étaient pas d’une couleur moins foncée que le nez de lady Chester. Muet, triste et boudeur, je m’éloignai de la foule en faisant des réflexions philosophiques sur les déplorables penchants de l’espèce humaine. On devient merveilleusement honnête quand on est en face d’un vice qu’on ne partage pas. Heureusement pour moi, mon bon ange me fit souvenir que j’avais, à trois milles du champ de courses, un vieil ami de collège qui, depuis que nous ne nous étions vus, était entré en possession d’un presbytère et d’une femme. Je connaissais trop bien ses goûts pour penser que les séductions d’un exercice équestre quelconque pussent l’arracher aux douceurs de sa bibliothèque et aux charmes respectables de ses livres. Espérant donc le trouver chez lui, je dirigeai mon cheval de ce côté, et, tout joyeux de mon escapade, je dis adieu aux courses.

J’arrivais à l’extrémité de la bruyère, au petit galop, lorsque mon cheval fit un écart pour éviter un objet qui était à terre ; c’était un homme enveloppé des pieds à la tête dans un grand manteau de cheval et dont la figure était si bien garantie contre les intempéries d’un ciel inclément que je ne pus absolument rien distinguer de ses traits à travers le chapeau et le cache-nez qui le recouvraient. Il avait la tête tournée avec un air d’anxiété visible vers la foule qu’on apercevait dans le lointain. Pensant que c’était un homme du peuple, je lui adressai en passant, du ton de familiarité dont j’use d’ordinaire avec les inférieurs, quelque remarque insignifiante sur les courses. Il ne répondit rien. Il y avait dans sa personne quelque chose qui piquait ma curiosité ; aussi, après l’avoir dépassé, me retournai-je pour le regarder encore. Il n’avait pas bougé d’une ligne. Le silence et le mystère laissent toujours dans l’esprit une impression pénible ; la vue de cet homme, avec son déguisement et son immobilité silencieuse qui n’avaient pourtant à mes yeux rien que de bien innocent, me plongea dans une rêverie mélancolique.

J’ai pour principe de fuir le chagrin même en imagination, toutes les fois que je le puis ; aussi fis-je en sorte de changer la direction de mes pensées ; pour cela je m’amusai à me figurer l’effet que devait produire sur les épaules débiles de mon vieux camarade le double fardeau de la dignité cléricale et du mariage.