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Pelham/66

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Pelham, ou Aventures d’un gentleman
Hachette (Tome IIp. 70-79).


CHAPITRE LXVI


Le pays tout entier fut en émoi aussitôt que le meurtre fut connu. Tous les myrmidons de la justice se livrèrent aux plus actives recherches afin de découvrir les assassins. Quelques personnes, d’abord arrêtées préventivement, furent presque aussitôt relâchées. Thornton et Dawson eurent à subir un interrogatoire et une enquête très-rigoureux, mais on ne put produire contre eux la plus petite preuve ; aussi furent-ils mis hors de cause. La seule circonstance qui autorisât les soupçons à leur égard, c’est qu’ils s’étaient arrêtés en route, mais la raison qu’ils en donnèrent, et qu’ils m’avaient donnée à moi-même, était plausible et naturelle. Ils indiquèrent le hangar où ils s’étaient abrités, et comme pour mieux confirmer l’assertion de Thornton, un gant qui lui appartenait, fut trouvé dans cet endroit. Enfin, et par-dessus tout, ma déposition, dans laquelle je fus contraint de mentionner la circonstance du cavalier déguisé qui m’avait dépassé sur la route et que j’avais vu ensuite sur le lieu même du crime, fit retomber tout le poids des soupçons sur cet homme inconnu.

Tous les efforts que l’on fit pour le découvrir furent inutiles. On acquit la certitude qu’un homme, enveloppé d’un manteau, avait été vu à Newmarket, mais on n’avait pas fait grande attention à lui ; on sut aussi qu’une personne dont le signalement se rapportait à celle-là, avait laissé quelque temps à l’écurie un cheval gris, dans une auberge de Newmarket. Mais au milieu de la foule des étrangers, on n’avait fait aucune remarque particulière sur le cavalier ni sur le cheval.

À mesure que l’enquête se poursuivait, les témoignages différaient ; il y avait quatre ou cinq hommes qui avaient mis leurs chevaux à l’écurie ; un garçon d’écurie disait que le cheval était bai, un autre qu’il était noir, un troisième déposa que le gentleman était remarquablement grand, mais le garçon de l’hôtel affirmait solennellement avoir servi un verre de grog à un gentleman de mauvaise mine, enveloppé d’un manteau, et qui était remarquablement petit. En somme, on ne put saisir aucune preuve matérielle et, malgré leur zèle, les officiers de police durent renoncer à trouver le moindre indice qui pût les mettre sur la voie d’une découverte positive.

Quant à moi, aussitôt que je pus décemment m’échapper, je quittai Chester Park, ayant en poche une dépêche très-satisfaisante de Sa Seigneurie à lord Dawton, et je me trouvai de nouveau sur la route de Londres.

Hélas ! combien mes pensées étaient changées ! combien la tournure de mon esprit était différente de ce qu’elle était la dernière fois que j’avais parcouru cette route ! Alors, j’étais plein d’espoir, d’énergie, d’ambition et d’affection pour Réginald Glanville, d’adoration pour sa sœur ! Maintenant je revenais triste et désespéré, sans une seule pensée consolatrice. Rien ne pouvait me distraire du sombre et profond désespoir qu’avait fait naître en mon âme cette nuit fatale. Qu’était-ce désormais pour moi que l’ambition ? L’homme le plus égoïste a besoin de reporter sur quelqu’un à qui il s’associe, pour qui il thésaurise, les triomphes et les plaisirs dont il ne saurait jouir seul. Quel était à présent cet être de mon choix, cet ami de mon cœur ? Mon plus ancien ami, celui que ses chagrins m’avaient fait estimer davantage, pour lequel je sentais croître mon affection en raison du mystère de sa vie, Réginald Glanville, était un assassin ! oui, c’était un scélérat, un être cruel et lâche qui pouvait d’un instant à l’autre tomber sous le coup de la loi. Et elle ! elle, la seule femme au monde que j’eusse vraiment aimée, elle qui avait pénétré dans les replis les plus cachés de mon cœur ambitieux et entreprenant, c’était la sœur d’un assassin !

Alors je me rappelai la joie sauvage que j’avais vu briller dans les yeux de Thornton, lorsqu’il tenait en main ce médaillon, témoignage de la culpabilité de Glanville ; et malgré toute mon horreur pour le crime de mon ancien ami, je tremblais pour ses jours. Je n’étais pas non plus satisfait de la prévarication dont je m’étais rendu coupable comme témoin. Sans doute, j’avais dit la vérité, mais je ne l’avais pas dite tout entière ; et mon cœur bondissait et se soulevait avec douleur contre cette miniature que je cachais dans mon sein.

Je me disais que pour sauver un criminel, au salut duquel j’étais, par sentiment, personnellement intéressé, j’avais pactisé avec l’honneur, rusé avec la vérité et manqué au plus sacré et au plus inviolable des devoirs, celui de la justice.

J’avais le pouls agité et les joues en feu lorsque j’arrivai à Londres. Dans la nuit, j’eus une fièvre violente ; on fit venir les vautours de la médecine ; je fus saigné copieusement, et retenu au lit pendant six jours. Au bout de ce temps, la force de ma constitution et ma jeunesse reprirent le dessus. Je lus avidement le premier journal qui me tomba sous la main. Le nom de Glanville frappa mes regards. Je lus le paragraphe qui le concernait : c’était un dithyrambe, un panégyrique pompeux de son génie et du grand avenir qui lui était réservé. Je regardai à une autre colonne, et j’y vis un long discours qu’il avait prononcé la veille à la chambre des Communes.

Cela est-il possible ? me disais-je. Oui, et c’est là un des mystères incompréhensibles du cœur humain. Un homme peut commettre le plus grand crime et (si ce crime n’est point suivi d’un autre) le cours ordinaire de sa vie n’en sera point changé ni interrompu. Pour tout le monde, dans tout ce qu’il entreprend, en toutes choses enfin il est le même qu’avant. Il peut servir son pays, obliger ses amis, être brave, généreux, bienveillant, tout aussi bien que par le passé. Un crime, si hideux qu’il soit, ne cause pas nécessairement une révolution dans le caractère et la destinée d’un homme. Ce n’est que par une suite non interrompue de désordres et de mauvaises actions si insignifiantes qu’elles puissent paraître en elles-mêmes, que le sens moral s’altère et que le cœur s’endurcit.

Ma mère n’était pas à Londres quand j’y revins. On lui avait écrit pendant ma maladie et, tandis que je parcourais le journal, on me remit une lettre d’elle que je transcris ici.

« Mon cher Henry,

« Dans quelle terrible inquiétude je suis à votre égard ! Écrivez-moi de suite. Je voulais partir moi-même pour Londres, mais je suis auprès de cette chère lady Dawton qui ne veut pas entendre parler de mon départ, et, dans votre intérêt, je ne dois pas lui déplaire. À propos, pourquoi n’avez-vous pas été voir lord Dawton ? mais j’oublie que vous avez été malade. Mon cher, cher enfant, cette maladie me rend bien triste ; comme vous devez être pâle à présent ! justement voilà la belle saison qui approche ; quel malheur ! Je vous en prie, ne mettez pas une cravate noire la première fois que vous rendrez visite à lady Roseville ; mettez plutôt une cravate de fine batiste, cela donnera à votre teint un air plutôt délicat que maladif. Quel médecin avez-vous pris ? je prie Dieu que ce soit sir Henry Halford ; je serais trop malheureuse s’il en était autrement. Personne ne peut savoir ce que je souffre. Votre père, le pauvre homme, a été au lit ces trois derniers jours avec la goutte. Tâchez de reprendre le dessus, mon cher enfant, et lisez quelques livres de littérature légère pour vous distraire. Mais je vous en prie, sitôt que vous serez bien, allez chez lord Dawton, il meurt d’envie de vous voir ; pourtant prenez garde de vous enrhumer. Comment avez-vous trouvé lady Chester ? je vous en prie, prenez bien soin de vous et écrivez le plus tôt possible à votre malheureuse et affectionnée mère.

« F. P.

« P. S. Comme cet événement du pauvre sir John Tyrrell est affreux ! »

Je jetai cette lettre loin de moi. Que Dieu me pardonne si l’accès de misanthropie auquel j’étais en proie me rendit moins respectueux et moins reconnaissant que je ne l’étais d’habitude à ma mère pour sa sollicitude.

Je pris au hasard un des nombreux livres dont ma table était couverte ; c’était l’ouvrage d’un moraliste français à l’usage des gens du monde ; cette lecture fit prendre un nouveau cours à mes pensées. Mon esprit revint à ses premiers projets d’ambition. Qui ne sait que les malheurs privés poussent les hommes à se jeter dans le tourbillon des affaires publiques ? La politique est comme le fleuve Léthé, nous nous y plongeons pour oublier nos chagrins.

J’attirai à moi mon buvard et j’écrivis à lord Dawton. Trois heures après que j’eus envoyé ma lettre, lui-même vint me rendre visite. Je lui remis la lettre de lord Chester, mais il avait déjà reçu de ce noble personnage la notification du succès de ma mission. Il se confondit en éloges et en remercîments.

« Savez-vous, me dit cet homme d’État, que vous avez fait la conquête de lord Guloseton ? Il parle de vous en public dans les termes les plus avantageux. Il serait à désirer que nous eussions sa voix et celle de ses amis. Il faut nous renforcer, mon cher Pelham ; tout dépend de la crise actuelle.

— Êtes-vous sûr du cabinet ? lui demandai-je.

— Oui, la chose n’est pas encore rendue publique, mais nous savons, nous, de source certaine, quels sont ceux qui doivent quitter le ministère, et quels seront leurs successeurs ; moi je dois avoir le ministère de…

— Je félicite Votre Seigneurie de tout mon cœur. Quel est le poste que vous me destinez ? »

Lord Dawton changea de visage. « Ah ! mon Dieu ! Pelham, il n’y a encore rien de décidé quant aux positions secondaires, mais on ne vous oubliera pas, non, non, soyez-en bien sûr, mon cher Pelham. »

Je jetai au noble lord un regard qui, je m’en flatte, n’appartient qu’à moi. Est-ce que par hasard, me dis-je, cet avorton de ministre prétend se jouer de moi comme d’un outil secondaire ? qu’il y prenne garde ! Cette colère d’un moment s’apaisa.

« Lord Dawton, lui dis-je, un mot, et ce sera tout, pour le moment. Est-ce votre intention de me faire entrer au parlement aussitôt que vous serez au ministère ? Quant à ce que vous voulez faire du reste pour moi, je ne vous le demande pas.

— Mais oui, assurément, Pelham, comment pouvez-vous en douter ?

— Cela me suffit ! et maintenant écoutez cette lettre que je reçois de France.

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Deux jours après mon entrevue avec lord Dawton, je me promenais tranquillement à cheval dans Green Park ; j’étais de mauvaise humeur ; je fus dépassé par une de ces voitures privilégiées dont les maîtres ont le droit de dire : hoc iter est nobis. Une douce voix cria au cocher d’arrêter, et m’interpella en ces termes :

« Quoi, le héros de Chester Park est de retour ici, et il n’est pas encore venu me faire le récit de ses aventures !

— Charmante lady Roseville, lui dis-je, je m’avoue coupable de négligence mais non de trahison. J’ai eu le tort, il est vrai, de ne pas me présenter devant vous, mais maintenant que je vous vois je suis à vous corps et âme : commandez et j’obéis.

— Vous voyez, Hélène, dit lady Roseville en se tournant vers une jeune fille qui était assise près d’elle rougissante et la tête inclinée, vous voyez ce que c’est que d’être un chevalier errant ; son langage même est digne de l’Amadis de Gaule ; mais, dit-elle en s’adressant à moi, vos aventures sont trop sérieuses pour qu’on en parle légèrement. Nous vous donnons l’ordre de vous rendre ce soir en notre castel ; nous serons seule.

— Belle dame, j’obéirai, mais dites-moi, de grâce, combien de personnes signifie le mot seule.

— Ah ! répondit lady Roseville, je crains que nous n’ayons avec nous quelques personnes, mais, je pense, Hélène, que nous pouvons promettre à notre chevalier de n’être pas plus de douze. »

Je saluai et continuai ma course. Que n’eussé-je point donné pour pouvoir toucher les mains de la jeune compagne de la comtesse, seulement pendant une seconde ? Mais… et ce terrible mais me donne le frisson. Je piquai des deux et partis fièrement au galop. Le vent soufflait avec violence et, pour me garantir le visage, je courbais la tête de sorte que je ne dirigeai plus mon cheval qui était fougueux et plein d’ardeur.

Tout à coup une voix pressante me cria : « Holà ! Monsieur, holà. Au nom du ciel, ne m’écrasez pas avant dîner ; après, vous ferez ce que vous voudrez. »

Je m’arrêtai. « Ah ! lord Guloseton ! que je suis heureux de vous voir ; je vous en prie, excusez ma cécité et la stupidité de mon cheval. »

Il n’est si mauvais vent, répondit le noble gourmand, qui ne nous apporte quelque chose de bon ; voilà un excellent proverbe dont la vérité se montre tous les jours. En effet, si désagréable que soit un vent froid et pénétrant, néanmoins il n’y a pas de doute que c’est un merveilleux stimulant pour l’appétit, le plus grand bienfait des cieux. J’espère qu’en me soufflant un peu de goût pour mon sauté de foie gras, ce vent-ci pourra aussi pousser à ma table un convive qui pourra partager mon dîner et ma joie. Faites-moi l’honneur de dîner avec moi aujourd’hui.

— Dans quel salon dînerez-vous aujourd’hui, milord Lucullus ?

— Dans le salon de Diane, répondit Guloseton, car c’est elle sans doute qui a abattu le chevreuil dont lord H*** m’a envoyé un gigot que nous mangerons aujourd’hui, c’est de la vieille race de Meynell. Je ne vous invite pas à tenir compagnie à M. tel ou tel ou à lord n’importe qui, mais je veux que vous teniez compagnie à un sauté de foie gras et à un gigot de venaison.

— J’irai certainement leur présenter mes hommages ; je ne savais pas, autrefois, combien les choses sont une meilleure compagnie que les hommes. C’est Votre Seigneurie qui m’a initié à cette grande vérité.

— Dieu me pardonne, s’écria Guloseton d’un air de dépit, je vois venir le duc de Stilton, un odieux personnage : ne m’a-t-il pas dit l’autre jour, à mon petit dîner (je m’excusais auprès de lui de l’erreur commise par un de mes artistes qui s’était trompé de vinaigre et avait pris de l’ordinaire pour du Chili,) ne m’a-t-il pas dit… Au fait, que croyez-vous qu’il m’ait dit ? vous ne le devineriez pas. Il m’a dit, ma parole, qu’il ne s’inquiétait pas de ce qu’il mangeait, et qu’il pouvait faire un excellent dîner avec un beefsteak ! Pourquoi, diantre, alors, venir dîner avec moi ? Pouvait-il me dire rien de plus blessant ? Vous comprenez mon indignation quand je jetai les yeux sur ma table et que je vis tant de bonnes choses préparées pour un pareil idiot ! »

Ce dernier mot était à peine sorti de la bouche du noble gourmand que le haut personnage dont il s’agissait nous accosta. Je pris plaisir à voir le mépris de Guloseton ; il ne se donnait pas la peine de le dissimuler pour une personne que toute l’Europe honorait, et l’ennui qu’il éprouvait dans la compagnie d’un homme dont la société était recherchée, ambitionnée par chacun, comme le summum bonum de la distinction la plus honorable. Quant à moi, qui ne me sentais pas du tout de goût pour la société, je quittai bientôt ce couple mal assorti et je gagnai l’autre parc.

Au moment où j’y entrais, j’aperçus, monté sur un petit poney de mauvaise mine, M. Wormwood de désagréable mémoire. Quoique nous ne nous fussions pas vus depuis notre séjour commun chez sir Lionel Garrett, et que nous fussions alors dans les termes de la plus stricte et de la plus froide politesse, il vint au-devant de moi et m’adressa la parole.

« Mon cher monsieur, me dit-il avec un sourire affreux, je suis heureux de vous revoir ; mais mon Dieu comme vous êtes pâle. J’ai appris que vous aviez été bien malade. Avez-vous été consulter cet homme qui, dit-on, se fait fort de guérir la phthisie la plus avancée ?

— Oui, lui dis-je, il m’a lu deux ou trois lettres de remercîments de personnes qu’il a soignées. La dernière, m’a-t-il dit, était d’un gentleman qui était presque désespéré, un M. Wormwood.

— Oh ! vous êtes facétieux, vous voulez vous amuser, dit le cynique, froidement, mais parlez-moi donc, de grâce, de cette horrible affaire de Chester-Park. Comme cela a dû être désagréable pour vous d’être arrêté comme meurtrier.

— Monsieur, lui dis-je avec hauteur, que voulez-vous dire ?

— Ah ! vous n’avez pas été arrêté, vraiment ? tant mieux, cela m’avait fait de la peine ; mais tout le monde le disait.

— Mon cher monsieur, répliquai-je, depuis quand vous occupez-vous de ce que tout le monde dit ? Si j’en faisais autant, moi, je ne me promènerais pas avec vous ! Mais j’ai toujours soutenu, en dépit de tout le monde, et même au point d’être universellement blâmé pour la singularité de mes opinions, que vous, mon cher monsieur Wormwood, vous n’étiez ni un sot, ni un ignorant, ni un insolent, ni un malotru. J’ai soutenu, seul contre tous, que vous étiez, au contraire, un auteur très-décent et un excellent homme ; que vous étiez si bienveillant que vous passiez votre vie à rendre service et à répandre le bonheur autour de vous ; ce bonheur, je l’éprouve en vous disant : bonsoir. »

Et sans attendre la réponse de M. Wormwood, je rendis la main à mon cheval. Je me perdis bientôt au milieu de la foule qui commençait à encombrer la promenade.

Hyde-Park est un lieu insipide. Les Anglais du beau monde font d’une affaire un plaisir et du plaisir une affaire. Ils sont venus au monde privés du sourire ; ils errent dans les lieux publics comme certains vents d’Est, froids, incisifs, insupportables, ou comme un groupe de brouillards échappés par un jour de gelée de l’antre de Borée, uniquement pour lutter à qui sera le plus sombre. Lorsqu’ils vous demandent : « Comment vous portez-vous ? » il semble qu’ils prennent la mesure de votre cercueil. Ils se donnent toujours à la vérité beaucoup de mal pour être agréables ; mais ils sont comme Sisyphe, la pierre qu’ils s’efforcent péniblement de rouler jusqu’au haut de la montagne leur échappe des mains et vient rebondir rudement contre vos jambes. Ils sont quelquefois polis, incivils toujours. Leur chaleur est toujours artificielle, leur froideur ne l’est jamais. Ils ont de la roideur sans dignité, de la platitude sans agréments. Ils vous font un affront sous le prétexte de vous dire franchement la vérité, ils blessent vos sentiments et ils appellent cela dire loyalement le fond de leur pensée. Ils ne font aucun cas des détours ingénieux qu’inspire la charité, mais ils n’en sont ni plus francs ni plus loyaux pour cela. Ils professent une profonde horreur pour la servilité, et ils sont à genoux devant la noblesse titrée ; à les entendre ils ne font aucun cas d’un ministre, et ils remuent ciel et terre pour être invités par la femme d’un ministre. Et leurs amusements ! c’est la chaleur, la poussière, la monotonie de cet odieux parc dans la journée ; et le soir, même scène répétée dans un étroit espace renfermé où la chaleur est plus forte, l’air moins respirable, la prison plus étroite avec moins de facilité pour s’échapper. Nous sommes toujours à errer comme les damnés de l’histoire de Valhek, nous passons notre vie, comme le roi philosophe de Sans-souci, à conjuguer le verbe je m’ennuie.