Pendant l’Exil Tome II Aux membres du meeting de Jersey pour la Pologne

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1863

AUX MEMBRES DU MEETING DE JERSEY POUR LA POLOGNE

Hauteville-House, 27 mars 1863.

Messieurs, — je suis atteint en ce moment d’un accès d’une angine chronique qui m’empêche de me rendre à votre invitation, dont je ressens tout l’honneur. Croyez à mon regret profond.

La sympathie est une présence ; je serai donc en esprit au milieu de vous. Je m’associe du fond de l’âme à toutes vos généreuses pensées.

L’assassinat d’une nation est impossible. Le droit, c’est l’astre ; il s’éclipse, mais il reparaît. La Hongrie le prouve, Venise le prouve, la Pologne le prouve.

La Pologne, à l’heure où nous sommes, est éclatante ; elle n’est pas en pleine vie, mais elle est en pleine gloire ; toute sa lumière lui est revenue, la Pologne, accablée, sanglante et debout, éblouit le monde.

Les peuples vivent et les despotes meurent ; c’est la loi d’en haut. Ne nous lassons pas de la rappeler à ce coupable empereur qui pèse en cet instant sur deux nations, pour le malheur de l’une et pour la honte de l’autre. La plus à plaindre des deux, ce n’est pas la Pologne qu’il égorge, c’est la Russie qu’il déshonore. C’est dégrader un peuple que d’en faire le massacreur d’un autre peuple. Je souhaite à la Pologne la résurrection à la liberté, et à la Russie la résurrection à l’honneur.

Ces deux résurrections, je fais plus que les souhaiter, je les attends.

Oui, le doute serait impie et presque complice, oui, la Pologne triomphera. Sa mort définitive serait un peu notre mort à tous. La Pologne fait partie du cœur de l’Europe. Le jour où le dernier battement de vie s’éteindrait en Pologne, la civilisation tout entière sentirait le froid du sépulcre.

Laissez-moi vous jeter de loin ce cri qui aura de l’écho dans vos âmes ! — Vive la Pologne ! Vive le droit ! Vivent la liberté des hommes et l’indépendance des peuples !

Permettez qu’à cette occasion, j’envoie tous mes vœux de bonheur à l’île de Jersey qui m’est bien chère et à votre excellente population, et recevez, mes amis, mon salut cordial.

Victor Hugo.