Pendant l’Exil Tome V L’incident belge

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V

L’INCIDENT BELGE

LA PROTESTATION. — L’ATTAQUE NOCTURNE.
L’EXPULSION.
§ 1

Les événements se précipitaient.

La pièce Pas de Représailles, publiée à propos des violences de la Commune, avait été reproduite, on l’a vu, par presque tous les journaux, y compris quelques journaux de Versailles ; elle avait été traduite en anglais, en italien, en espagnol, en portugais (pas en allemand). La presse réactionnaire, voyant là un blâme des actes de la Commune, avait applaudi particulièrement à ces vers :

Quoi ! bannir celui-ci ! jeter l’autre aux bastilles !
Jamais ! Quoi ! déclarer que les prisons, les grilles.
Les barreaux, les geôliers ; et l’exil ténébreux,
Ayant été mauvais pour nous, sont bons pour eux !
Non, je n’ôterai, moi, la patrie à personne.
Un reste d’ouragan dans mes cheveux frissonne ;
On comprendra qu’ancien banni, je ne veux pas
Faire en dehors du juste et de l’honnête un pas ;
J’ai payé de vingt ans d’exil ce droit austère
D’opposer aux fureurs un refus solitaire
Et de fermer mon âme aux aveugles courroux ;
Si je vois les cachots-sinistres, les verrous,

Les chaînes menacer mon ennemi, je l’aime,
Et je donne un asile à mon proscripteur même ;
Ce qui fait qu’il est bon d’avoir été proscrit.
Je sauverais Judas si j’étais Jésus-Christ.

Celui qui avait écrit cette déclaration n’attendait qu’une occasion de la mettre en pratique. Elle ne tarda pas à se présenter.

Le 25 mai 1871, interpellé dans la Chambre des représentants de Belgique au sujet de la défaite de la Commune et des événements de Paris, M. d’Anethan, ministre des affaires étrangères, fait, au nom du gouvernement belge, la déclaration qu’on va lire :

m. d’anethan. — Je puis donner à la Chambre l’assurance que le gouvernement saura remplir son devoir avec la plus grande fermeté et avec la plus grande vigilance ; il usera des pouvoirs dont il est armé pour empêcher l’invasion sur le sol de la Belgique de ces gens qui méritent à peine le nom d’hommes et qui devraient être mis au ban de toutes les nations civilisées. (Vive approbation sur tous les bancs.)

Ce ne sont pas des réfugiés politiques ; nous ne devons pas les considérer comme tels.

Des voix : Non ! non !

m. d’anethan. — Ce sont des hommes que le crime a souillés et que le châtiment doit atteindre. (Nouvelles marques d’approbation.)

Le 27 mai paraît la lettre suivante :

à m. le rédacteur de lIndépendance belge.
Bruxelles, 20 mai 1871.
Monsieur,

Je proteste contre la déclaration du gouvernement belge relative aux vaincus de Paris.

Quoi qu’on dise et quoi qu’on fasse, ces vaincus sont des hommes politiques.

Je n’étais pas avec eux.

J’accepte le principe de la Commune, je n’accepte pas les hommes.

J’ai protesté contre leurs actes, loi des otages, représailles, arrestations arbitraires, violation des libertés, suppression des journaux, spoliations, confiscations, démolitions, destruction de la Colonne, attaques au droit, attaques au peuple.

Leurs violences m’ont indigné comme m’indigneraient aujourd’hui les violences du parti contraire.

La destruction de la Colonne est un acte de lèse-nation. La destruction du Louvre eût été un crime de lèse-civilisation.

Mais des actes sauvages, étant inconscients, ne sont point des actes scélérats. La démence est une maladie et non un forfait. L’ignorance n’est pas le crime des ignorants.

La Colonne détruite a été pour la France une heure triste ; le Louvre détruit eût été pour tous les peuples un deuil éternel.

Mais la Colonne sera relevée, et le Louvre est sauvé.

Aujourd’hui Paris est repris. L’Assemblée a vaincu la Commune : Qui a fait le 18 mars ? De l’Assemblée ou de la Commune, laquelle est la vraie coupable ? L’histoire le dira.

L’incendie de Paris est un fait monstrueux, mais n’y a-t-il pas deux incendiaires ? Attendons pour juger.

Je n’ai jamais compris Billioray, et Rigault m’a étonné jusqu’à l’indignation ; mais fusiller Billioray est un crime, mais fusiller Rigault est un crime.

Ceux de la Commune, Johannard et ses soldats qui font fusiller un enfant de quinze ans sont des criminels ; ceux de l’Assemblée, qui font fusiller Jules Vallès, Bosquet, Parisel, Amouroux, Lefrançais, Brunet et Dombrowski, sont des criminels.

Ne faisons pas verser l’indignation d’un seul côté. Ici le crime est aussi bien dans les agents de l’Assemblée que dans ceux de la Commune, et le crime est évident.

Premièrement, pour tous les hommes civilisés, la peine de mort est abominable ; deuxièmement, l’exécution sans jugement est infâme. L’une n’est plus dans le droit, l’autre n’y a jamais été.

Jugez d’abord, puis condamnez, puis exécutez. Je pourrai blâmer, mais je ne flétrirai pas. Vous êtes dans la loi.

Si vous tuez sans jugement, vous assassinez.

Je reviens au gouvernement belge.

Il a tort de refuser l’asile.

La loi lui permet ce refus, le droit le lui défend.

Moi qui vous écris ces lignes, j’ai une maxime : Pro jure contra legem.

L’asile est un vieux droit. C’est le droit sacré des malheureux.

Au moyen âge, l’église accordait l’asile même aux parricides.

Quant à moi, je déclare ceci :

Cet asile, que le gouvernement belge refuse aux vaincus, je l’offre.

Où ? en Belgique.

Je fais à la Belgique cet honneur.

J’offre l’asile à Bruxelles.

J’offre l’asile place des Barricades, n° 4.

Qu’un vaincu de Paris, qu’un homme de la réunion dite Commune, que Paris a fort peu élue et que, pour ma part, je n’ai jamais approuvée, qu’un de ces hommes, fût-il mon ennemi personnel, surtout s’il est mon ennemi personnel, frappe à ma porte, j’ouvre. Il est dans ma maison ; il est inviolable.

Est-ce que, par hasard, je serais un étranger en Belgique ? je ne le crois pas. Je me sens le frère de tous les hommes et l’hôte de tous les peuples.

Dans tous les cas, un fugitif de la Commune chez moi, ce sera un vaincu chez un proscrit ; le vaincu d’aujourd’hui chez le proscrit d’hier.

Je n’hésite pas à le dire, deux choses vénérables.

Une faiblesse protégeant l’autre.

Si un homme est hors la loi, qu’il entre dans ma maison. Je défie qui que ce soit de l’en arracher.

Je parle ici des hommes politiques.

Si l’on vient chez moi prendre un fugitif de la Commune, on me prendra. Si on le livre, je le suivrai. Je partagerai sa sellette. Et, pour la défense du droit, on verra, à côté de l’homme de la Commune, qui est le vaincu de l’Assemblée de Versailles, l’homme de la République, qui a été le proscrit de Bonaparte.

Je ferai mon devoir. Avant tout les principes.

Un mot encore.

Ce qu’on peut affirmer, c’est que l’Angleterre ne livrera pas les réfugiés de la Commune.

Pourquoi mettre la Belgique au-dessous de l’Angleterre ?

La gloire de la Belgique c’est d’être un asile. Ne lui ôtons pas cette gloire.

En défendant la France, je défends la Belgique.

Le gouvernement belge sera contre moi, mais le peuple belge sera avec moi.

Dans tous les cas, j’aurai ma conscience.

Recevez, monsieur, l’assurance de mes sentiments distingués.

Victor Hugo,
§ 2

À la suite de cette lettre, s’est produit un fait nocturne dont voici les détails, que l’Indépendance belge a publiés et que la presse a reproduits : ((il))

« Monsieur le Rédacteur,

« Il a été publié plusieurs récits inexacts des faits qui se sont passés place des Barricades, n° 4, dans la nuit du 27 au 28 mai.

« Je crois nécessaire de préciser ces faits dans leur réalité absolue.

« Dans cette nuit de samedi à dimanche, M. Victor Hugo, après avoir travaillé et écrit, venait de se coucher. La chambre qu’il occupe est située au premier étage et sur le devant de la maison. Elle n’a qu’une seule fenêtre, qui donne sur la place. M. Victor Hugo, s’éveillant et travaillant de bonne heure, a pour habitude de ne point baisser les persiennes de la fenêtre.

« Il était minuit un quart, il venait de souffler sa bougie et il allait s’endormir. Tout à coup un coup de sonnette se fait entendre. M. Victor Hugo, réveillé à demi, écoute, croit à une erreur d’un passant et se recouche. Nouveau coup de sonnette, plus fort que le premier. M. Victor Hugo se lève, passe une robe de chambre, va à la fenêtre, l’ouvre et demande : Qui est là ? Une voix répond : Dombrowski. M. Victor Hugo, encore presque endormi, et ne distinguant rien dans les ténèbres, songe à l’asile offert par lui le matin même aux fugitifs, pense qu’il est possible que Dombrowski n’ait pas été fusillé et vienne en effet lui demander un asile, et se retourne pour descendre et ouvrir sa porte. En ce moment, une grosse pierre, assez mal dirigée, vient frapper la muraille à côté de la fenêtre. M. Victor Hugo comprend alors, se penche à la fenêtre ouverte, et aperçoit une foule d’hommes, une cinquantaine au moins, rangés devant sa maison et adossés à la grille du square. Il élève la voix et dit à cette foule : Vous êtes des misérables ! Puis il referme la fenêtre. Au moment où il la refermait, un fragment de pavé, qui est encore aujourd’hui dans sa chambre, crève la vitre à un pouce au-dessus de sa tête, y fait un large trou et roule à ses pieds en le couvrant d’éclats de verre, qui, par un hasard étrange, ne l’ont pas blessé. En même temps, dans la bande groupée au-dessous de la fenêtre, ces cris éclatent : À mort Victor Hugo ! À bas Victor Hugo ! À bas Jean Valjean ! À bas lord Clancharlie ! À bas le brigand !

« Cette explosion violente avait réveillé la maison. Deux femmes sorties précipitamment de leurs lits, l’une, la maîtresse de la maison, Mme veuve Charles Hugo, l’autre la bonne des deux petits enfants, Mariette Léclanche, entrent dans la chambre. — Père, qu’y a-t-il ? demande Mme Charles Hugo. Qu’est-ce que cela ? M. Victor Hugo répond : Ce n’est rien ; cela me fait l’effet d’être des assassins. Puis il ajoute : Soyez tranquilles, rentrez dans vos chambres, il est impossible que d’ici à quelques instants une ronde de police ne passe pas, et cette bande prendra la fuite. Et il rentre lui-même, accompagné de Mme Charles Hugo, et suivi de Mariette, dans la nursery, chambre d’enfants contiguë à la sienne, mais située sur l’arrière de la maison, et ayant vue sur le jardin.

« Mariette, cependant, venait de rentrer dans la chambre de son maître, afin de voir ce qui se passait. Elle s’approcha de la fenêtre, fut aperçue, et immédiatement une troisième pierre, dirigée sur cette femme, creva la vitre et arracha les rideaux.

« À partir de ce moment, une grêle de projectiles tomba furieusement sur la fenêtre et sur la façade de la maison. On entendait distinctement les cris : À mort Victor Hugo ! À la potence ! À la lanterne le brigand ! D’autres cris moins intelligibles se faisaient entendre : À Cayenne ! À Mazas ! Toutes ces clameurs étaient dominées par celle-ci : Enfonçons la porte ! M. Victor Hugo, en rentrant chez lui, avait simplement repoussé la porte qui n’était fermée qu’au loquet. On entendait distinctement des efforts pour crocheter ce loquet. Mariette descendit et ferma la porte au verrou.

« Ceci avait duré environ vingt-cinq minutes. Tout à coup le silence se fit, les pierres cessèrent de pleuvoir et les clameurs se turent. On se hasarda à regarder dans la place ; on n’y vit plus personne. M. Victor Hugo dit alors à Mme Charles Hugo : C’est fini ; ils auront vu quelque patrouille arriver, et les voilà partis. Couchez-vous tranquillement.

« Il alla se recoucher lui-même, quand la vitre brisée éclata de nouveau et vint tomber jusque sur son lit, avec une grosse pierre que l’agent de police venu plus tard y a vue. L’assaut venait de recommencer. Les cris : mort ! étaient plus furieux que jamais. De l’étage supérieur on regarda dans la place, et l’on vit une quinzaine d’hommes, vingt tout au plus, dont quelques-uns portaient des seaux probablement remplis de pierres. La pluie de pierres sur la façade de la maison ne discontinuait plus, et la fenêtre en était criblée. Nul moyen de rester dans la chambre. Des coups violents retentissaient contre la porte. Il est probable qu’un essai fut tenté pour arracher la grille de fer du soupirail qui est au-dessus de la porte. Un pavé lancé contre cette grille ne réussit qu’à briser la vitre.

« Les deux petits enfants, âgés l’un de deux ans et demi, l’autre de vingt mois, venaient de s’éveiller et poussaient des cris. Les deux autres servantes de la maison s’étaient levées et l’on songea au moyen de fuir. Cela était impossible. La maison de M. Victor Hugo n’a qu’une issue, la porte sur la place. Mme Charles Hugo monta, au péril de sa vie, sur le châssis de la serre du jardin, et, tandis que les vitres se cassaient sous ses pieds, parvint, en s’accrochant au mur, à proximité d’une fenêtre de la maison voisine. Elle cria au secours et les trois femmes épouvantées crièrent avec elle : Au secours ! au feu ! M. Victor Hugo gardait le silence. Les enfants pleuraient. La petite fille Jeanne est malade. L’assaut frénétique continuait. Aucune fenêtre ne s’ouvrit, personne dans la place n’entendit ou ne parut entendre ces cris de femmes désespérées. Cela s’est expliqué plus tard par l’épouvante qui, à ce qu’il paraît, était générale. Tout à coup on entendit le cri : Enfonçons la porte ! et, chose qui parut en ce moment singulière, le silence se fit :

« M. Victor Hugo pensa de nouveau que tout était fini, engagea Mme Charles Hugo à se calmer, et pendant que deux des servantes se mettaient en prière, il prit sa petite-fille malade dans ses bras. Et comme dix minutes de silence environ s’étaient écoulées, il crut pouvoir rentrer dans sa chambre. En ce moment-là un caillou aigu et tranchant, lancé avec force, s’abattit dans la chambre, et passa près de la tête de l’enfant. L’assaut recommençait pour la troisième fois. Le troisième effort fut le plus forcené de tous. Un essai d’escalade parvint presque à réussir. Des mains s’efforcèrent d’arracher les volets du salon au rez-de-chaussée. Ces volets revêtus de fer à l’extérieur, et barrés de fer à l’intérieur, résistèrent. Les traces de cette escalade sont visibles sur la muraille et ont été constatées par la police. Les cris : À la potence ! À la lanterne Victor Hugo ! étaient poussés avec plus de rage que jamais. Un moment, en voyant la porte battue et les volets escaladés, le vieillard qui était dans la maison avec quatre femmes et deux petits enfants et sans armes, put croire que le danger, si la maison était forcée, pourrait s’étendre jusqu’à eux. Cependant la porte avait résisté, les volets restaient inébranlables, on n’avait pas d’échelles, et le jour parut. Le jour sauva cette maison. La bande comprit sans doute que des actes de ce genre sont essentiellement nocturnes, et, devant la clarté qui allait se faire, elle s’en alla. Il était deux heures un quart du matin. L’assaut, commencé à minuit et demi, interrompu par deux intervalles d’environ dix minutes chacun, avait duré près de deux heures.

« Le jour vint et la bande ne revint pas.

« Deux ouvriers,-disons deux braves ouvriers, car eux seuls ont secouru cette maison,-qui passaient sur la place, et se rendaient à leur ouvrage vers deux heures et demie, au petit jour, furent appelés par une fenêtre du second étage de la maison attaquée et allèrent chercher la police. Ils revinrent à trois heures un quart avec un inspecteur de police qui constata les faits.

« L’absence de tout secours fut expliquée par ce hasard que la ronde de police spécialement chargée de la place des Barricades aurait été cette nuit-là occupée à une arrestation importante. Le garde de ville emporta un fragment de vitre et une pierre, et s’en alla faire son rapport à ses chefs. Le commissaire de police de la quatrième division, M. Cremers, est venu dans la matinée, et l’enquête paraît avoir été commencée.

« Cependant, je dois dire qu’aujourd’hui 30 mai, le procureur du roi n’a pas encore paru place des Barricades.

« L’enquête, outre les faits que nous venons de raconter, aura à éclaircir l’incident mystérieux d’une poutre portée par deux hommes en blouse, à destination inconnue, et saisie rue Pachéco par deux agents de police, au moment même où le troisième assaut avait lieu et où le cri : Enfonçons la porte ! se faisait entendre devant la maison de M. Victor Hugo ; des deux porteurs de la poutre, l’un avait réussi à s’échapper ; l’autre, arrêté, a été délivré violemment et arraché des mains des agents par sept ou huit hommes apostés au coin d’une rue voisine de la place des Barricades. Cette poutre a été déposée, le dimanche 28 mai, au commissariat de police, 4° section, rue des Comédiens, 44.

« Tels sont les faits.

« Je m’abstiens de toute réflexion. Les lecteurs jugeront.

« Je pense que la libre presse de Belgique s’empressera de publier cette lettre.

« Recevez, monsieur, l’assurance de mes sentiments distingués.

« François-Victor Hugo. »
« Bruxelles, 30 mai 1871. »
§ 3

En présence de ce fait, qui constitue un crime qualifié, attaque à main armée la nuit d’une maison habitée, que fit le gouvernement belge ? Il prit la résolution suivante :

(N° 110.555.)
LEOPOLD II, roi des Belges

À tous présents et à venir, salut.

Vu les lois du 7 juillet 1835 et du 30 mai 1868,

De l’avis du conseil des ministres,

Et sur la proposition de notre ministre de la justice,

Avons arrêté et arrêtons :
article unique.

Il est enjoint au sieur Victor Hugo, homme de lettres, âgé de soixante-neuf ans, né à Besançon, résidant à Bruxelles,

De quitter immédiatement le royaume, avec défense d’y rentrer à l’avenir, sous les peines comminées par l’article 6 de la loi du 7 juillet 1865 prérappelée.

Notre ministre de la justice est chargé de l’exécution du présent arrêté.

Donné à Bruxelles, le 30 mai 1871.

Signé : LÉOPOLD.
Par le roi :
Le ministre de la justice,
Signé : Prosper Cornesse.
Pour expédition conforme :
Le secrétaire général,
Signé : FITZEYS.
§ 4
SÉNAT BELGE
séance du 31 mai

On lit dans l’Indépendance belge du 31 mai :

Au début de la séance, M. le ministre des affaires étrangères, répondant à une interpellation de M. le marquis de Rodes, a fait connaître à l’assemblée que le gouvernement avait résolu d’appliquer à Victor Hugo la fameuse loi de 1835.

La lettre qui nous a été adressée par l’illustre poëte, les scènes que cette lettre a provoquées, telles sont les causes qui ont déterminé la conduite du gouvernement.

Cette lettre est considérée par M. le marquis de Rodes comme un défi, et presque comme un outrage à la morale publique, par M. le prince de Ligne comme une bravade, par M. le ministre des affaires étrangères comme une provocation au mépris des lois.

La tranquillité publique est menacée par la présence de Victor Hugo sur le territoire belge ! Le gouvernement l’a d’abord engagé à quitter le pays. Victor Hugo s’y étant refusé, un arrêté d’expulsion a été rédigé. Cet arrêt sera exécuté.

Nous déplorons profondément la résolution que vient de prendre le ministère.

L’hospitalité accordée à Victor Hugo faisait honneur au pays qui la donnait, autant qu’au poëte qui la recevait. Il nous est impossible d’admettre que, pour avoir exprimé une opinion contraire à la nôtre, contraire à celle du gouvernement et de la population, Victor Hugo ait abusé de cette hospitalité, et, même la loi de 1835 étant donnée, nous ne pouvons approuver l’usage qu’en fait le ministère.

Voilà ce que nous avons à dire au gouvernement. Quant à M. le comte de Ribaucourt qui approuve, lui, les mesures prises contre « l’individu dont il s’agit », nous ne lui dirons rien.

§ 5
CHAMBRE DES REPRÉSENTANTS DE BELGIQUE
seance du 31 mai
interpellation

m. defuisseaux. — J’ai demandé la parole pour protester avec énergie contre l’arrêté d’expulsion notifié à Victor Hugo.

Avant d’entrer dans cette Chambre, j’étais adversaire de la loi sur l’expulsion des étrangers ; depuis lors, mes principes n’ont pas varié et je m’étais fait l’illusion de croire, en voyant, pendant des mois entiers, les bonapartistes conspirer impunément contre le gouvernement régulier de la France, que cette loi était virtuellement abolie.

Il n’en était rien. Nous vous voyons tolérer, à quelques mois de distance, les menées bonapartistes ; offrir, sous prétexte d’hospitalité, les honneurs d’un train spécial à l’homme du 2 décembre… (Interruption à droite.) Je dirai, si vous voulez, l’homme de Sedan, et saisir avec empressement l’occasion de chasser du territoire belge l’illustre auteur des Châtiments.

Victor Hugo, frappé dans ses affections, déçu dans ses aspirations politiques, est venu, au milieu des derniers membres de sa famille, demander l’hospitalité à notre pays.

Ce n’était pas seulement le grand poëte si longtemps exilé qui vous demandait asile, c’était un homme auquel son âge, son génie et ses malheurs attiraient toutes les sympathies, c’était surtout l’homme qui venait d’être nommé membre de l’Assemblée nationale française par deux cent mille suffrages, c’est-à-dire par un nombre d’électeurs double de celui qui a nommé cette chambre tout entière. (Interruption.)

Mais ni ce titre de représentant qu’il est de la dignité de tous les parlements de faire respecter, ni son âge, ni ses infortunes, ni son génie, rien n’a pu vous arrêter.

Je demanderai à M. le ministre si un gouvernement étranger a sollicité cette proscription ?

Si oui, il est de son devoir de nous le dire.

Si non, il doit nous exposer les sentiments auxquels il a obéi, sous peine de se voir soupçonner d’avoir, par l’expulsion du grand poëte, donné par avance des gages aux idées catholiques et réactionnaires qui menacent de gouverner la France. (Interruption.) En attendant vos explications, j’ai le droit de le supposer.

Oseriez-vous nous dire sérieusement, monsieur le ministre, que la présence de Victor Hugo troublait la tranquillité de Bruxelles ? Mais par qui a-t-elle été momentanément troublée, sinon par quelques malfaiteurs qui, oublieux de toute générosité et de toute convenance, se sont faits les insulteurs de notre hôte ? (Interruption.)

Je ne veux pas vous faire l’injure de croire que vous vous êtes laissé impressionner par cette misérable manifestation, qu’on semble approuver en haut lieu, mais dont l’opinion publique demande la sévère répression.

Hier, je ne sais quel sénateur a prétendu que la lettre de Victor Hugo est une insulte à la Belgique et une désobéissance aux lois.

Voix à droite : Il a insulté le pays !

m. defuissaux. — Je ne répondrai pas à ce reproche. Trop souvent Victor Hugo a rendu hommage à la Belgique et dans ses discours et dans ses écrits, et jusque dans la lettre même que vous incriminez.

Il nous suppose une générosité qui va jusqu’à l’abnégation. Voilà l’insulte.

Mais cette lettre serait-elle une désobéissance aux lois ?

Il faut, en réalité, ou ne l’avoir pas lue ou ne la point comprendre pour soutenir cette interprétation.

Il vous a dit qu’il soutiendrait jusqu’au dernier moment et par sa présence et par sa parole celui qui serait son hôte : « Une faiblesse protégeant l’autre. »

Qu’au premier abord on puisse se tromper sur la portée de cette lettre, qu’un illettré y voie une attaque à nos lois, je le comprends ; mais qu’un ministère, parmi lequel nous avons l’honneur de compter un académicien, ne comprenne pas l’image et le style du grand poëte, c’est ce que je ne puis admettre.

Est-ce un crime ? Qui oserait le dire ?

Vous avez donc commis une grande faute en proscrivant Victor Hugo.

Il vous disait : « Je ne me crois pas étranger en Belgique. » Je suis heureux de lui dire de cette tribune qu’il ne s’est pas trompé et qu’il n’est étranger que pour les hommes du gouvernement.

À mon tour, s’il me demandait asile, je serais heureux et fier de le lui offrir.

En terminant, je rends hommage à la presse entière qui a énergiquement blâmé l’acte du gouvernement.

Voix à droite : Pas tout entière.

m. defuissaux. — Je parle bien entendu de la presse libérale et non de la presse catholique.

Je dis qu’elle a fait acte de générosité et de courage, le pays doit s’en féliciter ; par elle, les libéraux sauront résister à la réaction et au despotisme qui menacent la France et, quel que soit le sort de nos malheureux voisins, conserver et développer nos institutions et nos libertés.

Je propose, en conséquence, l’ordre du jour suivant :

« La Chambre, regrettant la mesure rigoureuse dont Victor Hugo a été l’objet, passe à l’ordre du jour. »

m. cornesse, ministre de la justice — L’honorable préopinant nous a reproché d’avoir toléré des menées bonapartistes. Je proteste contre cette accusation. Nous avons accordé aux victimes du régime impérial l’hospitalité large et généreuse que la Belgique n’a refusée à aucune des victimes des révolutions qui ont si tristement marqué dans ces dernières années l’histoire d’un pays voisin.

J’ai été étonné d’entendre M. Defuisseaux, qui critique l’acte que le gouvernement a posé ces jours derniers, blâmer la générosité dont le gouvernement a usé à l’égard des émigrés du 4 septembre.

m. defuissaux. — Je n’ai rien dit de semblable. J’ai dit que cette générosité m’avait fait espérer que la loi de 1835 était abrogée de fait.

m. cornesse, ministre de la justice. — Je laisse de côté cette question. Je m’en tiens au fait qui a motivé l’interpellation.

Non, ce ne sont pas des hommes politiques, ces pillards, ces assassins, ces incendiaires dont les crimes épouvantent l’Europe. Je ne parle pas seulement des instruments, des auteurs matériels de ces forfaits. Il est de plus grands coupables, ce sont ceux qui encouragent, qui tolèrent, qui ordonnent ces faits ; ce sont ces malfaiteurs intellectuels qui propagent dans les esprits des théories funestes et excitent à la lutte entre le capital et le travail. Voilà les grands, les seuls coupables. Ces théories malsaines ont heurté le sentiment public dans toute la Belgique.

La lettre de M. Victor Hugo contenait de violentes attaques contre un gouvernement étranger avec lequel nous entretenons les meilleures relations. Ce gouvernement était accusé de tous les crimes. Nous n’avons pas reçu de sollicitations. Nous avons des devoirs à remplir. Notre initiative n’a pas besoin d’être provoquée.

M. Victor Hugo allait plus loin. La lettre contenait un défi au gouvernement, aux Chambres, à la souveraineté nationale de la Belgique. M. Hugo, étranger sur notre sol, se posait fièrement en face du gouvernement et de la représentation nationale, et leur disait : « Vous prétendez que vous ferez telle chose. Eh bien, vous ne le ferez pas. Je vous en défie. Moi, Victor Hugo, j’y ferai obstacle. Vous avez la loi pour vous. J’ai le droit pour moi. Pro jure contra legem. C’est ma maxime ! »

N’est-il pas vrai qu’en prenant cette attitude, M. Victor Hugo, qui est un exilé volontaire, abusait de l’hospitalité ?

Oui, M. Victor Hugo est une grande illustration littéraire ; c’est peut-être le plus grand poëte du dix-neuvième siècle. Mais plus on est élevé, plus la providence vous a accordé de grandes facultés, plus vous devez donner l’exemple du respect des convenances, des lois, de l’autorité d’un pays qui n’a jamais marchandé la protection aux étrangers.

Oui, la Belgique est une terre hospitalière, mais il faut que les étrangers qu’elle accueille sachent respecter les devoirs qui leur incombent vis-à-vis d’elle et de son gouvernement.

Le gouvernement, fort de son droit, soucieux de sa dignité, ayant la conscience de sa responsabilité devant le pays et devant l’Europe, ne pouvait pas tolérer de tels écarts. Vous l’auriez accusé de faiblesse et peut-être de lâcheté s’il avait subi un tel outrage.

J’ajoute qu’après la lettre de M. Victor Hugo la tranquillité a été troublée. Vous avez lu dans l’Indépendance, écrit de la main même du fils de M. Hugo, le récit des scènes qui se sont passées devant la maison du poëte. Je blâme ces manifestations. Elles font l’objet d’une instruction judiciaire. Lorsque les coupables seront découverts, la justice se prononcera. Une enquête est ordonnée. Des recherches sont faites pour arriver à ce résultat. Mais ces manifestations troublaient profondément la tranquillité publique.

Des démarches pour engager M. Victor Hugo à se retirer volontairement sont restées infructueuses. Le gouvernement a fait signifier un arrêté d’expulsion. Cet arrêté sera exécuté. Le gouvernement croit avoir rempli un devoir.

Il y avait en jeu une question de sécurité publique, de dignité nationale, de dignité gouvernementale. Le gouvernement a eu recours à la mesure extrême de l’expulsion. Il soumet avec confiance cet acte au jugement de tous, et il ne doute pas que l’immense majorité de la Chambre et du pays ne lui soit acquise. (Marques d’approbation.)

m. demeur. — L’opinion qui a été développée et approuvée ici et au sénat, cette doctrine, qui est une erreur, consiste à dire que la législation donne au gouvernement le droit de livrer tous les vaincus de Paris. C’est cette doctrine que réprouve la lettre de M. Victor Hugo. D’après lui, les vaincus sont des hommes politiques. Toute sa lettre est là. L’insurrection de Paris est un crime, qui ne souffre pas de circonstances atténuantes ; mais j’ajoute : c’est un crime politique. Et si vous aviez à le poursuivre vous le qualifieriez ainsi. Je laisse de côté les crimes et délits de droit commun qui en sont résultés. Je parle du fait dominant. Il est prévu par la loi pénale. La guerre civile est un crime politique. Nous avons eu dans notre pays des tentatives de crimes de ce genre.

Est-ce que nous n’avons pas chez nous des criminels politiques qui ont été condamnés à mort, des hommes qui ont conspiré contre la sûreté de l’état, qui ont commis des attentats contre la chose publique ? Pourquoi se récrier ? C’est de l’histoire.

Or, peut-on livrer un homme qui n’a commis aucun crime de droit commun, mais qui a commis ce crime politique d’adhérer à un gouvernement qui n’était pas le gouvernement légal ? Personne n’osera le soutenir. Ce serait dire le contraire de ce qui a toujours a été dit. Je ne veux pas atténuer le crime. Je cherche sa qualification, afin de trouver la règle de conduite qui doit nous guider en matière d’extradition.

Des hommes se sont rendus coupables d’incendie, de pillage, de meurtre. Voilà des crimes de droit commun. Pouvez-vous, devez-vous livrer ces hommes ? Je crois qu’il y a ici à distinguer. De deux choses l’une : ou bien ces faits sont connexes au crime politique principal, ou bien, ils en sont indépendants. S’ils sont connexes, notre législation défend d’en livrer les auteurs.

m. van overloop. — Et les assassins des généraux Lecomte et Clément Thomas ?

m. jottrand. — Ils ne se sont pas mis à 50,000 pour assassiner ces généraux !

m. demeur. — Ces principes ont déjà été établis à l’occasion de faits que vous ne réprouvez pas moins que ceux de Paris. Il s’agissait d’un attentat commis contre un souverain étranger et des personnes de sa suite. Les frères Jacquin avaient commis des faits connexes à cet attentat. Leur extradition n’a pu être accordée. Il a fallu modifier la loi ; mais la loi qu’on a faite confirme ma thèse. En effet, la loi de 1856 n’autorise l’extradition, en cas de faits connexes à un crime politique, que lorsque ce crime aura été commis ou tenté contre un souverain étranger.

m. d’anethan, ministre des affaires étrangères. — Nous n’avons pas à discuter la loi de 1835. J’examine seulement la question de savoir si le gouvernement a bien fait d’appliquer la loi.

La loi dit que le gouvernement peut expulser tout individu qui, par sa conduite, a compromis la tranquillité publique.

Eh bien, M. Hugo a-t-il compromis la tranquillité du pays par cette lettre qui contenait un défi insolent ? Les faits répondent à cette question.

Mais j’ai un détail à ajouter à la déclaration que j’ai faite au sénat. M. Victor Hugo ayant été appelé devant l’administrateur de la sûreté publique, ce fonctionnaire lui dit : — Vous devez reconnaître que vous vous êtes mépris sur le sentiment public. — J’ai contre moi la bourgeoisie, mais j’ai pour moi les ouvriers, et j’ai reçu une députation d’ouvriers qui a promis de me défendre[1]. » (Exclamations sur quelques bancs.)

Dans ces circonstances, il eût été indigne du gouvernement de ne pas sévir. (Très bien !) Il importe que l’on connaisse bien les intentions du gouvernement.

Ses intentions, les voici : nous ne recevrons chez nous aucun des hommes ayant appartenu à la Commune[2], et nous appliquerons la loi d’extradition à tous les hommes qui se sont rendus coupables de vol, d’assassinat ou d’incendie. (Marques d’approbation à droite.)

m. couvreur. — Messieurs, moi aussi, je me lève, en cette circonstance, sous l’empire d’une profonde tristesse.

Il ne saurait en être autrement au spectacle de ce débordement d’horreurs qui font reculer la civilisation de dix-huit siècles et dont les conséquences menacent de ne pas s’arrêter à nos frontières.

Oui, je le dis avec l’unanimité de cette Chambre, les hommes de la Commune de Paris qui ont voulu, par la force et l’intimidation, établir la domination du prolétariat sur Paris, et par Paris sur la France, ces hommes sont de grands coupables.

Oui, il y avait parmi eux, à côté de fanatiques et d’esprits égarés, de véritables scélérats.

Oui, les hommes qui, de propos délibéré, ont mis le feu aux monuments et aux maisons de Paris sont des incendiaires, et ceux qui ont fusillé des otages arbitrairement arrêtés et jugés sont d’abominables assassins.

Mais si je porte ce jugement sur les vaincus, que dois-je dire des vainqueurs qui, après la victoire, en dehors des excitations de la lutte, fusillent sommairement, sans examen, sans jugement, par escouades de 50, de 100 individus, je ne dis pas seulement des insurgés de tout âge, de tout sexe, pris les armes à la main, mais le premier venu, qu’une circonstance quelconque, un regard suspect, une fausse démarche, une dénonciation calomnieuse… (Interruption), oui, des délations et des vengeances ! désignent à la fureur des soldats ? (Interruption.)

m. jottrand. — Brigands contre brigands !

Des voix à droite. — À l’ordre !

m. le président. — Les paroles qui viennent d’être prononcées ne sont pas parvenues jusqu’au bureau…

m. couvreur. — J’ai dit…

m. le président. — Je ne parle pas de vos paroles, monsieur Couvreur.

m. jottrand. — Je demande la parole.

m. couvreur. — Ces faits sont dénoncés par la presse qui peut et qui ose parler, par les journaux anglais.

Lisez ces journaux. Leurs révélations font frémir. Le Times le dit avec raison : « Paris est un enfer habité par des démons. Les faits, les détails abondent. À les lire, on se demande si le peuple français est pris d’un accès de démence féroce ou s’il est déjà atteint dans toutes ses classes de cette pourriture du bas-empire qui annonce la décadence des grandes nations. »

Cela est déjà fort affligeant, mais ce qui le serait bien davantage, c’est que ces haines, ces rages féroces, ces passions surexcitées pussent réagir jusque chez nous. Que la France soit affolée de réaction, que les partis monarchiques sèment, pour l’avenir, de nouveaux germes de guerre civile, déplorons-le, mais n’imitons pas ; nous qui ne sommes pas directement intéressés dans la lutte, gardons au moins l’impartialité de l’histoire. Restons maîtres de nous-mêmes et de notre sang-froid, ne substituons pas l’arbitraire, le bon plaisir, la passion à la justice et aux lois.

Lorsque, il y a quelques jours, l’honorable M. Dumortier, interpellant le gouvernement sur ses intentions, disait que les crimes commis jusqu’à ce moment à Paris par les gens de la Commune devaient être considérés comme des crimes de droit commun, pas une voix n’a protesté. Mais un point n’avait pas été suffisamment mis en lumière. J’ai été heureux d’avoir entendu tantôt les explications de l’honorable ministre des affaires étrangères, qui a précisé dans quel sens l’application des lois se ferait ; j’ai été heureux d’apprendre que la Belgique, dans cette circonstance, réglerait sa conduite sur celle de l’Angleterre, de l’Espagne et de la Suisse, c’est-à-dire que l’on examinera chaque cas individuellement…

m. d’anethan, ministre des affaires étrangères. — Certainement.

m. couvreur… que l’on jugera les faits ; que l’on ne rejettera pas dans la fournaise des passions surexcitées de Versailles ceux qui viennent nous demander un asile, non parce qu’ils sont coupables, mais parce qu’ils sont injustement soupçonnés, qu’ils peuvent croire leur vie et leur liberté en péril.

L’expulsion de M. Victor Hugo s’écarte de cette politique calme, humaine, tolérante. Voilà pourquoi elle me blesse.

J’y vois une tendance opposée à celle qui s’est manifestée dans la séance de ce jour. C’est un acte de colère, bien plus que de justice et de stricte nécessité.

La mesure prise peut-elle se justifier dans les circonstances spéciales où elle s’est produite ? Je réponds non sans hésiter.

Je dis plus. J’aime à croire qu’en arrêtant ses dernières résolutions, le gouvernement ignorait encore les détails des faits qui se sont passés sur la place des Barricades, dans la nuit de samedi à dimanche.

Quels sont ces faits, messieurs ?

Les premières versions les ont présentés comme une explosion anodine, naturelle, légitime du sentiment public : tapage nocturne, charivari, sifflets, quelques carreaux cassés.

Depuis, le fils de M. Victor Hugo a publié, sur ces événements, une autre version. Il résulte de son récit que la scène nocturne a duré près de deux heures.

m. anspach. — C’est un roman.

m. couvreur. — C’est ce que la justice aura à démontrer. Mais ce qui n’est pas un roman, c’est la frayeur que des femmes et de jeunes enfants ont éprouvée. (Interruption.)

J’en appelle à tous les pères. Si, pendant la nuit, provoqués ou non, des forcenés venaient pousser devant votre porte, messieurs, des cris de mort, briser des vitres, assaillir la demeure qui abrite le berceau de vos petits-enfants, diriez-vous aussi : C’est du roman ? Écoutez donc le témoignage de M. François Hugo, racontant les angoisses de sa famille.

m. anspach. — Nous avons le témoignage de M. Victor Hugo lui-même[3].; il prouve qu’on a embelli ce récit.

m. couvreur. — C’est à l’enquête judiciaire de le prouver. Je dis donc que, d’après ce récit, la maison de M. Victor Hugo a été, pendant cette nuit du samedi au dimanche, l’objet de trois attaques successives (interruption), qu’un vieillard sans armes, des femmes en pleurs, des enfants sans défense ont pu croire leur vie menacée ; je dis qu’une mère, une jeune veuve a essayé en vain de se faire entendre des voisins ; que des tentatives d’effraction et d’escalade ont eu lieu ; enfin que, par une circonstance bien malheureuse pour les auteurs de ces scandales, à l’heure même où ils se commettaient, des hommes portant une poutre étaient arrêtés dans le voisinage de la place des Barricades et arrachés aux mains de la police par des complices accourus à leur secours.

N’est-ce pas là une attaque nocturne bien caractérisée ? Le surlendemain, la justice n’était pas encore intervenue, le procureur du roi ou ses agents ne s’étaient pas encore transportés à la maison de M. Hugo. (Interruption.) Et sauf l’enquête ouverte par le commissaire de police, ni M. Hugo, ni les membres de sa famille n’avaient été interrogés sous la foi du serment.

Quels sont les coupables, messieurs ?

Sont-ce des hommes appartenant aux classes populaires qui venaient ainsi prendre en main, contre M. Hugo, la cause du gouvernement attaqué par lui ? C’est peu probable. La lettre qui a motivé les démonstrations avait paru le matin même.

Il faut plus de temps pour qu’une émotion populaire vraiment spontanée puisse se produire.

Lorsque j’ai reçu, pour ma part, la première nouvelle de ces regrettables événements, j’ai cru que les réfugiés français pouvaient en être les principaux auteurs, et j’étais presque tenté de les excuser, tant sont grands les maux de la guerre civile et les exaspérations qu’elle cause. M. Hugo prenait sous sa protection les assassins de la Commune ; il avait demandé pour eux les immunités du droit de l’asile ; donc il était aussi coupable qu’eux. Ainsi raisonne la passion.

Mais, s’il faut en croire la rumeur publique, ce ne sont ni des français, ni des prolétaires amis de l’ordre qui sont les auteurs de ces scènes de sauvagerie dénoncées par la lettre de M. François-Victor Hugo. Ce sont des émeutiers en gants jaunes, des prolétaires de l’intelligence et de la morale, qui ont montré aux vrais prolétaires comment on casse les vitres des bourgeois. Les imprudents ! ils en sont encore à se vanter de ce qu’ils ont fait ! Et leurs compagnons de plaisir s’en vont regrettant tout haut de ne pas s’être trouvés à l’endroit habituel de leurs rendez-vous, où a été complotée cette bonne farce ; une farce qui a failli tuer un enfant !

C’est un roman, dit-on, ce sont des exagérations, et la victime en a été le premier auteur. Soit. Où est l’enquête ? Où est l’examen contradictoire ? Vous voulez punir des violences coupables, et vous commencez par éloigner les témoins ; vous écartez ceux dont les dépositions doivent contrôler les recherches de vos agents.

Ah ! vous avez fait appeler M. Victor Hugo à la sûreté publique pour l’engager à quitter le pays. Ne deviez-vous pas, au contraire, l’obliger à rester ? Son témoignage, le témoignage des gens de sa maison, ne sont-ils pas indispensables au procès que vous voulez intenter ? (Interruption.)

Voilà ce qu’exigeait la justice ; voilà ce qu’exigeait la réparation des troubles déplorables qui ont eu lieu.

Savez-vous, messieurs, ce que peut être la conséquence de l’expulsion, dans les conditions où elle se fait ? Si, par hasard, la rumeur publique dit vrai, si les hommes qu’elle désigne appartiennent à votre monde, à votre parti, s’ils appartiennent à la jeunesse dorée qui hante vos salons, savez-vous ce qu’on dira ? On dira que les coupables vous touchaient de trop près ; que vous ne les découvrirez pas parce que vous ne voulez pas les découvrir ; que vous avez un intérêt politique à masquer leur faute, à empêcher leurs noms d’être connus, leurs personnes d’être frappées par la justice.

Aujourd’hui vous avez mis tous les torts de votre côté. L’accusé d’hier sera la victime demain. Les rapports non contrôlés de la sûreté publique et des agents de police auront beau dire le contraire ; pour le public du dehors, la version véritable, authentique, celle qui fera foi devant l’histoire, sera la version du poëte que vous avez expulsé le lendemain du jour où il a pu croire sa vie menacée.

Voilà pourquoi je regrette la mesure qui a été prise ; voilà pourquoi je déclare que vous avez manqué d’intelligence et de tact politique.

m, jottrand. — Messieurs, excité par l’injustice incontestable de quelques-unes des interruptions parties des bancs de la droite, j’ai prononcé ces paroles : « Brigands contre brigands ! » Vous avez, à ce propos, monsieur le président, prononcé quelques mots que je n’ai pas compris. Je dois m’expliquer sur le sens de mon exclamation.

m. le président. — Permettez. Avant que vous vous expliquiez, je tiens à dire ceci : les paroles que vous reconnaissez avoir prononcées, je ne les avais pas entendues. Aux demandes de rappel à l’ordre, j’ai répondu que je ne pouvais le prononcer sans connaître les expressions dont vous vous étiez servi…

D’après la déclaration que vous venez de faire, vous auriez appelé brigands les représentants de la force légitime.

m. jottrand. — Monsieur le président, ces paroles sont sorties de ma bouche au moment où mon honorable collègue, M. Couvreur, venait de flétrir ceux qui, après la victoire et de sang-froid, exécutent leurs prisonniers en masse et sans jugement. Je me serais tu, si à ce moment, si, de ce côté, n’étaient parties des protestations contre l’indignation de mon collègue, protestations qui ne pouvaient avoir d’autre sens que l’approbation des actes horribles qui continuent à se passer en France.

Ces paroles, vous le comprenez, ne s’appliquaient pas, dans ma pensée, à ces défenseurs énergiques, résolus et dévoués du droit et de la légalité qui, prévoyant l’ingratitude du lendemain, la montrant déjà du doigt, la proclamant comme attendue par eux, n’en ont pas moins continué à se dévouer à la tâche pénible qu’ils accomplissaient ; ces paroles, dans ma pensée, ne s’appliquaient pas à ces soldats esclaves de leur devoir, agissant dans l’ardeur du combat ; elles s’appliquaient uniquement à ceux dont j’ai rappelé les actes. Et ces actes, suis-je seul à les flétrir ?

N’entendons-nous pas, à Versailles même, des voix amies de l’ordre, des hommes qui ont toujours défendu dans la presse l’ordre et la légalité, ne les voyons-nous pas protester contre les horreurs qui se commettent sous leurs yeux ? ne voyons-nous pas toute la presse française réclamer la constitution immédiate de tribunaux réguliers et la cessation de toutes ces horreurs ?

Voici ce que disait le Times, faisant, comme moi, la part égale aux deux partis en lutte :

« Des deux parts également, nous arrive le bruit d’actes incroyables d’assassinat et de massacre. Les insurgés ont accompli autant qu’il a été en leur pouvoir leurs menaces contre la vie de leurs otages et sans plus de pitié que pour toutes leurs autres menaces. L’archevêque de Paris, le curé Deguerry, l’avocat Chaudey, en tout soixante-huit victimes sont tombées sous leurs coups. Ce massacre d’hommes distingués et inoffensifs est un de ces crimes qui ne meurent point et qui souillent à jamais la mémoire de leurs auteurs. Mais, dans l’esprit de carnage et de haine qu’il révèle, les communistes ne semblent guère pires que leurs antagonistes.

« Il est presque ridicule, de la part de M. Thiers, de venir dénoncer les insurgés pour avoir fusillé un officier captif au mépris des lois de la guerre.

« Les lois de la guerre ! Elles sont douces et chrétiennes, comparées aux lois inhumaines de vengeance, en vertu desquelles les troupes de Versailles ont, pendant ces six derniers jours, fusillé et déchiqueté à coups de bayonnette des prisonniers, des femmes et des enfants !

« Nous n’avons pas un mot à dire en faveur de ces noirs coquins, qui, évidemment, ont prémédité la destruction totale de Paris, la mort par le feu de sa population et l’anéantissement de ses trésors. Mais si des soldats se transforment eux-mêmes en démons pour attaquer des démons, est-il étonnant de voir le caractère démoniaque de la lutte redoubler ?

« La fureur a attisé la fureur, la haine a envenimé la haine, jusqu’à ne plus faire des plus sauvages passions du cœur humain qu’un immense et inextinguible brasier. »

Voilà, messieurs, les sentiments qu’inspire à l’opinion anglaise ce qui se passe à Paris ; voilà les sentiments sous l’empire desquels j’ai répondu tantôt aux interruptions de la droite.

Je n’ai voulu flétrir que des actes qui seront à jamais flétris dans l’histoire comme le seront ceux des insurgés eux-mêmes.

Je passe à l’expulsion de Victor Hugo. Je n’en dirai qu’un mot, si on veut me laisser la parole en ce moment.

Si j’étais sûr de l’exactitude de la conversation que M. le ministre des affaires étrangères nous a rapportée, comme ayant eu lieu entre M. l’administrateur de la sûreté publique et M. Victor Hugo, je déclare que je ne voterais point l’ordre du jour qui d’abord avait mes sympathies.

On répand partout dans la presse, pour terrifier nos populations, le bruit d’une vaste conspiration dont on aurait saisi les preuves matérielles sur des cadavres de membres de la Commune, conspiration ayant pour but de traverser avec l’armée insurrectionnelle le territoire occupé par les troupes prussiennes, afin de porter en Belgique les restes de la Commune expirante, et de l’y ranimer à l’aide des sympathies qu’elle excite prétendument chez nos classes ouvrières.

Je ne crois pas à cette conspiration, et je ne crois pas non plus aux paroles que l’on prête à M. Hugo dans son entretien avec M. l’administrateur de la sûreté publique. (Interruption.)

M. le ministre des affaires étrangères les a-t-il entendues ? Ne peut-on, au milieu des passions du moment, au milieu des préoccupations qui hantent légitimement, je le veux bien, l’esprit des ministres et de leurs fonctionnaires, se tromper sur certains détails ?

Avez-vous un interrogatoire de M. Victor Hugo ?

m. d’anethan, ministre des affaires étrangères. — Oui[4].

m. jottrand. — … Signé de lui ? Avez-vous la preuve que, pour le triomphe de sa personnalité, il ait été prêt à plonger notre pays dans l’abîme de la lutte entre classes ?

Si vous pouviez fournir cette preuve, je déclarerais que l’expulsion a été méritée. Mais cette preuve, vous ne pouvez nous la donner ; je me défie de vos paroles, et, en conséquence, je voterai l’ordre du jour.

À la suite de cette discussion dans laquelle le ministre et le bourgmestre ont reproduit leurs affirmations mensongères, dont ferait justice l’enquête judiciaire éludée par le gouvernement belge, la Chambre a voté sur l’ordre du jour proposé par M. Defuisseaux.

Elle l’a rejeté à la majorité de 81 voix contre 5.

Ont voté pour :

MM. Couvreur.

MM. Defuisseaux.

MM. Demeur.

MM. Guillery.

MM. Jottrand.


§ 6
À M. le Rédacteur de lIndépendance belge.
Bruxelles, 1er juin 1871.
Monsieur,

Je viens de lire la séance de la Chambre. Je remercie les hommes éloquents qui ont défendu, non pas moi qui ne suis rien, mais la vérité qui est tout. Quant à l’acte ministériel qui me concerne, j’aurais voulu garder le silence. Un expulsé doit être indulgent. Je dois répondre cependant à deux paroles, dites l’une par le ministre, l’autre par le bourgmestre. Le ministre, M. d’Anethan, aurait, d’après le compte rendu que j’ai sous les yeux, donné lecture du procès-verbal d’un entretien signé par moi. Aucun procès-verbal ne m’a été communiqué, et je n’ai rien signé. Le bourgmestre, M. Anspach, a dit du récit des faits publié par mon fils : C’est un roman. Ce récit est la pure et simple vérité, plutôt atténuée qu’aggravée. M. Anspach n’a pu l’ignorer. Voici en quels termes j’ai annoncé le fait aux divers fonctionnaires de police qui se sont présentés chez moi : Cette nuit, une maison, la mienne, habitée par quatre femmes et deux petits enfants, a été violemment attaquée par une bande poussant des cris de mort et cassant les vitres à coups de pierres, avec tentative d’escalade du mur et d’effraction de la porte. Cet assaut, commencé à minuit et demi, a fini à deux heures un quart, au point du jour. Cela se voyait, il y a soixante ans, dans la forêt Noire ; cela se voit aujourd’hui à Bruxelles.

Ce fait est un crime qualifié. À six heures du matin, le procureur du roi devait être dans ma maison ; l’état des lieux devait être constaté judiciairement, l’enquête de justice en règle devait commencer, cinq témoins devaient être immédiatement entendus, les trois servantes, Mme Charles Hugo et moi. Rien de tout cela n’a été fait. Aucun magistrat instructeur n’est venu ; aucune vérification légale des dégâts, aucun interrogatoire. Demain toute trace aura à peu près disparu, et les témoins seront dispersés ; l’intention de ne rien voir est ici évidente. Après la police sourde, la justice aveugle. Pas une déposition n’a été judiciairement recueillie ; et le principal témoin, qu’avant tout on devait appeler, on l’expulse.

Cela dit, je pars.

Victor Hugo.
§ 7
À MM. Couvreur, Defuissaux, Demeur, Guillery, Jottrand,
représentants du peuple belge.
Luxembourg, 2 juin 1871.
Messieurs,

Je tiens à vous remercier publiquement ; non pas en mon nom, car que suis-je dans de si grandes questions ? mais au nom du droit, que vous avez voulu maintenir, et au nom de la vérité, que vous avez voulu éclaircir. Vous avez agi comme des hommes justes.

L’offre d’asile qu’a bien voulu me faire, en nobles et magnifiques paroles, l’éloquent promoteur de l’interpellation, M. Defuisseaux, m’a profondément touché. Je n’en ai point usé. Dans le cas où les pluies de pierre s’obstineraient à me suivre, je ne voudrais pas les attirer sur sa maison.

J’ai quitté la Belgique. Tout est bien.

Quant au fait en lui-même, il est des plus simples.

Après avoir flétri les crimes de la Commune, j’avais cru de mon devoir de flétrir les crimes de la réaction. Cette égalité de balance a déplu.

Rien de plus obscur que les questions politiques compliquées de questions sociales. Cette obscurité, qui appelle l’enquête et qui quelquefois embarrasse l’histoire, est acquise aux vaincus de tous les partis, quels qu’ils soient ; elle les couvre en ce sens qu’elle veut l’examen. Toute cause vaincue est un procès à instruire. Je pensais cela. Examinons avant de juger, et surtout avant de condamner, et surtout avant d’exécuter. Je ne croyais pas ce principe douteux. Il paraît que tuer tout de suite vaut mieux.

Dans la situation où est la France, j’avais pensé que le gouvernement belge devait laisser sa frontière ouverte, se réserver le droit d’examen inhérent au droit d’asile, et ne pas livrer indistinctement les fugitifs à la réaction française, qui les fusille indistinctement.

Et j’avais joint l’exemple au précepte en déclarant que, quant à moi, je maintenais mon droit d’asile dans ma maison, et que, si mon ennemi suppliant s’y présentait, je lui ouvrirais ma porte. Cela m’a valu d’abord l’attaque nocturne du 27 mai, ensuite l’expulsion en règle. Ces deux faits sont désormais connexes. L’un complète l’autre ; le second protège le premier. L’avenir jugera.

Ce ne sont pas là des douleurs, et je m’y résigne aisément. Peut-être est-il bon qu’il y ait toujours un peu d’exil dans ma vie.

Du reste, je persiste à ne pas confondre le peuple belge avec le gouvernement belge, et, honoré d’une longue hospitalité en Belgique, je pardonne au gouvernement et je remercie le peuple.

Victor Hugo.
§ 8

En présence des falsifications catholiques et doctrinaires, M. Victor Hugo a adressé cette dernière lettre à l’Indépendance belge :

Luxembourg, 6 juin 1871.
Monsieur,

Permettez-moi de rétablir les faits.

Le 25 mai, au nom du gouvernement belge. M. d’Anethan dit :

« Je puis donner à la Chambre l’assurance que le gouvernement saura remplir son devoir avec la plus grande fermeté et avec la plus grande vigilance ; il usera des pouvoirs dont il est armé pour empêcher l’invasion sur le sol de la Belgique de ces gens qui méritent à peine le nom d’hommes et qui devraient être mis au ban de toutes les nations civilisées. (Vive approbation sur tous les bancs.})

« Ce ne sont pas des réfugiés politiques ; nous ne devons pas les considérer comme tels. »

C’est la frontière fermée. C’est le refus d’examen.

C’est contre cela que j’ai protesté, déclarant qu’il fallait attendre avant de juger, et que, quant à moi, si le gouvernement supprimait le droit d’asile en Belgique, je le maintenais dans ma maison.

J’ai écrit ma protestation le 26, elle a été publiée le 27 ; le 27, dans la nuit, ma maison était attaquée ; le 30 j’étais expulsé.

Le 31, M. d’Anethan a dit :

« Chaque cas spécial sera examiné, et lorsque les faits ne rentreront pas dans le cadre de la loi, la loi ne sera pas appliquée. Le gouvernement ne veut que l’exécution de la loi. »

Ceci, c’est la frontière ouverte. C’est l’examen admis. C’est ce que je demandais.

Qui a changé de langage ? est-ce moi ? Non, c’est le ministère belge.

Le 25 il ferme la frontière, le 27 je proteste, le 31 il la rouvre.

Il m’a expulsé, mais il m’a obéi.

L’asile auquel ont droit en Belgique les vaincus politiques, je l’ai perdu pour moi, mais gagné pour eux.

Cela me satisfait.

Recevez, monsieur, l’assurance de mes sentiments distingués.

Victor Hugo.

Depuis le départ de M. Victor Hugo, les journaux libéraux belges ont déclaré, en mettant le gouvernement belge au défi de démentir le fait, qu’un des chefs de la bande nocturne de la place des Barricades était M. Kervyn de Lettenhove, fils du ministre de l’intérieur.

Ce fait n’a pas été démenti.

En outre, ils ont annoncé que M. Anspach, le bourgmestre de Bruxelles, venait d’être nommé par le gouvernement français commandeur de la Légion d’honneur.


Dénoûment de l’incident belge.

(Voir les notes.)
  1. M. Victor Hugo n’a pas dit cela.
  2. La protestation de Victor Hugo a produit ce résultat, qu’après cette déclaration formelle et solennelle du ministre, le gouvernement belge, baissant la tête et se démentant, n’a pas osé interdire l’entrée en Belgique à un membre de la Commune, Tridon, qui est mort depuis à Bruxelles.
  3. C’est faux. Publiez-le signé de M. Victor Hugo, on vous en défie.
  4. C’est faux.